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Les Trois Révolutions Agricoles du Monde Développé : Rendements et Productivité de 1800 a 1985

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Paul Bairoch*
Affiliation:
Université de Genève

Extract

Les multiples débats sur la révolution agricole ont été parfois obscurcis par des confusions sur la signification des deux composantes les plus importantes des changements de l'agriculture, à savoir les rendements et la productivité. En fait, on peut retrouver l'origine de cette confusion dans certains écrits des fondateurs de l'économie politique et, notamment, dans la célèbre loi des « rendements décroissants » de David Ricardo. La confusion n'en incombe pas à Ricardo, mais à l'emploi de l'expression « diminishing returns », qui a été traduit par « rendements décroissants » (parfois aussi par « rendements non proportionnels »), mais qui signifie en fait « productivité décroissante » ; puisque le principe de la loi des rendements décroissants est que « si l'on accroît la production en intensifiant la culture sur les terres déjà occupées, tout accroissement de la production exigera un accroissement plus que proportionnel du travail employé ».

Summary

Summary

This study, based on the elaboration of new data series, analyses the historical evolution of different agricultural yields and (labor) productivity. It highlights the specific characteristics of each of the three agricultural revolutions. The first (1700-1850/70), despite its moderate character, constituted a fundamental break with the past because in the space of 6 to 8 decades, productivity increased as much as in the preceding 8 to 9 millennia. The second agricultural revolution (1850/70-1936/50), brought about by mechanization and the development of artificial fertilizers, witnessed the beginning of the decline in the absolute number of agricultural workers, and an acceleration in yield growth, but little change in the rhythm of productivity growth. The third agricultural revolution (1936/50-1985) constituted a fundamentally new break, yields and productivity growing 4 to 5 times faster than before.

Type
Évolutions Économiques
Copyright
Copyright © Les Éditions de l'EHESS 1989

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References

Notes

1. Article « Rendements décroissants » dans le Dictionnaire des sciences économiques (sous la direction de J. Romeus), Paris, 1958. C'est dans An Essay on the Influence of a Low Price of Corn on the Profits of Stock, 2e édition 1815 (réimprimé dans Gonner, E. C. K. : Economic Essays by David Ricardo, Londres, 1926, pp. 225253 Google Scholar) que Ricardo développe largement et nuance l'idée de Malthus à ce propos.

2. C'est ainsi que le Dictionnaire économique et social du Centre d'études et de recherches marxistes (Paris, 1975) donne comme explication du terme « rendement » : « Si l'on prend par exemple les rendements de l'ouvrier mineur de fond, on l'exprime en kilogramme par jour (exemple arbitraire : 1200 kg/jour) ; de même si l'on traduit le rendement d'une culture, on dit que le rendement du blé est par exemple de 25 quintaux à l'hectare ». Dans le Dictionnaire des sciences économiques (sous la direction de A. Cotta, Paris, 1968) la définition du terme « rendement » commence par « synonyme de productivité ».

3. Le présent article est basé sur notre étude : P. Bairoch, L'agriculture des pays développés de 1800 à 1985. Production, emploi, durée du travail, rendements et productivité, Monographie du Centre d'histoire économique internationale, Genève, 1989. Cette étude a bénéficié d'un projet financé par le Fonds national suisse de la Recherche scientifique, que nous tenons à remercier ici, et qui, en quelque sorte, est un élargissement d'un projet similaire publié il y a plus de vingt ans faisant partie d'un article (P. Bairoch : « Niveaux de développement économique au xixe siècle », Annales ESC, 20e année, n° 6, 1965, pp. 1091-1117) qui comportait des séries sur la productivité agricole d'un certain nombre de pays développés. Dans l'étude du Centre d'histoire économique internationale nous avons élargi l'analyse de l'agriculture aux problèmes de l'emploi et, surtout, des rendements. De plus, nous avons totalement remanié les séries sur la productivité. Les éléments nouveaux introduits dans les séries de la productivité sont les suivants : 1) le passage d'un choix de 11 pays à l'ensemble des 24 pays composant alors le monde développé sans le Japon et sans l'Afrique du Sud ; 2) le nombre de périodes prises en considération pour le xrxe siècle ; 3) bien que l'essentiel de notre recherche porte sur le xixe siècle nous avons également élaboré des données pour la période 1908/12-1983/87 ; 4) la gamme de produits pris en considération a été élargie ; 5) révision de certains aspects méthodologiques.

