Published online by Cambridge University Press: 04 May 2017
L’article propose un examen critique de la notion de « pouvoir pastoral » forgée par Michel Foucault dans son cours du Collège de France « Sécurité, Territoire, Population » de 1977-1978. Deux moments sont privilégiés pour comprendre la place que prend le pouvoir pastoral dans le dispositif d’une « histoire de la gouvernementalité »: premièrement la prise de position de Foucault dans le débat théologico-politique sur le paradigme de la sécularisation; deuxièmement le lien entre l’analyse du pouvoir pastoral qui se déploie dans le cours avec les réalisations qu’a connues dans les cinquante dernières années le projet d’une histoire des clergés à l’époque moderne. On conclut à la singularité de la critique foucaldienne du théologico-politique dans le contexte intellectuel de la fin des années soixantedix, et l’on s’interroge sur l’usage qui peut aujourd’hui être fait de cette critique dans la perspective d’une histoire du religieux européen.
A critical examination of the notion of ‘pastoral power’ developed by Michel Foucault in his course at the Collège de France in 1977-1978: ‘Sécurité, Territoire, Population.’ In order to understand the function of pastoral power in his system of a ‘history of governmentality’, we stress two points: First, Foucault’s stand in the theologico-political debate over the paradigm of secularization; secondly, the connection between the analysis of pastoral power developed in the course with the achievements over the past fifty years of the historiography of clergies in the early modern era. We conclude with the uniqueness of Foucault’s critique of the theologico-political paradigm in the intellectual context of the late 70’s, and we examine how this critique can be used today in the perspective of a history of the religious phenomenon in early modern Europe.
1 - Foucault, Michel, Sécurité, territoire, population: cours au Collège de France, 1977-1978, éd. par Senellart, M. sous la dir. de Ewald, F. et Fontana, A., Paris, Gallimard/Seuil, 2004 Google Scholar. Les références à Sécurité, territoire, population (STP) seront placées dans le corps du texte, entre parenthèses. La question du pouvoir pastoral fait l’objet de cinq leçons, du 8 février au 1er mars 1978. Jusqu’à la parution du cours, le dossier contenait essentiellement l’article de 1979 issu des Tanner Lectures de Standford, « Omnes et singulatim. Vers une critique de la raison politique », in Foucault, M., Dits et Écrits (DE), éd. par Defert, D. et Ewald, F. avec la collaboration de Lagrange, J., Paris, Gallimard, 1994, t. IV, p. 134-161 Google Scholar. Le cours de 1977-1978 est contemporain du manuscrit détruit du premier tome 2 de l’Histoire de la sexualité, qui portait sur les pratiques de confession et de direction de conscience dans le christianisme occidental.
2 - Représentatifs de cette orientation d’une « théologie foucaldienne »: Carrette, Jeremy R., Foucault and religion: Spiritual corporality and political spirituality, Londres, Routledge, 2000 CrossRefGoogle Scholar; Bernauer, James et Carrette, Jeremy R. (dir.), Michel Foucault and theology: The politics of religious experience, Aldershot/Burlington, Ashgate, 2002 Google Scholar; Schuld, J. Joyce, Foucault and Augustine. Reconsidering power and love, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 2003 Google Scholar. Voir aussi Macdowell, Beatriz, «Aux origines du pouvoir pastoral», Studia monastica, 41, 1, 1999, p. 11-33 Google Scholar.
3 - STP, p. 4-5: « [...] mais enfin ce que je fais, ce n’est, après tout, ni de l’histoire, ni de la sociologie, ni de l’économie. Mais c’est bien quelque chose qui, d’une manière ou d’une autre, et pour des raisons simplement de fait, a à voir avec la philosophie, c’est-à-dire avec la politique de la vérité, car je ne vois pas beaucoup d’autres définitions du mot ‘philosophie’ sinon celle-ci ». On comparera, entre mille autres, avec le « Je ne me suis jamais occupé de philosophie » de 1974 (« De la nature humaine: justice contre pouvoir », DE, t. II, p. 493).
4 - L’analyse de Perrot, Michelle, «La leçon de ténèbres. Michel Foucault et la prison», in Les ombres de l’histoire. Crime et châtiment au XIXe siècle, Paris, Flammarion, 2001, p. 27-38 Google Scholar, est confirmée par les derniers cours publiés.
