Hostname: page-component-77c89778f8-7drxs Total loading time: 0 Render date: 2024-07-17T22:01:11.577Z Has data issue: false hasContentIssue false

Comment devient-on Européen? Wittgenstein et Malinowski, ou la méthode de Ernest Gellner

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Jackie Assayag*
Affiliation:
CNRS-CEIAS (EHESS)

Extract

«Y contredire est un devoir»

René Char

Assurément, il est/ des savoirs qui ont force et maîtrise, et qui impressionnent par la liberté avec laquelle ils sont exposés. Les questions soulevées par ces travaux s’imposent d’emblée comme des évidences, surtout lorsqu’ils sont portés par un « style qui fait l’homme» et mis en œuvre par une personnalité auxcompétences multiples: philosophe, épistémologue, anthropologue, sociologue et historien, goûtant fort, de surcroît, la polémique. Tel est le cas de l’ultime livre de celui qui a été décrit comme « l’un des derniers grands intellectuels de l’Europe centrale », Ernest Gellner, plus exactement de l’un des deux ouvrages sur lesquels il travaillait avant sa mort soudaine, le 5 novembre 1995, à Prague.

Type
Métissage et nationalisme
Copyright
Copyright © Les Áditions de l’EHESS 2002

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

À propos de Gellner, Ernest, Language and Solitude. Wittgenstein, Malinowski and the Habsburg Dilemma, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, XIX209 p.CrossRefGoogle Scholar, bibliographie, index.

1 - L’autre est un petit livre sobrement intitulé Nationalism , Londres, Weidenfeld & Nicholson, 1997 Google Scholar.

2 - E. Gellner, Language and Solitude. .., op. cit., pp. 195-204. De son côté, Ian C. Jarvie a compilé une bibliographie exhaustive (jusqu’à 1996) publiée dans Hall, John et Jarvie, Ian C. (éds), The Social Philosophy of Ernest Gellner, Amsterdam-Atlanta, Rodopi, 1996, pp. 687718 Google Scholar.

3 - Sur les racines praguoises de la formation de E. Gellner, on se reportera à Jiri Musil, « The Prague Roots of Ernest Gellner’s Thinking», in J. A. Hall et I. C. Jarvie (éds), The Social Philosophy. .., op. cit., pp. 25-43. Les données biographiques sont établies à partir des contributions réunies par J. A. Hall et I. C. Jarvie. Voir aussi Davis, John, « Obituary: Ernest Gellner (1925-1995) – Memorial Address», Journal of Anthropological Studies of Oxford, 27-1, 1996, pp. 15 Google Scholar; Gellner, Ernest, « An Interview with Ernest Gellner (by John Davis)», Current Anthropology, 32-1, 1991, pp. 6372 Google Scholar; Kuper, Adam, « Ernest Gellner. Two Notes », in Among the Anthropologists. History and Context in Anthropology, Londres-New Brunswick, The Athlone Press, 1999, pp. 138144 Google Scholar; et la préface de David N. Gellner, in E. Gellner, Language and Solitude. .., op. cit., pp. VIL-XII. On remarquera que les deuxgrands théoriciens du nationalisme à partir des années 1960, Ernest Gellner et Miroslav Hroch, sont des Tchèques.

4 - On lira le discours d’ouverture de la réunion de fondation de l’Easa, , tenue à Coimbra, prononcé par Ernest Gellner en 1990: « Anthropology and Europe », publié dans Anthropology and Politics. Revolutions in the Sacred Groves , Oxford-Cambridge, Blackwell, 1995, pp. 229240 Google Scholar.

5 - Pour une description à chaud des événements, voir Gellner, Ernest, «Le nationalisme en apesanteur», Terrain, 7, 1991, pp. 716 CrossRefGoogle Scholar.