4. Ce n'est pas en raison du manque d'intérêt pour ce problème que nous considérons comme crucial, mais pour des raisons de dimension de l'article. Le lecteur intéressé pourra se reporter notamment à nos études : Bairoch, P. : Révolution industrielle et sous-développement, Paris, 1963 (4e éd., Paris, 1974)Google Scholar. Ainsi que P. Bairoch : « Agriculture and the Industrial Révolution », dans Cipolla, C. M. éd. : The Fontana Economic History of Europe, vol. 3, Londres, 1973 (pp. 452506)Google Scholar. Voir également Bairoch, P. : De Jéricho à Mexico. Villes et économie dans l'histoire, Paris, 1985 Google Scholar. Et notre article : « Impact des rendements agricoles, de la productivité agricole et des coûts de transport sur la croissance urbaine de 1800 à 1910 », dans Séminaire de l'Union internationale pour l'Étude scientifique de la population sur l'urbanisation et la dynamique de la population dans l'histoire, Tokyo, janvier 1986 (à paraître sous le titre « The Impact of Crop Yields, Agricultural Productivity and Transport Costs on Urban Growth between 1800 and 1910 » dans les Actes de ce séminaire).

5. A fin de nous conformer à la pratique de la F.A.O. ainsi qu'à celle du langage actuel, nous utilisons le terme de « blé » et non de « froment ». Rappelons que, dans le cadre des périodes non contemporaines, on incluait sous la dénomination de « blé » une série de céréales secondaires, telles que l'épeautre ; et que, dans certains cas, le terme « blé » était synonyme de l'ensemble des céréales.

6. C'est-à-dire en termes de calories directes. Signalons que par calories directes on entend les calories végétales ou calories « initiales » afin de les distinguer des calories animales ou « élaborées » ou « indirectes » de provenance animale (lait, viande), lesquelles nécessitent pour leur production une quantité plus grande de calories directes. En termes de valeur de la production, les pourcentages sont évidemment différents, puisque le prix moyen d'une calorie de blé est sensiblement inférieur à celui de bien d'autres produits agricoles. Par exemple, si l'on prend la situation française comme étant à peu près représentative de celle de la moyenne européenne, pour 1898-1902 les prix (au producteur) du blé et du vin sont pratiquement identiques (respectivement 0,249 et 0,250 francs le kg), alors que le blé compte environ 3 400 calories par kilo et le vin environ 900, soit un écart par calorie de 1 à 3,8. Pour la viande, et exprimée en calories directes, la différence est très marginale. La viande de bœuf valait 1,68 frs le kilo. Comme en termes de calories directes cela se traduit par environ 21 000 calories par kilo, les 1 000 calories de viande valaient 0,080 francs et les 1 000 calories de blé 0,074.

7. En suivant la définition de la F.A.O. sont comprises dans les terres arables les cultures arborescentes permanentes (vignes, vergers, etc.) et sont exclus les pâturages. Les terres labourables temporairement en friche sont évidemment incluses dans le total.

8. A titre de comparaison rappelons l'évolution des rendements de blé.

1800 1850 1880 1910
France 8,5 10,9 10,9 13,2
Europe moins Russie 8,6 9,4 10,3 12,6

9. Il s'agit d'une estimation assez grossière, car la spécialisation régionale a débuté avant 1880.

10. La France agricole, n° 2245, 8 juillet 1988.

11. Voici l'évolution de la production annuelle de l'Europe sans la Russie (et sans la Pologne après 1909/12) des diverses céréales (moyennes annuelles ; millions de tonnes) :

