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Résumés / Abstracts

Published online by Cambridge University Press:  13 April 2022

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Abstract

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Résumés / Abstracts
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© Éditions de l’EHESS

David Motadel

Globaliser l’Europe

Cet essai propose une réflexion sur l’étude historique des liens entre l’Europe moderne et contemporaine et le reste du monde. Il explore les manières dont l’histoire européenne peut être intégrée à l’histoire globale, en considérant l’Europe non seulement comme un moteur, mais aussi comme un produit des transformations mondiales. À partir d’un large aperçu historiographique, l’auteur discute de l’influence du « tournant global » sur différents domaines de l’histoire européenne moderne et contemporaine, notamment l’histoire politique, économique, sociale, intellectuelle et environnementale. Il soutient que l’histoire globale représente tant un défi qu’une opportunité considérable pour les européistes d’ouvrir l’histoire européenne moderne. Cette approche nous aidera finalement à remodeler notre compréhension des frontières de l’Europe – et du domaine de l’histoire européenne lui-même. En d’autres termes, cela nous permettra de déprovincialiser l’Europe. De manière plus générale, l’essai aborde également des questions plus larges sur les continents (et d’autres unités spatiales) en tant que catégories ontologiques dans les études historiques.

Globalizing Europe

This essay offers a reflection on the historical study of modern Europe’s entanglements with the wider world. It explores the ways in which European history can be integrated into global history, considering Europe as not only an engine but also a product of global transformations. Providing a broad historiographical overview, the author discusses the impact of the “global turn” on different fields of modern European history, including political, economic, social, intellectual, and environmental history. He argues that global history represents not only a challenge but also a huge opportunity for Europeanists to open up modern European history. This will ultimately help us reshape our understanding of the boundaries of Europe—and the field of European history itself. In other words, it will allow us to deprovincialize Europe. More generally, the essay also engages with broader questions about continents (and other spatial units) as ontological categories in historical studies.

Michael Werner

Décentrer l’histoire européenne par les marges : visions plurielles d’une modernité fragmentée

L’article aborde la question d’une historiographie globale de l’Europe à partir de deux angles. Dans un premier temps, il s’attache aux difficultés, tant historiques qu’épistémologiques, à saisir l’objet Europe, notamment après les transformations historiographiques induites par 1989, l’affirmation des études postcoloniales, l’émergence progressive de la critique de l’eurocentrisme et, enfin, aujourd’hui, l’invitation à prendre le « tournant global ». Les conceptions de l’Europe qui se dégagent de ces propositions ont l’inconvénient de se fonder sur une vision de l’Europe plutôt homogénéisée, centrée sur les grands États-nations de l’Europe occidentale et leurs politiques impériales. Elles véhiculent également, tout en la critiquant, l’idée d’une modernité dont l’Europe aurait été à la fois le foyer historique et l’agent d’expansion à l’échelle mondiale. Dans un second temps, afin de circonscrire les taches aveugles inhérentes à ce genre de visions, l’article propose un déplacement du regard, en fixant le poste d’observation dans les confins orientaux et balkaniques de l’Europe, à l’intersection des trois empires austro-hongrois, ottoman et russe, pour une période équivalant au « long » xixe siècle. Ce changement de perspective fait apparaître non seulement une grande diversité de vues des acteurs locaux, mais aussi le déplacement qui s’opère dans la conception du lien entre Europe et modernité, l’importance des sociétés locales multiculturelles et pluriethniques ainsi que le rôle particulier de populations transnationales qui, comme les juifs, tout en négociant leur rapport propre à une modernité européenne, échappent à l’emprise des mouvements nationaux.

Decentering European History from the Margins: Plural Visions of a Fragmented Modernity

The article considers the global historiography of Europe from two angles. First it outlines the difficulties, both historical and epistemological, that Europe poses as an object of study, especially after the historiographical transformations prompted by the events of 1989, the rise of postcolonial studies, the growing critique of Eurocentrism, and, most recently, the “global turn.” The conceptions of Europe that emerge from these currents have often been based on a rather homogenized vision of the continent, centered on the great nation-states of western Europe and their imperial policies. They also perpetuate, even as they criticize it, the legacy of a conception of modernity that positions Europe as both its historical center and the agent of its expansion on a global scale. The second part of the paper proposes to limit the blind spots inherent in this kind of vision by shifting our gaze to the eastern and Balkan margins of Europe, where the Austro-Hungarian, Ottoman, and Russian empires intersected over the “long” nineteenth century. This change of perspective displaces the history of Europe’s connection to modernity, revealing the great diversity of local actors, the importance of multicultural and pluriethnic societies, and the particular role of transnational populations such as Jews, who while negotiating their own relationship to a European modernity, escaped the grip of national movements.

