L'absence de la nationalité, en tant que concept anthropologique ou juridique, avant 1789, reste une idée recue. Mais les lettres de naturalité aux XVIIe et XVIIIe siécles, en depit de leur format stéréotypé, nous offrent une source importante d'idées et de pratiques de la nationalité sous l'Ancien Régime. Les étrangers cherchaient à se faire naturaliser pour échapper à leurs incapacités civiles en France, telle 1'interdiction d'obtenir un office ou de recevoir un bénéfice ecclésiastique, et surtout leur incapacité, par le droit d'aubaine, a transmettre un patrimoine ou à héater. Dans les préambules de leurs lettres, ces étrangers — et les descendants d'émigrés français — développent toute une gamme de récits qui insistent tantot sur l'intérêt privé des requérants, tantôt sur les services qu'ils ont rendus à la Couronne, mettant en avant l'appartenance familiale ou la « naissance accidentelle » hors de France. Ces centaines de naturalises revelent ce que devenir Français signifiait pour les étrangers à l'époque moderne, produisant ainsi un discours vernaculaire de la nationalité. Insistant sur le rôle de la famille comme cadre critique de la socialisation, les hommes et surtout les femmes qui cherchaient à être naturalisés, ont produit un modele de nationalité à l'intérieur de laquelle ils s'incluaient, modéle davantage fondésur une idée « essentialiste » de l'identité francaise, et plus déterminé par la culture que par les régies purement juridiques de l'Ancien Régime.