5 - Voir dernièrement la synthèse de Brunet, Serge, «Les prêtres des campagnes de la France du XVIIe siècle: la grande mutation», XVIIe siècle, 59, 1, 2007, p. 49-82 Google Scholar et le bilan historiographique de Dompnier, Bernard, «L’historiographie religieuse française, la sociologie et les gens d’Église», in Büttgen, P. et Duhamelle, C. (éd.), Histoires religieuses croisées. France-Allemagne, XVIe-XVIIIe siècles Google Scholar, à paraître.
6 - Sur l’historiographie récente du pastorat protestant, voir Janz, Oliver, Bürger besonderer Art. Evangelische Pfarrer in Preußen, Berlin/New York, De Gruyter, 1994 CrossRefGoogle Scholar; Schorn-Schütte, Luise, Evangelische Geistlichkeit in der Frühneuzeit. Deren Anteil an der Entfaltung frühmoderner Staatlichkeit und Gesellschaft, Gütersloh, Gütersloher Verlagshaus, 1996 Google Scholar; Schorn-Schütte, Luise et Sparn, Walter (éd.), Evangelische Pfarrer. Zur sozialen und politischen Rolle einer bürgerlichen Gruppe in der deutschen Gesellschaft des 18. bis 20. Jahrhunderts, Stuttgart, Kohlhammer, 1997 Google Scholar; Schorn-Schütte, Luise et Dixon, C. Scott (dir.), The Protestant clergy of early modern Europe, Basingstoke, Palgrave/Macmillan, 2003 Google Scholar; Weyel, Birgit, Praktische Bildung zum Pfarrberuf. Das Predigerseminar Wittenberg und die Entstehung einer zweiten Ausbildungsphase evangelischer Pfarrer in Preußen, Tübingen, Mohr Siebeck, 2006 Google Scholar.
7 - Voir STP, p. 31, où le ternaire espace-événement-normalisation est utilisé pour distinguer la « forme » des dispositifs de sécurité de celle du code légal et des mécanismes disciplinaires.
8 - Il faut comparer la liste des opérations associées à la définition du pouvoir (« n’importe quel pouvoir ») dans STP (« guider, prescrire, enseigner, sauver, enjoindre, éduquer, fixer le but commun, formuler la loi générale, marquer dans les esprits, leur proposer ou leur imposer des opinions vraies et droites » [p. 170-171]) à celle de l’esquisse de 1982 sur «Le sujet et le pouvoir», à propos du pouvoir comme «action sur des actions »: « Il incite, il induit, il détourne, il facilite ou rend plus difficile, il élargit ou il limite, il rend plus ou moins probable; à la limite, il contraint ou empêche absolument » (« Le pouvoir, comment s’exerce-t-il ? », De, t. III, p. 237). Le ternaire salut-loi-vérité ne réapparaît pas tel quel dans ce texte, qui propose aussi une caractéristique du pouvoir pastoral (« Pourquoi étudier le pouvoir: la question du sujet », ibid., p. 229-231).
9 - Sur l’« ontologie de l’actualité » et la réflexion de Foucault sur l’histoire de la Réforme, qui dès mai 1978 (dans la conférence «Qu’est-ce que la critique?» donnée à la Société française de philosophie, et non reprise dans De) prolonge l’analytique du pouvoir pastoral, voir Büttgen, Philippe, « Eschatologie, fin de l’histoire, ontologie de l’actualité. Sur quelques déplacements historiques et religieux chez Luther et Fichte », in Benoist, J. et Merlini, F. (éd.), Après la fin de l’histoire. Temps, monde, historicité, Paris, Vrin, 1998, p. 61-90 Google Scholar, et la discussion de Monod, Jean-Claude, «La Réforme comme événement constitutif: modernité, subjectivité, actualité», in Cusset, Y. et Haber, S. (éd.), Habermas et Foucault. Parcours croisés, confrontations critiques, Paris, CNRS Éditions, 2006, p. 85-95 Google Scholar.
10 - Sur la question pastorale chez Nietzsche, je me permets de renvoyer à Büttgen, Philippe, « Un nouveau pastorat? », Revue de Métaphysique et de Morale, 4, 2007, p. 469-481 CrossRefGoogle Scholar.