Sebastian Conrad

Conjonctures mondiales : la nouvelle fabrique de l’histoire politique européenne

Au cours des dernières décennies, l’écriture de l’histoire européenne – qu’il s’agisse de l’histoire de l’Europe ou de celle des pays d’Europe – a connu des transformations fondamentales. Le tournant global, bien qu’il ait été adapté de différentes manières, a profondément affecté l’historiographie produite dans de nombreux pays européens. D’une part, des moments charnières de l’histoire européenne ont été réinterprétés comme parties prenantes de configurations plus larges et comme réponses aux défis mondiaux. D’autre part, il est désormais clair que la prétention de l’Europe à l’unité et à la cohésion a été renforcée notamment par des observateurs extérieurs. À la fin du xixe siècle, dans les sociétés d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie, les contemporains ont commencé à se référer à une « Europe » qui était moins un lieu spécifique qu’un produit de l’imagination, autrement dit : qui résultait moins de la géographie ou de la culture que de la géopolitique mondiale. Il ressort de tout cela une compréhension de l’histoire du continent qui ancre fermement celui-ci dans le contexte de conjonctures mondiales et de moments répétés de re-territorialisation.

Global Conjunctures and the Remaking of European Political History

Over the past decades, the writing of European history—in both its incarnations, as the history of Europe, and as the histories of nations in Europe—has seen fundamental transformations. Though it has been adapted in different ways, the global turn has deeply affected the historiography produced in many European countries. On the one hand, crucial watersheds of European history have been reinterpreted as part of larger configurations, and as responses to global challenges. On the other, it is now clear that Europe’s claim to unity and cohesion was reinforced, not least, by observers from without. In the late nineteenth century, in societies across Latin America, Africa, and Asia, contemporaries began to refer to a “Europe” that was less a specific location than a product of the imagination; the result less of geography or culture than of global geopolitics. What emerges, then, is an understanding of the history of the continent that places it firmly in the context of global conjunctures and repeated moments of re-territorialization.

Sven Beckert

La fabrique économique de l’Europe Les origines extra-européennes de l’Ancien Monde

Cet article s’intéresse à la manière dont les historiens et les économistes ont pensé l’histoire économique de l’Europe. Il remarque que les explications internes qui accordent peu d’attention au monde non européen ont dominé pendant plus d’un siècle, et passe en revue certaines des raisons de cet eurocentrisme. Cependant, un tel nombrilisme a également été de plus en plus contesté depuis un certain temps, d’abord principalement par des universitaires et des militants non européens. L’article explore enfin les débats actuels au sein de la discipline et sa reconnaissance croissante des interactions entre les économies européennes et non européennes. Deux sujets de discussion ayant joué un rôle crucial dans cette évolution sont particulièrement détaillés : la question du rôle de l’esclavage dans le développement économique européen et les riches débats qui ont lieu dans le domaine relativement nouveau de l’histoire globale du travail. Finalement, si les efforts visant à écrire l’histoire économique de l’Europe en la confinant à ses propres frontières mal définies peuvent répondre à des besoins politiques particuliers, ils sont, dans les faits, historiquement trompeurs.

Making Europe: The Extra-European Origins of the Old World

This article reviews how historians and economists have thought about the economic history of Europe. It notes that internal explanations that paid little attention to the non-European world have been dominant for more than a century, and reviews some of the reasons for that Eurocentrism. Such navel-gazing, however, has also been increasingly challenged for some time now, at first and especially by non-European scholars and activists. The latter parts of the article explore current debates within the discipline and its increasing acknowledgment of the interactions between European and non-European economies. Two areas of discussion that have played a crucial role in this evolution are detailed in particular: the question of the role of slavery in European economic development and the rich debates taking place in the relatively new field of global labor history. Overall, efforts to write the economic history of Europe confined to its own ill-defined boundaries might serve particular political needs, but they are, in fact, historically inaccurate.

