Dès les premiers mois du conflit, au début de 1915, Sigmund Freud consigne, dansConsidérations actuelles sur la guerre et sur la mor.sa vision révoltée de la mise en place de la guerre totale. Freud appelle « désillusion » la découverte que les Européens se comportaient en « barbares », dans la haine de l'autre. « Même la science a perdu son impassible impartialité ; ses serviteurs profondément ulcérés tentent de lui ravir des armes pour apporter leur contribution au combat contre l'ennemi. L'anthropologiste se doit de déclarer l'adversaire inférieur et dégénéré, le psychiatre de diagnostiquer chez lui un trouble mental ou psychique»1. Freud était le premier d'une longue série d'intellectuels, à découvrir que la guerre « moderne » produisait des situations extraordinairement traumatisantes que ni les sociétés ni leurs analystes professionnels n'étaient préparés à affronter. Les sciences humaines et la médecine moderne n'étaient-elles pas nées au cours du 19e siècle pour accueillir et analyser les « avancées positives » de l'humanité ? Brutalité, violence, brutalisation, cette violence intériorisée que l'on reproduit si facilement parce qu'elle est devenue l'expression de son patriotisme, de son attachement viscéral à son sol, sont les symptômes de la nouveauté de la guerre. Certains combattants, soumis à cette extraordinaire pression en première ligne, certains prisonniers, certains civils envahis et occupés victimes d'une autre frontière de violence ont, à un certain moment arrêté de « tenir » : les illusions, les désillusions, les traumatismes que la guerre leur inflige se traduisent alors par des troubles psychiques.