11 - L’Antéchrist, § 42, trad. fr. par Dominique Tassel, Paris, UGE, 1967, p. 66 (= KGA VI/3, 214-215): « Son besoin, c’était le pouvoir; avec Paul, le prêtre en voulait encore une fois au pouvoir – il ne pouvait recourir qu’à des idées, des doctrines, des symboles avec lesquels on tyrannise les masses, on forme des troupeaux. Quel fut plus tard le seul emprunt de Mahomet au christianisme? La trouvaille de Paul, sa technique de tyrannie sacerdotale, sa technique d’attroupement: la croyance à l’immortalité – c’est-à-dire la doctrine du ‘jugement’ ».
12 - Voir « Nietzsche, la généalogie, l’histoire », in DE, t. III, p. 136-156.
13 - Sur le composite et l’impur comme catégories d’une pensée du devenir, voir « Nietzsche, la généalogie, l’histoire », art. cit., p. 141-142, 150-154. Un constat analogue est possible à propos des remarques de Foucault sur le caractère anti-ascétique du christianisme: en dépit de l’apparente réfutation de Nietzsche, elles continuent de reposer sur une caractérisation du christianisme qui réserve un rôle central à la volonté et à ses affections (voir STP, p. 177, le christianisme comme « religion de la volonté de Dieu », p. 182, l’apatheia et la « volonté qui a renoncé à soi-même »). La caractérisation de l’ascétisme comme « pièce de retournement » qui utilise l’« expérience religieuse » contre le pastorat (p. 211), outre l’anticipation qu’elle propose des développements de L’herméneutique du sujet, livre peut-être la formule du nietzschéisme de Foucault dans STP, voire la motivation ultime de l’analytique du pouvoir pastoral: dans la soudaine entrée des clergés dans le projet foucaldien, on pourra voir la volonté d’étudier la forme de retournement de la volonté de puissance qui pour Nietzsche constitue la clé du pouvoir des prêtres (Généalogie de la morale, III, p. 13 et 15).
14 - Voir l’étude fondamentale de Monod, Jean-Claude, La querelle de la sécularisation: théologie politique et philosophie de l’histoire de Hegel à Blumenberg, Paris, Vrin, 2002 Google Scholar.
15 - Foucault, Michel, Naissance de la biopolitique: cours au Collège de France, 1978-1979, éd. par Senellart, M. sous la dir. de Ewald, F. et Fontana, A., Paris, Gallimard/Le Seuil, 2004, leçon du 31 janvier 1979, p. 80 Google Scholar.
16 - Une seule fois, vraisemblablement par inadvertance, Foucault évoque une forme de reprise du pastorat dans la gouvernementalité moderne: « [...] d’une façon générale, on peut dire que dans la mesure où beaucoup des fonctions pastorales, à partir de la fin du XVIIe-début du XVIIIe siècle, ont été reprises dans l’exercice de la gouvernementalité, dans la mesure où le gouvernement s’est mis à vouloir lui aussi prendre en charge la conduite des hommes [...] » (p. 201). Significativement, l’évocation d’une reprise va de pair avec l’usage d’un concept de fonction que Foucault a explicitement écarté dans le passage méthodique consacré à la nécessité de « passer à l’extérieur de l’État » (p. 120-123). C’était déjà l’idée d’une « reprise » et « transposition » que Foucault rejetait dans sa comparaison entre pastorat hébraïque et pastorat chrétien, sur un mode il est vrai plus nettement discontinuiste: « [...] le pastorat chrétien tel qu’il s’est institutionnalisé, développé, réfléchi essentiellement à partir du IIIe siècle, est en fait tout autre chose que la pure et simple reprise, transposition ou continuation de ce qu’on avait pu repérer comme thème surtout hébraïque ou surtout oriental » (p. 168).