1876/85 1909/13 1934/38 1948/52 1983/87
Blé 27,9 35,4 40,4 39,3 103,4
Seigle 16,9 18,8 12,3 11,4 7,0
Avoine 17,9 25,4 20,7 17,7 10,7
Orge 11,6 13,9 12,5 14,0 67,0
Maïs 9,2 15,0 17,4 12,8 50,6
Total ci-dessus 82,9 108,5 103,2 95,3 234,9
Ensemble des céréales 111,6 1099,4 100,3 242,9

12. Signalons que ce n'est qu'à partir des années 1830 que la production de sucre de betteraves a commencé a atteindre des quantités significatives. Selon nos estimations, basées sur les données nationales, la production des pays développés était, vers 1840, de l'ordre des 50 000 tonnes (soit 0,2 kg par habitant), mais atteignait 7 940 000 tonnes en 1909/13 (soit 13,8 kg par habitant). Actuellement, le volume des betteraves à sucre récoltées en Europe atteint une quantité supérieure à celle du blé.

13. En 1948/52, l'Europe représentait 65 % de la production mondiale de betteraves à sucre (l'URSS 23 % et l'Amérique du Nord 12 %). Pour 1982/86, il s'agit respectivement de 52 %, 29 % et 8 %.

14. Il y eut d'abord, au début des années 1930, la mise au point d'un procédé qui permit d'éliminer une odeur désagréable de l'huile de soja. Et, plus tard, de procédés d'extraction de cette huile par solvants qui permirent d'accroître la proportion d'huile.

15. Cela est bien entendu une simplification, puisque par exemple un des deux avantages majeurs du semoir — introduit au début de la révolution agricole — était de réduire les besoins en semence (l'autre étant le gain de productivité).

16. Le calcul est très simple. Si nous postulons des rendements moyens de céréales de 8,5 quintaux à l'hectare pour 1800 et de 13,0 quintaux pour 1910, dans l'hypothèse des 8,5 quintaux il faut déduire environ 15 % pour les semences contre environ 10 % dans l'hypothèse des 13,0 quintaux. Donc, en termes nets, les 8,5 quintaux deviennent 7,2 quintaux et les 13,0 quintaux deviennent 11,7 quintaux.

17. Signalons qu'il ne faut pas déduire de ces ratios en grains des ratios strictement identiques en poids ; car, en règle générale, le poids moyen des grains récoltés est un peu plus faible que celui des grains retenus pour les semences.

18. Slicher van Bath, B. H., The Agrarian History of Western Europe : A.D. 500-1850, Londres, 1963 Google Scholar.

19. L'utilisation de calories directes (pour la définition voir note 6), bien qu'impliquant une part d'arbitraire, se justifie pleinement. Les progrès de l'élevage amènent, en effet, une modification de ces coefficients : d'une part, la tendance à l'abattage d'animaux plus jeunes entraîne une réduction des calories absorbées par l'« entretien de l'animal » ; d'autre part, l'amélioration des races et des techniques d'élevage proprement dites conduit à l'accroissement du rendement énergétique (accroissement du nombre de calories de viande produites pour une quantité donnée de fourrage ou d'autres aliments absorbés par l'animal). Par conséquent, au fur et à mesure que l'agriculture se développe, le coefficient en question se restreint.

20. Sans parler du xixe siècle, signalons que, même pour la période contemporaine, c'est un domaine fort peu couvert par les statistiques et pour cause : l'essentiel du travail agricole étant le fait d'agriculteurs indépendants et les horaires quotidiens de travail effectif variant considérablement selon les saisons. D'ailleurs il est significatif que dans la publication la plus complète du B.I.T. (Bureau international du travail) — qui porte sur la durée du travail — il n'est même pas fait mention du travail agricole (A. A. Evans, Hours of Work in Industrialized Countries, Genève, 1975 ; nouvelle impression 1978). D'ailleurs dans l' Annuaire statistique du travail du même organisme ne figure aucune série sur la durée du travail dans l'agriculture, alors qu'une cinquantaine de pages sont consacrées chaque année à la durée du travail dans d'autres secteurs.