6 - Parce que le « nationalisme » se définit comme un programme politique et l’« ethnicité» comme un moyen d’exprimer une appartenance en lui fournissant un pedigree, les praticiens de l’anthropologie sociale renâclent à se colleter avec le premier alors que le second en est souvent le produit; voir Hobsbawm, Eric, « Ethnicity and Nationalism in Europe Today», in Balakrishnan, G. (éd.), Mapping the Nation, Londres-New York, Verso, [1992 ] 1996, pp. 255266 Google Scholar.

7 - Textes finalement rassemblés dans un ouvrage intitulé State and Society in Soviet Thought, Oxford, Blackwell, 1988 Google Scholar. Il avait déjà publié les travaux d’anthropologues soviétiques mêlés à ceuxd’auteurs marxistes européens dans Gellner, Ernest (éd.), Soviet and Western Anthropology, Londres, Duckworth, 1980 Google Scholar.

8 - Conformément à la définition, devenue canonique, du nationalisme par Ernest Gellner, pour lequel il est « essentiellement un principe politique, qui affirme que l’unité politique et l’unité nationale doivent être congruentes » ( Gellner, Ernest, Nations and Nationalism, Oxford, Blackwell, 1983, p. 1 Google Scholar; trad. fr., Nations et nationalisme, Paris, Payot, 1989 Google Scholar).

9 - Donald W. Winnicott questionna les facteurs inconscients qui motivaient une telle enquête, en arguant que la psychanalyse n’avait nullement besoin d’être « objet » de recherche puisqu’elle était en elle-même recherche permanente (Ernest Gellner, « Reply to Critics», in J. A. Hall et I. C. Jarvie (éds), The Social Philosophy. .., op. cit., p. 679). Cela n’empêcha pas, voire convainquit davantage encore Ernest Gellner d’écrire un ouvrage afin d’expliquer les raisons pour lesquelles les idées de Sigmund Freud – cette religion séculière à la fois pastorale et sotériologie – se répandirent si largement, si profondément et aussi rapidement durant le XXe siècle: The Psychoanalytic Movement. The Cunning of Unreason, Londres, Paladin, 1985 (trad. fr., Le mouvement psychanalytique, Paris, PUF, 1990 Google Scholar).

10 - Ernest Gellner oublie volontiers que non seulement Ludwig Wittgenstein a passé la majeure partie de sa jeunesse en dehors de Vienne mais qu’il a vécu en Angleterre moins de dix-neuf ans; ce constat a fait dire à Jacques Bouveresse que, à la différence de la génération des émigrés viennois, L. Wittgenstein n’a « jamais réussi à s’installer réellement nulle part » ( Bouveresse, Jacques, Essais, I, Wittgenstein, la modernité, le progrès et le déclin , Marseille, Agone Éditeur, 2000, pp. 7 Google Scholar et 17).

11 - Wittgenstein, Ludwig, Tractatus logico-philosophicus, Paris, Gallimard, [1921] 1961 Google Scholar.

12 - ID., Remarques philosophiques, >Paris, Gallimard, [1951] 1975.

13 - Malinowski, Bronislaw, Coral Gardens and their Magic, Londres, Allen & Unwin, 1935 Google Scholar (trad fr., Les jardins de corail, Paris, Maspéro, 1974 Google Scholar).

14 - Gellner, Ernest, «Concept and Community», in Gellner, E., Relativism and the Social Sciences, Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 171 Google Scholar.

15 - L’opposition de Language and Solitude, comme toute l’œuvre de E. Gellner, peut être lue à partir de deuxnuages sémantiques contrastés entre l’Europe (universel-mécanique-calculateur-empirique-intellectuel-cérébral-impersonnel) et le reste du monde (historique-anthropomorphique-spéculatif-imaginaire-émotionnel-intuitif-personnel). Mais la force de E. Gellner est d’éviter cette vulgate en ne réduisant pas l’alternative entre les deuxidées de nation à deuxappréhensions culturellement déterminées, l’une française (individualiste et contractuelle), l’autre allemande (culturelle et holiste), de l’identité collective.