17 - Foucault peut aussi se demander comment le pastorat a pu « exploser, se disperser et prendre la dimension de la gouvernementalité », autre manière pour lui de représenter l’avènement d’une problématisation nouvelle («ou encore comment le problème du gouvernement, de la gouvernementalité a pu se poser à partir du pastorat », p. 197). La métaphore de la dissémination se relie ici à celle de l’intensification. On notera en outre la constance d’un autre motif, celui de la transformation, dont Ulrich Johannes Schneider a souligné l’importance chez Foucault ( Schneider, Ulrich Johannes, Michel Foucault, Darmstadt, Primus, 2004, ch. 13, p. 225-232 Google Scholar). L’idée de transformation reparaît régulièrement pour appuyer le rejet du « simple report, transfert, translation » (p. 293, où Foucault évoque un «phénomène très complexe de transformation de [la] raison occidentale » à propos de Kepler, Galilée, Descartes) et l’introduction du concept alternatif d’intensification (p. 236, également à propos de Descartes, sur la « grande transformation de la philosophie » parallèle à l’« intensification du problème de la conduite »).
18 - STP, 244: « Est-ce qu’on ne pourrait pas, par exemple, partir justement non de l’unité, non pas même de cette dualité nature-État, mais de la multiplicité de processus extraordinairement divers où on trouverait justement ces résistances au pastorat, ces insurrections de conduite, où on trouverait le développement urbain, où on trouverait le développement de l’algèbre, les expériences sur la chute des corps [...] ? » Foucault a traité auparavant de la « dégouvernementalisation du cosmos » dans la science moderne. « Intensification » et « démultiplication » sont chez lui synonymes (p. 236), de même qu’« intensité » et « multiplicité » (p. 92).
19 - Outre les nombreuses occurrences de «problème» et «problématique» (par exemple dans le passage cité sur la floraison des arts de gouverner au XVIe siècle, p. 92), STP fait figurer au moins deux fois le mot alors nouveau de « problématisation » (p. 242 sur la res publica, p. 326 sur la police).
20 - Derrière la distinction des « grandes économies de pouvoir en Occident » – l’« État de justice » et sa « territorialité de type féodal », l’« État administratif » et sa « territorialité de type frontalier », l’« État de gouvernement » enfin et la minoration qu’elle est supposée opérer du problème territorial (p. 113) –, on verra un schématisme réfuté par les recherches récentes sur le rôle central de la problématisation de l’espace dans les sciences émergentes du gouvernement libéral: voir Garner, Guillaume, État, économie, territoire en Allemagne. L’espace dans le caméralisme et l’économie politique, 1740-1820, Paris, Éditions de l’EHESS, 2006 Google Scholar.
21 - Sur la description des contre-conduites ou « révoltes de conduites », « trame spécifique de résistance à des formes de pouvoir qui n’exercent pas la souveraineté et qui n’exploitent pas, mais qui conduisent » (p. 203), voir les pages finales de Bruno Karsenti dans «La politique du dehors. Une lecture des cours de Foucault au Collège de France (1977-1979) », Multitudes, 22, 2005, p. 37-50.
22 - C’est notamment le cas dans l’excursus sur les mouvements révolutionnaires des XIXe et XXe siècles qui, à côté des objectifs qu’ils se donnent, « complots, révolutions, révolutions politiques, révolutions sociales », conservent selon Foucault « un aspect de recherche d’une autre conduite: être conduit autrement, par d’autres hommes, vers d’autres objectifs que ce qui est proposé par la gouvernementalité officielle » (p. 202).
23 - Sur Engels, le récit de la Guerre des Paysans (1850) et l’idée d’un « schibboleth religieux des luttes de classes » jusqu’à la Réforme, je me permets de renvoyer à Büttgen, Philippe, « La sécularisation de la folie. Marxisme et protestantisme vers 1848 », in Foessel, M., Kervegan, J.-F. et D’Allonnes, M. Revault (éd.), Modernité et sécularisation. Hans Blumenberg, Karl Löwith, Carl Schmitt, Leo Strauss, Paris, CNRS Éditions, 2007, p. 123-143 CrossRefGoogle Scholar.
24 - Au reproche nostalgique adressé à l’analytique du pouvoir pastoral de se cantonner aux «termes d’une pragmatique», «sans prendre une seconde en compte les principes déclarés de la révélation religieuse qui les autorise » (voir Sichere, Bernard, «Faut-il (re)lire Foucault ? L’énigme du pastorat chrétien», Agenda de la pensée contemporaine. Printemps 2005, Paris, PUF, 2005, p. 20-26 Google Scholar), il devrait suffire de répondre que les questions soulevées par cette « pragmatique » se soutiennent largement d’elles-mêmes et que s’il fallait réintroduire ici les « principes » d’une « Révélation », la distance calculée de Foucault envers les procédures de l’enquête historique basculerait dans la proclamation gnostique. C’est l’équilibre construit ici dans le rapport savant aux objets de l’histoire religieuse qui doit bien plutôt retenir l’attention.