21. La quasi-totalité des rares indices actuels de la productivité agricole a une méthodologie très voisine de celle que nous avons utilisée, les différences portant essentiellement sur la pondération pour la totalisation de la production. Pour un aperçu des problèmes méthodologiques en ce domaine voir notamment W. Peterson et Y. Hayami, « Technological Change in Agriculture », dans L. R. Marin éd., Survey of Agricultural Economic Literature 1940's to 1970's, vol. 1, Métropolis, 1977 (pp. 497-540). Il va de soi que l'idéal pour les calculs de productivité (ce qui est parfois possible pour des secteurs industriels) serait de tenir compte de tous les facteurs de production (capitaux, machines, etc.). Mais, comme le souligne dans son manuel Raymond Barre (Économie politique, vol. I, Paris, 1955, p. 424) il faut bien reconnaître que « le plus souvent la notion usuelle de productivité est la productivité du travail humain ». C'est à peu près dans les mêmes termes que s'exprimait en 1949 Michel Cépède dans son excellente synthèse « La mesure de la productivité en agriculture » (Études et monographies. Revue du ministère de l'Agriculture, n° 5, mai 1949, pp. 85-101) : « La conception la plus courante de la “ productivité “ concerne celle du travail humain » (p. 91).Et ceci est resté valable jusqu'à aujourd'hui non seulement pour l'agriculture mais aussi pour les autres secteurs.

22. Nous avons calculé une série de seuils de productivité qui permettent de replacer dans un contexte plus concret nos indices. Le premier seuil, que nous avons qualifié de seuil de productivité minimum, est basé sur les paramètres suivants : une consommation alimentaire de 2 100 calories par jour, la probabilité que nos indices omettent 10 % de la consommation alimentaire (omission de certains produits, tels que fruits, légumes, gibier, etc.), et une absence totale de secteurs non agricoles. Le résultat est un indice de l'ordre de 3,0. En ajoutant au seuil précédent 15 % de non-agriculteurs et des pertes de récoltes de l'ordre de 10 % pour cause de détériorations, on aboutit à un seuil de productivité physiologique qui se situe vers l'indice 3,8. En tenant compte des fluctuations des rendements à court terme, on aboutit à un seuil potentiellement dégagé du risque de famine de l'ordre de 4,9. (Pour plus de détails sur ces seuils, voir P. Bairoch, Diagnostic de l'évolution économique du Tiers monde, 1900-1966, Paris, 1967, 4e éd. revue et augmentée, 1970, pp. 41-45).

23. L. Malassis et M. Padilla, Économie agro-alimentaire, vol. III : L'économie mondiale, Paris, 1986 (pp. 10-11 et 186-188). Les auteurs signalent que cet aspect sera développé dans le tome II (à paraître).

24. Pour plus de détails, voir la section B2 de notre étude : L'agriculture des pays développés de 1800 à 1985, op. cit. (au moment où le présent article est sous presse, certains aspects de cette question ne sont pas finalisés dans l'étude sus-mentionnée).

25. En ce qui concerne le sens inverse, à savoir le transfert de techniques agricoles des États- Unis vers l'Angleterre (et, bien sûr, il s'agit de la deuxième révolution agricole) voir notamment C. A. Jewell, « The Impact of America on English Agriculture », Agricultural History, vol. 50, n° 1, janvier 1976, pp. 125-136.

26. Comme cela arrive souvent, l'homogénéisation des données en vue d'améliorer la comparabilité peut aussi avoir son revers. C'est le cas notamment dans la comparaison France-URSS. Rappelons que le calcul de la productivité est basé sur les actifs agricoles masculins. Or, en URSS (en 1980), les hommes ne représentaient que 48 % des actifs travaillant dans l'agriculture, contre 67 % en France. Et une partie importante de cette différence correspond à une réalité concrète. Donc, si l'on tient compte approximativement de cet élément, l'écart de productivité s'en trouve accru (passant de 1 à 3 à probablement 1 à 4). Mais notons que des écarts importants dans les pourcentages des femmes dans la population active agricole existent dans l'Europe de l'Est comme dans celle de l'Ouest sans que cela recouvre nécessairement des différences effectives aussi fortes. Par exemple, voici pour 1980 quelques-uns de ces pourcentages : Allemagne : 51,2 % ; Irlande : 9,0 % ; Espagne : 13,9 % ; Italie : 34,4 % ; Hongrie : 36,3 % ; Roumanie : 65,6 % ; etc.