Samuel Moyn

L’histoire intellectuelle de l’Europe après le tournant global

La globalisation de l’histoire intellectuelle de l’Europe moderne et contemporaine est attendue depuis longtemps ; elle en est également encore à ses débuts. Cet essai distingue quatre pistes suivies jusqu’à présent par les historiens. La première correspond à une tentative de retrouver les sources et les contextes mondiaux du canon de la « pensée européenne ». Une deuxième approche consiste à redonner vie aux imaginaires globaux des penseurs européens modernes. Une troisième possibilité, plus difficile à envisager, revient à retracer la circulation des traditions de pensée et des concepts européens à travers la planète en analysant leur réception et leur refaçonnage au cours de ces voyages, tandis que des réseaux de rétroaction complexes brouillaient les démarcations entre l’européen et le non-européen. Une quatrième et dernière voie, plus controversée, insiste sur l’importance capitale du canon de pensée européen dans la compréhension des interactions mondiales passées et présentes, en soulignant qu’une partie de la valeur de ce canon réside dans le fait qu’il peut aider à corriger les points aveugles que ses propres historiens lui ont imposés en représentant, à tort, la pensée européenne comme un isolat coupé du reste du monde.

European Intellectual History after the Global Turn

The globalization of modern European intellectual history is long overdue. It is also still in its early stages. This essay distinguishes four paths historians have followed so far. First, there has been the attempt to recover the global contexts and sources of the canon of “European thought.” A second approach has been to recapture the global imaginations of modern European thinkers. A third and more difficult possibility has been to track how European concepts and traditions were received and remade as they traveled the globe, and to examine the complex feedback mechanisms that have blurred the line between the European and the extra-European. Finally, a fourth and most controversial mode is to insist that the modern European canon is of prime significance in understanding historical and contemporary global relations—and that part of its value lies in helping undo the exclusions that its own historians have visited on that canon by misrepresenting European thought as a merely European affair.

Elizabeth Buettner

Migrations et tournant global de l’histoire européenne

Le tournant global est au cœur de l’étude des nombreuses histoires migratoires de l’Europe – qu’il s’agisse de migrations extra-, intra- ou infra-européennes – et inclut les espaces transatlantiques, impériaux et post-impériaux ainsi que d’autres arènes mondiales. Bénéficiant d’un grand nombre de travaux novateurs souvent centrés sur des histoires au niveau macro, cet article prône un cadrage plus serré portant sur les interprétations et les expériences individuelles. Ce faisant, il soutient que les historiens peuvent ouvrir des perspectives nuancées, qui risquent cependant d’être submergées au sein d’études où, paradoxalement, les migrants réels se trouvent supplantés en raison de l’accent mis sur les phénomènes migratoires globaux. Focalisé sur la fin de l’ère contemporaine, l’article retrace les dimensions globales de deux vies s’étendant sur près de deux siècles afin de soulever des questions plus larges, notamment sur la race et l’ethnicité. Jacob A. Riis (1849-1914) et Gérald Bloncourt (1926-2018) étaient d’éminents photographes documentaires qui partageaient un profond engagement pour la réforme sociale et l’amélioration des conditions de vie de la classe ouvrière. Ils ont tous deux enregistré des histoires de migration via leurs appareils photographiques et leurs écrits, permettant ainsi une analyse des représentations multimédias issues d’une même source. Le fait qu’ils soient eux-mêmes issus de la migration (Riis a quitté le Danemark pour les États-Unis, et Bloncourt Haïti pour la France métropolitaine) donne une résonance particulière aux images et aux textes qu’ils ont produits. Leurs propres origines et leurs vies mobiles se sont avérées cruciales pour leurs interprétations des flux de personnes plus larges qui ont relié l’Europe à différents contextes mondiaux – et qui continuent de le faire aujourd’hui.

Migration and European History’s Global Turn

The global turn is central to the study of Europe’s many migration histories—outwards, inwards, and internal—and encompasses transatlantic, imperial and post-imperial, and other global arenas. Benefitting from a wealth of pathbreaking scholarship that often focuses on macro-level histories, this article advocates zooming in on individual interpretations and experiences. By doing so, it argues, historians can open up nuanced perspectives that risk becoming submerged in studies where, rather paradoxically, actual migrants are displaced by an emphasis on overarching migration phenomena. Taking the late-modern era as its focus, it traces the global dimensions of two lives spanning almost two centuries to open out broader questions, not least about race and ethnicity. Jacob Riis (1849-1914) and Gérald Bloncourt (1926-2018) were both leading documentary photographers who shared a deep commitment to social reform and the amelioration of working-class conditions. Each recorded migration histories on camera and in writing, thereby enabling an analysis of multi-media representations emanating from the same source. That both were of migration backgrounds themselves—Riis having moved from Denmark to the United States and Bloncourt from Haiti to France—renders the images and texts they created particularly resonant. Their own origins and mobile lives proved crucial to their interpretations of the wider flows of people that have connected Europe with different global settings—and continue to do so today.