25 - « La grande crise du pastorat et les assauts des contre-conduites qui ont pressé cette crise ne menaient pas à un rejet global de toute conduite, mais à une recherche démultipliée pour être conduit, mais comme il faut et où il faut. D’où la démultiplication des ‘besoins de conduite’ au XVIe siècle » (p. 237: le passage, omis à l’oral, figure dans le manuscrit du cours).
26 - Voir « Le sujet et le pouvoir », DE, t. III, p. 225-227. STP formule ce principe en parlant d’une « corrélation immédiate et fondatrice entre la conduite et la contre-conduite » (p. 199).
27 - Politiquement, c’est-à-dire dans l’horizon d’un diagnostic d’actualité, il y aurait donc deux énoncés à tirer de l’analyse des contre-conduites par Foucault: 1. le pouvoir pastoral permet de définir ce qu’on pourrait appeler un inadvenu de la politique (c’est la question posée par B. Karsenti, «La politique du dehors...», art. cit., p. 49: « Qu’est-ce qui, politiquement, n’a jamais eu lieu ? », avec la réponse de Foucault: une révolution antipastorale [STP, p. 153]); 2. sur ce que c’est qu’une révolte, nous n’avons aucune idée indépendante de celle qui s’est formée au contact du pouvoir pastoral et dans son exercice même.
28 - Au milieu d’une bibliographie désormais considérable, voir Veit, Patrice et Valentin, Jean-Marie (dir.), « La confessionnalisation dans le Saint-Empire. XVIe-XVIIIe siècle », Études germaniques, 57, 3, 2002 Google Scholar, pour un bilan provisoire.
29 - Sur ces questions qui, avec les théories de la « modernisation », guident une partie de la discussion en Allemagne sur la constitution des corps pastoraux, voir Luise Schorn-Schütte, Evangelische Geistlichkeit..., op. cit., p. 20-26. Weber et l’École de Francfort sont un peu plus présents au début de l’esquisse que Foucault donne en 1982 du pouvoir pastoral dans « Le sujet et le pouvoir » (cf. supra, n. 8).
30 - L’article programmatique de Reinhard, Wolfgang, «Zwang zur Konfessionalisierung? Prolegomena zu einer Theorie des konfessionellen Zeitalters», Zeitschrift für Historische Forschung, 10, 1983, p. 257-277 Google Scholar, paraît cinq ans après le cours de Foucault. L’étude Schilling, d’Heinz sur le comté de Lippe, Konfessionskonflikt und Staatsbildung: eine Fallstudie über das Verhältnis von religiösem und sozialem Wandel in der Frühneuzeit, am Beispiel der Grafschaft Lippe, Gütersloh, Mohn, G., « Quellen und Forschungen zur Reformationsgeschichte-48 », 1981 Google Scholar, avait été publiée deux ans auparavant.
31 - Sur le débat « sécularisation ou confessionnalisation » du point de vue de l’histoire du droit, voir Stolleis, Michael, «‘Konfessionalisarung’ oder ‘Säkularisierung’ bei der Enstehung des frühmodernen Staates», Jus commune, 20, 1993, p. 1-23 Google Scholar.
32 - Besançon, Alain, Le tsarévitch immolé. La symbolique de la loi dans la culture russe, Paris, Payot, [1967] 1991 Google Scholar; Lefort, Claude, «Permanence du théologico-politique ?», in Essais sur le politique. XIXe-XXe siècle, Paris, Le Seuil, [1981] 1986 Google Scholar; Gauchet, Marcel, Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Paris, Gallimard, 1985 Google Scholar.
33 - La traduction des deux Théologies politiques de Carl Schmitt par Jean-Louis Schlegel est parue chez Gallimard en 1988. Sur les controverses qui ont eu lieu depuis lors, voir l’avant-propos Balibar, d’Étienne à la traduction française du Léviathan dans la doctrine de l’État de Thomas Hobbes, Paris, Le Seuil, 2002, p. 7-65 Google Scholar et, dès 1994, l’article de Courtine, Jean-François, «Notes sur le théologico-politique, à propos de Carl Schmitt», repris dans Nature et empire de la loi. Études suaréziennes, Paris, Vrin/Éditions de l’EHESS, 1999, p. 163-175 Google Scholar. Dernièrement encore, Monod, Jean-Claude, Penser l’ennemi, affronter l’exception. Réflexions critiques sur l’actualité de Carl Schmitt, Paris, La Découverte, « L’ar-millaire », 2007 Google Scholar.