27. Pratiquement tous les articles et livres qui incluent le terme « révolution agricole » se réfèrent à celle du xviiie siècle-première moitié du xixe siècle. Il en est de même des rares encyclopédies et dictionnaires qui comportent un article sur ce sujet (par exemple la 14e édition de la Britannica).

28. Les disparités régionales en ce domaine se restreignent durant le xixe siècle : vers 1890 il ne s'agit plus que d'un écart de 1 à 4,0 ; et en 1929 de 1 à 2,9. Cf. J.-C. Toutain, « Les disparités de la croissance de l'agriculture française de 1840 à 1980 », à paraître dans les Cahiers de l'I.S.E.A.

29. Clark, G., « Productivity Growth without Technical Change in European Agriculture before 1850 », Journal of Economie History, vol. XLVII, n° 2, juin 1987, pp. 419432 CrossRefGoogle Scholar.

30. C. A. Reed, « Origins of Agriculture : Discussion and Some Conclusions », dans Reed, C. A. éd., Origines of Agriculture, La Haye-Paris, 1977, pp. 879953 CrossRefGoogle Scholar.

31. Cohen, M. N., The Food Crisis in Prehistory Overpopulation and the Origins of Agriculture, New Haven, 1977 Google Scholar.

32. Duby, G., « La révolution médiévale », Revue de Géographie de Lyon, vol. 29, n° 4, 1954, pp. 361366 CrossRefGoogle Scholar.

33. B. H. Slicher van Bath, Yield Ratios, 810-1820, Wageningen, 1963.

34. P. Bairoch, De Jéricho à Mexico…, op. cit., p. 167.

35. Persson, K. G., Pre-Industrial Economic Growth Social Organization and Technological Progress in Europe, Oxford, 1988 (notamment pp. 114118)Google Scholar.

36. E. A. Wrigley, « Urban Growth and Agricultural Change : England and the Continent in the Early Modem Period », Journal of Interdiciplinary History, vol. XV, n° 4, Spring 1985, pp. 683-728.

37. P. Bairoch, J. Batou et P. Chèvre, La population des villes européennes de 800 à 1850, Centre d'histoire économique internationale, Université de Genève, Genève, 1988.

38. J. Fourastié, « Note sur la mesure de la productivité du travail dans la culture des céréales au cours de la période 1400-1600 par la méthode des prix réels », dans J. Fourastié, Prix de vente et prix de revient, 14e série, Paris (sans date), pp. 31-36.

39. A notre connaissance, on dispose de quatre estimations de la croissance de la productivité agricole anglaise durant le xviiie siècle. Mais toutes ces tentatives, fautes d'estimations valables de la production agricole, se basent sur des estimations très grossières de l'évolution de la structure de la population active ou sur celles un peu moins grossières du taux d'urbanisation. Il y a d'abord celle de P. Deane, et W. A. Cole (British Economie Growth 1688-1959, 2e éd., Cambridge, 1969), lesquels, adoptant l'hypothèse peu vraisemblable d'une consommation alimentaire par habitant stable, estiment (p. 75) que la productivité a progressé d'environ 25 % (soit 0,22 % par an). Crafts, N. F. R. (British Economie Growth during the Industrial Révolution, Oxford, 1985)Google Scholar n'a pas directement calculé l'évolution de la productivité, mais a procédé à une révision des chiffres de Deane et Cole en ce qui concerne la production. De cela on peut déduire une progression de l'ordre de 0,5 % par an de cette productivité. E. A. Wrigley (« Urban Growth and Agricultural Change… », op. cit.) aboutit à une progression de l'ordre de 52 % (soit 0,4 % par an). K. G. Persson (” Aggregate Output and Labour Productivity in English Agriculture 1688-1801. A Novel Approach and Comforting New Results », papier présenté à l'European Economie Association Annual Conference, Bologne, 27-29 août 1988, p. 12), en utilisant une approche un peu différente de celles des trois précédents chercheurs, aboutit à une croissance de 0,26 à 0,32 % par an entre 1688 et 1801/03. Quant à nous, en utilisant nos récentes estimations de la population urbaine (P. Bairoch, J. Batou, et P. Chèvre, La population des villes…, op. cit.) et en postulant une augmentation de 5-15 % de la consommation de produits agricoles par habitant et une détérioration de la balance commerciale agricole de l'ordre de 10-15 %, nous aboutissons à un taux annuel de l'ordre de 0,6 %. D'autre part, en partant du niveau de la productivité du Royaume-Uni de 1800 (tel que nous l'avons calculé) et en postulant que vers 1700 la productivité y était voisine de celle de pays comme l'Allemagne ou la France vers 1800, on obtient un taux de progression de 0,7 % par an.