16 - Cf. Bartley, William W., «Theory of Language and Philosophy of Science as Instruments of Educational Reform: Wittgenstein and Popper as Austrian Schoolteachers», Boston Studies in the Philosophy of Science, XIV, 1974, pp. 307337 CrossRefGoogle Scholar.

17 - Avec Ignatieff, Michael (Blood and Belonging, Londres, Chatto & Windus, 1993, p. 9 Google Scholar), remarquons que le cosmopolitisme est le privilège de sociétés jouissant d’un État-nation fort; le cosmopolitisme de Sarajevo n’a pas survécu à la disparition d’un État arbitre international.

18 - Sur les racines cracoviennes de la formation de Bronislaw Malinowski, on lira Flis, Andrzej, «Cracow Philosophy at the Beginning of the Twentieth Century and the Rise of Malinowski’s Scientific Ideas», in Ellen, R. et alii (éds), Malinowski Between Two Worlds: The Polish Roots of Anthropological Tradition, Cambridge, Cambridge University Press, 1988, pp. 105127 Google Scholar; sur l’influence de la culture polonaise au sens large, voir R. Ellen et alii (éds), Malinowski. .., op. cit., ainsi que Thorton, Robert J. et Skalnik, Peter (éds), The Early Writings of Bronislaw Malinowski, Cambridge, Cambridge University Press, 1993 CrossRefGoogle Scholar.

19 - Institution orthodoxe brocardée par E. Gellner sous l’appellation de « philosophie d’Oxford »: Gellner, Ernest, Words and Things. A Critical Account of Linguistic Philosophy and a Study in Ideology, Londres-Boston, Gollancz/Beacon Press, 1959 Google Scholar.

20 - L’expression est tirée de Ernest Gellner, « Concept and Community », art. cit., pp. 167-186. L’auteur la reprend, sous la forme « Relativism über Alles » (dans son pamphlet, Postmodernism, Reason and Religion, Londres, Routledge, l992, p. 40 Google Scholar), mouvement qu’il juge illogique parce qu’auto-réfutatif, falsificateur parce que relativiste (sur le plan cognitif), vain parce qu’obscurantiste (en termes scientifiques). « Le relativisme cognitif est absurde, et le relativisme moral est tragique », aimait-il à répéter. De là sa crainte de voir se propager le subjectivisme (post-moderniste) en sciences sociales, et la prémonition d’une « Californization of the West » (cf. «Anthropology and Europe », in Anthropology and Politics. Revolutions in the Sacred Groves, Oxford-Cambridge, Blackwell, 1995, p. 239 Google Scholar) dont Clifford Geertz est la cible; voir également « The Re-Enchantment Industry or the Californian Way of Subjectivity», in Hattiangadi, J. et O’Neill, J. (éds), Philosophy of the Social Sciences, V, 1975, pp. 431450 Google Scholar (repris dans Spectacles and Predicaments. Essays in Social Theory, Cambridge, Cambridge University Press, 1979 Google Scholar).

21 - Auxantipodes, par exemple, de l’attention scrupuleuse de lector que s’impose un Paul Ricœur, dépliant le raisonnement de son interlocuteur et accompagnant aussi loin que possible le travail de l’œuvre, comme l’atteste sa série de trois livres sobrement intitulée Lectures, Paris, Le Seuil, 1991.

22 - E. Gellner, « Concept and Community », art. cit., p. 174.

23 - À propos de cet ouvrage ( Janik, Allan et Toulmin, Stephen, Wittgenstein’s Vienna New York, Simon and Schuster, 1973 Google Scholar), voir les commentaires de J. Bouveresse, Essais, I, op. cit., pp. 25-30.

