Si le Suaire de Turin est au cœur d’une controverse médiatique intense centrée sur la question de son authenticité, sa place dans la recherche historique académique est longtemps restée limitée. Il a surtout été l’objet d’une littérature parascientifique, la sindonologie, autoproclamée « science du linceul » qui a cherché à écrire une « préhistoire » de la relique avant son apparition dans la documentation, au xive siècle, mais s’est peu intéressée à la riche trajectoire de l’objet, passant du statut d’image, à Lirey, en Champagne, à celui de relique de la Passion, à Chambéry puis à Turin. Plusieurs travaux récents ont contribué à combler cette lacune. Parmi eux, une monographie d’Andrea Nicolotti, professeur à l’université de Turin, ambitionne à la fois de répondre aux théories fantaisistes qui entourent l’objet et de retracer sa longue histoire. Parmi les questions que cette longue histoire éclaire, celle de l’évolution des régimes de preuve : les linges funéraires, laissés dans le tombeau du Christ, sont traités par l’exégèse comme preuve de la résurrection, et le Suaire de Turin ajoute des indices visibles de la présence d’un corps. Du Moyen Âge à nos jours, le regard sur cette relique a été guidé par la volonté d’interpréter ces traces comme des preuves qui attestent l’histoire sainte, voire en documentent certains détails que les Évangiles ne décrivent pas. Elle met donc en lumière une généalogie ecclésiale, encore trop peu considérée, du paradigme de la preuve par la trace.