40. A ce propos voir la partie B2 de notre étude L'agriculture des pays développés de 1800 à 1985, op. cit.

41. Toutefois, il y a là un débat qui est loin d'être clos. Pour quelques données se rapportant à cet aspect on peut se référer à notre analyse : « Population Growth and Long Terme International Economie Growth », dans Union internationale pour l'Étude scientifique de la Population, Congrès international de la Population, Manille 1981, Liège 1981 (pp. 141-163).

42. A la même période, dans certaines sociétés du Tiers monde, les rendements de riz (paddy) atteignirent des niveaux très élevés. Citons les rendements suivants : 15,8 quintaux en Indonésie ; 21,0 au Mexique ; 22,5 en Corée ; 31,5 en Syrie ; 34,9 en Egypte ; etc. Signalons cependant qu'à niveau technologique voisin les rendements de riz dépassaient ceux du blé.

43. A ce propos voir notre recherche dans ce domaine reprise dans P. Bairoch, « Impact des rendements agricoles, de la productivité agricole et des coûts de transport sur la croissance urbaine de 1800 à 1910 », dans op. cit.

44. Ainsi, si l'on prend les niveaux de rendement de blé et ceux de la productivité pour les 23 pays développés en 1908/12, on obtient un coefficient de corrélation non significatif de 0,338. En éliminant les pays encore peu touchés par les modifications technologiques (nous avons éliminé les pays dont le niveau de productivité était inférieur à 10), le coefficient de corrélation pour les 15 pays restant tombe à 0,061.

45. Le lecteur intéressé par ces données peut se référer à la partie « Emploi et durée de travail » de notre étude déjà mentionnée : cf. P. Bairoch, L'agriculture des pays développés de 1800 à 1985, op. cit.

46. Les meilleures séries en la matière sont celles des États-Unis où, par exemple, vers 1840 le travail pour la récolte du blé représentait 66 % du travail total.

47. Pour un historique des politiques commerciales, cf. P.Bairoch, « European Trade Policy, 1815-1914 », dans P. Mathias et S. Pollard, éds : The Cambridge Economic History of Europe, vol. VIII : The Industrial Economies : The Development of Economic and Social Policies, Cambridge, 1988 pp. 1-160.

48. C'est un appui à la thèse de E. Boserup (The Conditions of Agricultural Growth, Londres, 1965) qui, dans la pression démographique, voit un facteur essentiel pour les progrès des techniques agricoles.

49. Le mouvement migratoire de l'Europe vers l'outre-mer, et essentiellement vers les pays développés d'outre-mer, constitue la migration la plus importante de l'histoire de l'humanité : entre 1848 et 1915 quelque 50 millions d'Européens ont quitté le vieux continent (mais plus de 20 millions d'entre eux sont revenus) ; et, entre 1914 et 1929, quelque 9 autres millions ont émigré outre-mer.