34 - On peut se reporter à l’article volontiers inquisiteur de Schöttler, Peter, « Ernst Kantorowicz in Frankreich », in Benson, R. L. et Fried, J. (éd.), Ernst Kantorowicz. Erträge der Doppeltagung Institute for Advanced Study, Princeton, Johann-Wolfgang-Goethe-Universität Frankfurt, Stuttgart, Franz Steiner, 1977, p. 144-161 Google Scholar. Sur Kantorowicz, les deux corps du roi et l’analogie – fugitive – avec le « moindre corps du condamné », voir Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 33-34 Google Scholar. En 1975, Les deux corps du roi étaient parus aux États-Unis depuis dix-huit ans (1957); comme on sait, leur traduction en français attendra presque aussi longtemps (1989).
35 - A l’échelle du cours entier, l’insistance mise sur la distinction du pasteur et du roi constitue l’aspect proprement grec du christianisme selon Foucault. Le long développement sur la « récusation » grecque du « thème du pastorat », des orateurs attiques au Politique de Platon, se concluait déjà par un laconique « Le roi n’est pas un pasteur » (p. 50), qui situait la spécificité grecque au regard des technologies de pouvoir du Moyen-Orient. C’est du reste par ce biais qu’on pourra aborder la question d’un pouvoir pastoral dans l’Islam: on aurait là une entrée différente de celle proposée par Iogna-Prat, Dominique et Veinstein, Gilles (éd.), Histoire des hommes de Dieu dans l’islam et le christianisme, Paris, Flammarion, 2003 Google Scholar. A cela s’ajoute la possibilité d’un nouvel éclairage sur les textes controversés de Foucault sur la révolution iranienne, à peine postérieurs à STP (octobre-novembre 1978). La notion de « spiritualité politique » qu’ils élaborent est étrangère au propos de STP, à proportion du changement de terrain opéré par Foucault; elle s’ancre toutefois dans des remarques sur l’organisation du clergé chiite, qui semble avoir principalement intéressé Foucault dans son voyage en Iran (voir par exemple « Téhéran: la foi contre le chah » [8 octobre 1978], de, t. III, p. 687).
36 - Voir l’ouvrage classique de Karl Löwith, , Histoire et salut. Les présupposés théologiques de la philosophie de l’histoire, Paris, Gallimard, [1953] 2002 Google Scholar.
37 - Le cours ne mentionne certes pas les réactivations de l’idée d’Empire à l’époque contemporaine, hormis dans une page allusive sur l’Allemagne, son « désir d’empire » et l’« obligation d’Europe » (p. 312). Quant aux messianismes révolutionnaires, ainsi qu’il est convenu de les identifier, Foucault ne leur fait une place que dans les dernières pages du cours: face à la « nouvelle historicité de la raison d’État » qui « excluait l’Empire des derniers jours, excluait le royaume de l’eschatologie », l’« eschatologie révolutionnaire qui n’a pas cessé de hanter le XIXe et le XXe siècle » se définit par l’espoir d’une résorption finale du pouvoir d’État dans la société civile (p. 363-364). Foucault la situe du côté des contre-conduites, fidèle à sa typologie initiale qui s’achevait par une mention rapide de la « croyance eschatologique » comme moyen de disqualifier le rôle du pasteur (p. 217-218). Les aperçus donnés sur le Parti communiste (« une sorte d’autre pastorat » [p. 202]), sur la « pastoralisation du pouvoir en Union Soviétique » (p. 204) et sur les contre-conduites qui y répondent (Soljenitsyne), suggèrent l’intérêt qu’il y aurait à étudier les phénomènes de retournement des contre-conduites en nouveaux pastorats, y compris après l’URSS. Dans tous les cas, on comprendra pourquoi l’une des dernières remarques du cours porte, contre les généalogies paresseuses, sur le fait que l’« hérédité religieuse des mouvements révolutionnaires de l’Europe moderne [...] n’est pas directe » (p. 365, passage omis à l’oral).