Richard Drayton

Histoire sociale de l’Europe et tournant global Une rencontre tardive

Pourquoi l’histoire européenne a-t-elle pris si tard le tournant global ? Si le passé de l’Europe s’est bien sûr toujours construit par rapport à ses périphéries islamiques ou mongoles, et plus tard par rapport à ses colonies, ce n’est que récemment que l’on a compris que l’histoire européenne et extra-européenne s’entremêlent dans une relation dynamique d’influences réciproques. L’histoire intellectuelle et économique l’a reconnu avant l’histoire sociale qui, dans son épanouissement à partir des années 1960, tenait pour acquis que les formes sociales européennes étaient à la fois plus avancées et catégoriquement différentes des autres. Dans les années 1970 et 1980 cependant, une génération après la décolonisation politique, de nouveaux travaux ont commencé à explorer l’influence des périphéries sur le noyau européen et à évaluer l’Europe de l’extérieur. Depuis le début du xxie siècle, on assiste à l’émergence d’une histoire sociale européenne globalisée. En sortant des contraintes du paradigme national, elle ouvre la voie à de nouveaux projets et méthodes historiques pan- et transeuropéens. Ceux-ci suscitent de nouvelles questions sur la façon dont nous pourrions reconfigurer l’histoire européenne de manière à comprendre l’Europe centrale et orientale selon leurs propres termes plutôt que comme de simples extensions retardées de phénomènes européens occidentaux « avancés ».

European Social History: A Latecomer to the Global Turn?

Why did European history come so late to the global turn? Europe’s past had of course always been constructed relative to its Islamic or Mongol peripheries, and later its colonial offshore. But only recently has it been understood that European and extra-European history are in a dynamic relationship of reciprocal influence. Intellectual and economic history recognized this before social history, which in its post-1960 flowering took it for granted that European social forms were both more advanced and categorically different from others. During the 1970s and 1980s, however, a generation after political decolonization, new work began to explore the impact of peripheries on the European core, and to measure Europe from the outside. After 2000, a globalized European social history became visible. Its evasion of the constraints of the national paradigm has opened up striking new pan- and trans-European historical projects and methods. These are provoking new questions about how we might reconfigure European history in ways which understand eastern and central Europe in their own terms, rather than simply as the retarded extensions of “advanced” western European phenomena.

Abigail Green

L’histoire globale de l’Europe à l’aune de la religion

L’histoire européenne en tant que champ a été construite autour d’une idée de l’Europe – de ses frontières, de ses valeurs, de sa civilisation et de ses nationalités – structurée par le christianisme et ses héritages séculiers. Plutôt que de chercher à globaliser l’histoire de l’Europe en considérant l’influence de la chrétienté sur d’autres parties du monde, et vice versa, cet article remet en question ce récit dominant. Il se demande comment l’historiographie de l’Europe peut intégrer les historiographies des populations non chrétiennes de l’Europe, à savoir les juifs et les musulmans. Ces historiographies possèdent leurs rythmes propres, ainsi que des cadres conceptuels et des géographies spécifiques, dans lesquels l’Europe revêt des connotations très différentes ; elles déplacent notre attention du Nord et de l’Ouest vers le Sud et l’Est, nous enjoignant de penser différemment l’Europe et la diversité qui a toujours existé en son sein. Séparément, ces historiographies parlent d’expériences très différentes. Prises ensemble, elles nous aident à penser d’une autre manière l’interface entre l’Europe et le monde, et à écrire l’histoire de l’Europe elle-même à contre-courant.