50. Même des pays qui étaient très fortement déficitaires en céréales à la veille de la première guerre mondiale sont, actuellement, très proches de l'autosuffisance (ou même autosuffisants). Voici, pour les 5 pays les plus déficitaires vers 1913, l'évolution du taux d'autosuffisance en céréales (en %) :

1909/13 1934/38 1948/52 1982/86
Belgique 41 41 55 80
Norvège 36 40 39 75
Pays-Bas 33 43 47 30
Royaume-Uni 38 42 53 102
Suisse 22 23 36 50

51. Pour l'ensemble de l'Europe occidentale, voici les grandes tendances de la situation céréalière (en millions de tonnes) :

Production Balance commerciale Taux d'autosuffisance
1934/38 88,1 -23,1 79%
1948/52 74,4 -21,9 77 %
1968/72 138,4 -21,3 87%
1978/82 171,1 -11,7 94%
1983/87 191,4 + 12,2 106%

52. Chiffre élaboré par le « Service central des enquêtes et études statistiques », cité par Le Monde du 26 juillet 1988.

53. P. Bairoch, « L'évolution de la productivité agricole dans les pays économiquement sous- développés de 1909 à 1964 », Développement et civilisations, n° 25, mars 1966, pp. 15-31. Repris et mis à jour dans P. Bairoch, The Economic Development ofthe Third World since 1900, Londres, 1975 (notamment pp. 21-48) ainsi que partiellement dans P. Bairoch, Le Tiers monde dans l'impasse. Le démarrage économique du XVIIIe au XXe siècle, nouvelle édition revue et augmentée, Paris, 1983 (notamment p. 182). Les données pour 1983/87 ont été calculées pour le présent article.

54. En raison du caractère plus aléatoire des statistiques agricoles de la Chine, nous avons exclu ce pays de l'ensemble du Tiers monde.

55. Déjà, au cours du xixe siècle, le nombre d'actifs agricoles du Tiers monde (à économie de marché) a progressé de quelque 55-60 % ; et, entre 1900 et 1950, cette progression a été de l'ordre de 43 %. Or la superficie des terres agricoles n'a que très faiblement progressé, de sorte que, vers 1950, la densité d'occupation de ces terres était environ deux fois supérieure à celle de 1800.

56. Toutefois, notons qu'il est probable que l'indice de la F.A.O. ait surestimé un peu plus fortement la croissance durant la décennie 1950/60 que celle des périodes ultérieures. Mais, dans un sens opposé, il faut signaler un phénomène de rattrapage enregistré durant cette décennie.

57. Voici pour la période 1950/85 les superficies des terres arables (y compris cultures permanentes, mais non compris pâturages) en hectares par actif agricole masculin :

1948/52 1958/62 1968/72 1978/82 1983/87
Tiers monde à économie de marché 2,5 2,3 2,1 2,0 1,9
Pays développés occidentaux 7,5 10,4 15,7 21,1 24,9

La situation est surtout dramatique dans maints pays de l'Asie du Sud-Est. Ainsi, au Bangladesh, on est passé de 0,62 hectare par actif agricole vers 1960 à 0,47 en 1985. Et, de surcroît, les terres agricoles occupent 68 % de la superficie totale des terres et sont sujettes à de fréquentes inondations.

58. Bien entendu, il s'agit de salaires traduits grâce aux taux de change courants. En tant que moyenne des salaires du Tiers monde, il s'agit des pays suivants (choisis en fonction de la disponibilité en données) : Colombie, Inde, Mexique, Pakistan et Philippines. En tant que moyenne des pays développés occidentaux, il s'agit des pays suivants : Allemagne (Rép. Féd.), Belgique, Canada, Danemark, Espagne, Japon et Suisse.

59. Même dans le Tiers monde l'utilisation d'engrais et de pesticides a augmenté considérablement ces dernières décennies. Ainsi, pour les principaux engrais artificiels, on est passé (pour le Tiers monde à économie de marché) de 0,5 million de tonnes annuellement vers 1938 à 1,4 million pour 1953/57 et à 28,6 millions pour 1985. Sur le plan mondial, la consommation d'engrais artificiels en 1985 s'est élevée à 129,1 millions de tonnes (tous ces chiffres en contenu d'engrais), soit 27 kg par habitants (226 kg par habitant pour l'Europe occidentale).