38 - C’est le point sur lequel il faut donner raison aux nouvelles lectures de la politique foucaldienne, dans la polarité qu’elles construisent entre souveraineté et gouvernemen-talité (voir par exemple Berns, Thomas, Souveraineté, droit et gouvernementalité. Lectures du politique moderne à partir de Bodin, Paris, Leo Scheer, 2005 Google Scholar).
39 - Voir l’analyse de la figure du ministre chez Louis de Bonald, restituée par Karsenti, Bruno, «Autorité, société, pouvoir. La science sociale selon Bonald», in Kaufmann, L. et Guilhaumou, J. (éd.), L’invention de la société. Nominalisme politique et science sociale au XVIIIe siècle, Paris, Éditions de l’EHESS, 2003, p. 261-286 Google Scholar et, sur Richelieu prêtre et ministre, Jouhaud, Christian, La main de Richelieu ou le pouvoir cardinal, Paris, Gallimard, 1991 Google Scholar, notamment ch. III et IV.
40 - Voir par exemple BonzoN, Anne, L’esprit de clocher. Prêtres et paroisses dans le diocèse de Beauvais (1535-1560), Paris, Le Cerf, 1999 Google Scholar et Chaix, Gerald (éd.), Le diocèse. Espaces, représentations, pouvoirs (France, XVe-XXe siècle), Paris, Le Cerf, 2002 Google Scholar.
41 - Voir Cosandey, Fanny et Descimon, Robert, L’absolutisme en France. Histoire et historiographie, Paris, Le Seuil, 2002 Google Scholar et Descimon, Robert et Ibanez, Jose Javier Ruíz, Les ligueurs de l’exil. Le refuge catholique français après 1594, Seyssel, Champ Vallon, 2006 Google Scholar, ainsi que l’article de Jean-François Courtine, «L’héritage scolastique dans la problématique théologico-politique de l’âge classique» (1985), repris dans Nature et empire de la loi, op. cit., p. 9-43. Par histoire des théologies politiques, il faut entendre ici l’histoire des productions abstraites dont l’analytique du pouvoir pastoral requiert de penser l’historicité, des « technologies », donc, que le cours présente d’emblée comme son objet propre (p. 10-11). En toute rigueur de termes, la pastorale est aussi un savoir théologique, comme le rappelle la page de STP sur le pastorat comme « réflexion théorique », « réflexion qui valait philosophie », « art des arts » et « science des sciences » selon Grégoire de Nazianze (p. 154). Foucault tente une timide poussée vers l’ecclésiologie et les éléments de droit canon qui soutiennent cette pastorale, dans sa rapide évocation des controverses sur le lien entre paroisse et pasteurs, de Wyclif à Marius Lupus (p. 156). Il se pourrait qu’au bout de cet élan, on retrouve les composantes d’une histoire des théologies politiques. En tout état de cause, celle-ci reste à assembler pour trouver une place dans la perspective de Foucault.
42 - La troisième étape du « passage à l’extérieur » – passer derrière l’objet – contient un embryon de discussion avec la phénoménologie, à propos de la folie (p. 122). Totalité et infini de Lévinas, qui se donne aussi – mais tout autrement – comme un Essai sur l’extériorité, est paru en 1961, la même année que l’Histoire de la folie. Sur le rapport de Foucault à Hegel, le développement le plus explicite se trouve dans les pages finales de L’ordre du discours.
43 - Je développe ici des remarques esquissées dans Philippe Büttgen, , « L’histoire de l’Église, les historiens et la vérité », Bulletin d’information de la Mission historique française en Allemagne, 41, 2005, p. 281-300 Google Scholar.
44 - La légitimité des Temps modernes de Hans Blumenberg a été traduite en français trente-trois ans après sa parution en Allemagne, en 1966 (Paris, Gallimard, 1999). Sur Kantorowicz, voir supra, n. 34.
45 - De Certeau, Michel, «L’inversion du pensable. L’histoire religieuse du XVIIe siècle», in L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975, p. 149 Google Scholar: « [...] on fait de l’histoire religieuse parce qu ‘on est chrétien (ou prêtre, ou religieux), alors même qu’on ne peut plus la faire en chrétien ».