Religion and the Global History of Europe

European history has been defined as a field by a notion of Europe—its borders, values, civilization, and nationalities—that is structured by Christianity and its secular legacies. Rather than seeking to globalize the history of Europe by considering the impact of European Christianity on other parts of the world, and how it was impacted by them, this article challenges that narrative. It asks how the historiography of Europe can be integrated with the historiographies of Europe’s historic non-Christian populations, namely Jews and Muslims. These are historiographies with their own rhythms, conceptual frameworks, and geographies in which Europe carries quite different connotations. They shift our attention from the north and west to the south and east, enjoining us to think differently about Europe and the diversity that has always existed within it. Separately, these historiographies speak to very different experiences. Taken together, they help us to think differently about the interface between Europe and the world, and to write the history of Europe itself against the grain.

Stephen W. Sawyer

Déglobaliser l’histoire globale de l’Europe

Cet article soutient que les récentes histoires globales de l’Europe ne représentent qu’un mode très spécifique de conscience globale dans l’historiographie et les sciences sociales européennes. S’il ne fait aucun doute que notre compréhension du passé européen serait plus que desservie par un isolationnisme malvenu ou le simple rejet des considérables gains scientifiques de l’histoire globale, les récents changements dans les structures, les technologies et les modes de la mondialisation héritée de l’après-guerre froide nous poussent à reconsidérer la manière dont cette interconnexion globale s’est effectivement réalisée à d’autres époques et en particulier au xixe siècle. L’histoire européenne après notre plus récent « tournant global » doit tenir compte des modes antérieurs de conscience globale et examiner comment la mondialisation elle-même s’est en retour vue façonnée par cette connaissance. En effet, la compréhension passée de l’interconnexion mondiale n’a pas nécessairement favorisé l’ouverture des frontières, une interdépendance ou une fluidité culturelle croissantes. Ainsi, en réponse aux forces mondiales perçues, des modes d’organisation sociale de désintégration et de réduction d’échelle émergèrent et se consolidèrent. On a également pu assister à des tentatives de canalisation des bénéfices de ces processus mondiaux à la suite de la prise de conscience de leurs retombées potentiellement enrichissantes et déstabilisantes. Ces efforts de contrôle de la mondialisation ne l’ont pas empêchée, mais lui ont donné une forme spécifique à des moments particuliers. À titre d’exemple, l’article soutient que le demi-siècle qui a suivi la Révolution française a été le témoin de ce que l’on pourrait appeler une globalisation déglobalisante, soit un moment où l’intégration mondiale, que beaucoup considéraient comme responsable du bouleversement de la Révolution, ne s’est certainement pas arrêtée, mais s’est vue réorientée au service d’une nation souveraine par la naissance de nouveaux modes d’écriture des sciences sociales et de l’histoire.

Deglobalizing the Global History of Europe

This article argues that recent global histories of Europe represent just one quite specific mode of global awareness in a long history of European global historical and social scientific consciousness. There is no doubt that our understanding of the European past would be more than ill-served by misplaced isolationism or the simple rejection of the massive scientific gains made by global history. Yet recent shifts in the structures, technologies, and modes of the globalization inherited from the post-Cold War world push us to reconsider how that global interconnectedness was achieved. European history after our most recent “global turn” must take into account previous modes of global consciousness and examine how globalization itself has been shaped by this knowledge. Indeed, past understanding of global interconnectedness did not necessarily lead to more open borders, increased interdependency, or growing cultural fluidity. Dis-integrating downscaling modes of social organization were invented and reinvigorated in response to perceived global forces. There were also conscious attempts to channel the fruits and accumulations of global processes based on an awareness of their potentially enriching and destabilizing impact. These efforts to take control of globalization did not stop it, but they did give it a specific shape in particular moments. As a case in point, the article argues that the half-century following the French Revolution witnessed what might be called a deglobalizing globalization: a moment when the global integration that many considered responsible for the upheaval of the Revolution certainly did not stop, but was redirected in the service of a sovereign nation through the birth of new modes of social science and history writing.

Thomas Ertl and Klaus Oschema

Les études médiévales après le tournant global

Cette contribution cherche à évaluer l’influence du « tournant global » sur les études médiévales, et notamment sur le Moyen Âge européen. Développer des perspectives globales pour la période prémoderne constitue un véritable défi. Tout d’abord, la notion même de « Moyen Âge » est un concept eurocentrique dont application à des contextes non européens peut être critiquée. Ensuite, si l’observation de contacts et de réseaux d’échanges de grande envergure a ouvert de considérables voies de recherche en histoire prémoderne, l’importance quantitative de ces contacts reste difficile à évaluer. Enfin, il existe une tension permanente entre différentes visions de la fonction de l’histoire (médiévale) dans la société. Malgré ces problèmes, les récentes contributions au « Moyen Âge global » ont ouvert de nouvelles approches à des phénomènes qui sont tout aussi pertinents pour les études médiévales européennes. Si le tournant global ne remodèle pas entièrement l’histoire de l’Europe médiévale, il ajoute certainement des nuances importantes et de nouvelles perspectives à de nombreux sujets qui non seulement résonnent avec les intérêts actuels, mais ont longtemps été une préoccupation de l’histoire médiévale européenne, comme la migration, le commerce et la religion. En dépit des difficultés et des défis (méthodologiques, linguistiques, etc.) qu’il pose, le tournant global a le potentiel de contribuer au développement de nouvelles approches thématiques ainsi que de nouvelles formes de coopération dans le domaine des études médiévales.

Medieval Studies after the Global Turn

This contribution seeks to evaluate the influence of the “global turn” on medieval studies, with an accent on the European Middle Ages. Developing global perspectives for the premodern period constitutes a real challenge. First, the very notion of the “Middle Ages” is a Eurocentric concept and its application in non-European contexts can be criticized. Second, while the observation of far-ranging contacts and networks of exchange has opened important avenues for research in premodern history, the quantitative significance of those contacts remains difficult to evaluate. Third, there is an ongoing tension between different visions of (medieval) history’s function in society. Despite these problems, recent contributions to the “global Middle Ages” have opened up new approaches to phenomena that are equally pertinent for European medieval studies. While the global turn might not entirely reshape the history of medieval Europe, it certainly adds important layers and new perspectives to subjects that not only resonate with contemporary interests but have long been a concern of European medieval history, such as migration, commerce, and religion. In spite of the difficulties and challenges (methodological, linguistic, etc.) that it poses, the global turn has the potential to contribute to the development of new thematic approaches and new forms of cooperation in the field of medieval studies.

Richard J. Evans

Histoires globales de l’Europe contemporaine

La profession d’historien est apparue en Europe au xixe siècle, en même temps que l’émergence de l’État-nation. Les historiens de la période moderne et contemporaine se sont surtout concentrés sur l’histoire politique des États-nations et l’histoire diplomatique des relations entre eux. Les aspects globaux de l’histoire européenne ont principalement été abordés sous l’angle de l’influence de l’Europe sur d’autres parties du monde, comme dans la « double révolution » d’Eric Hobsbawm (les répercussions mondiales de la Révolution française et de la révolution industrielle) ou l’histoire des possessions coloniales de l’Europe. Pourtant, de nombreux développements clefs dans l’Europe des xixe et xxe siècles, du libéralisme des révolutions latino-américaines des années 1820 aux retombées économiques de la culture du coton adossée à l’esclavage dans le Sud des États-Unis, furent manifestement sensibles aux influences mondiales. Les processus de globalisation de la fin du xxe siècle ont permis de les mettre en lumière et ont alimenté une approche qui place l’histoire de l’Europe dans un contexte global d’interaction mutuelle. Pourtant, l’État-nation n’est pas mort, et les gouvernements nationaux encouragent vigoureusement un retour aux histoires nationales au service d’une éducation patriotique. Si l’histoire globale n’est pas appelée à disparaître, sa place dans le système éducatif, en particulier dans les programmes scolaires, reste fortement contestée.

Global Histories of Modern Europe

The historical profession emerged in Europe in the nineteenth century in tandem with the rise of the nation-state. Historians of the modern period in particular focused above all on the political history of nation-states and the diplomatic history of relations between them. Global aspects of European history were covered mainly in terms of Europe’s impact on other parts of the world, as in Hobsbawm’s “dual revolution” (the worldwide repercussions of the French Revolution and the Industrial Revolution), or the history of Europe’s colonial possessions overseas. And yet there were demonstrable global influences on many key developments in nineteenth- and twentieth-century Europe, from the liberalism of the Latin American revolutions of the 1820s to the economic impact of the cotton-growing slave economies of the American south. The globalization processes of the late twentieth century have brought these into sharper focus and powered an approach that places Europe’s history in a broader global context of mutual interaction. Yet the nation-state is not dead, and national governments are vigorously promoting a return to national histories in the service of patriotic education. Global history is here to stay, but its place in the educational system, particularly school curricula, remains heavily contested.