24 - S’agissant des « crises de l’identité juive » à Vienne entre 1890 et 1910, on lira Le Rider, Jacques, Modernité viennoise et crises de l’identité, Paris, PUF, 1990 Google Scholar, notamment la quatrième partie; sur Wittgenstein et l’antisémitisme, voir aussi Assayag, Jackie, « Comment devient-on antisémite? Wittgenstein contre Hitler ou le discours contre la méthode», L’Homme, 152, 1999, pp. 181190 Google Scholar.

25 - Hann, Chris M., «Nationalism and Civil Society in Central Europe: from Ruritania to the Carpathian Euroregion», in Hall, J. A., The State of the Nation. Ernest Gellner and the Theory of Nationalism, New York, Cambridge University Press, 1998 Google Scholar. Le procès intenté par Ernest Gellner à Ludwig Wittgenstein vaudrait en réalité surtout pour Martin Heidegger, qui refusa en 1934 le poste proposé à Berlin pour rester en province, parce qu’« on ne saurait trop priser la possibilité de conserver une classe paysanne saine comme base de toute la nation», pour conclure que la décadence de nos nations modernes procède d’un « rapport faussé entre les populations urbaines et rurales » (cité par Farias, Victor, Heidegger et le nazisme, Lagrasse, Éditions Verdier, 1987, p. 192 Google Scholar sq.).

26 - Nous suivons l’interprétation de Cavell, Stanley dans son opus magnum, «Décliner le déclin: Wittgenstein, philosophe de la culture», in ID., Une nouvelle Amérique encore inapprochable: de Wittgenstein à Emerson, Paris, Éditions de l’Éclat, [1989] 1996, pp. 3577 Google Scholar. L’avant-propos de la traduction française restitue les termes du débat avec Kripke, Saul A., Règles et langage privé. Introduction au paradoxe de Wittgenstein, Paris, Le Seuil, [1982] 1996 Google Scholar; voir la note critique sur l’ouvrage de ce dernier par E. Gellner, « Concept and Community », art. cit., pp. 167-186.

27 - On s’inspire du texte que lui consacre l’anthropologue Das, Veena, «Wittgenstein and Anthropology», Annual Review of Anthropology, 27, 1998, pp. 171195 CrossRefGoogle Scholar, qui elle-même s’appuie sur Stanley Cavell.

28 - Nombre des arguments qui suivent sont empruntés à l’article de Chris M. Hann sur Bronislaw Malinowski, «Gellner on Malinowski: Words and Things in Central Europe», in J. A. Hall et I. C. Jarvie (éds), The Social Philosophy. .., op. cit., pp. 45-64.

29 - Ce qui peut surprendre, au regard de l’importance de la question nationale pour cette « école » qui a fortement inspiré l’historien d’origine autrichienne du nationalisme et de « l’invention de la tradition » qu’est Eric Hobsbawm, né à Alexandrie l’année de la révolution d’Octobre, qui vécut à Vienne et fit ses études à Berlin dans les années 1930, avant de se réfugier en Angleterre.

30 - Dans ses réponses à diverses critiques, Ernest Gellner se définit ainsi: « Je suis un socialiste modéré au sens où je considère que le marché généralisé est un mauvais modèle, en termes prescriptifs ou descriptifs, bien que, dans le même temps, je tienne l’absence de contrôle central sur la production et le commerce comme une pré-condition de la liberté; en d’autres termes, je crois en l’économie mixte. Dans une société avancée et partiellement atomisée, je tiens l’État-providence efficace à la fois comme un impératif moral et une pré-condition d’un ordre stable. Le socialisme enfiévré et messianique [...] est, comme cela a été démontré, le plus grand ennemi de la liberté dans la société industrielle», in J. A. Hall et I. C. Jarvie (éds), The Social Philosophy. .., op. cit., p. 671.

31 - Retournement de la formule d’Adam Kuper qui en faisait, plus banalement, un « philosophe popperien et un anthropologue malinowskien», dans «Ernest Gellner. Two Notes », in A. Kuper, Among the Anthropologists. .., op. cit., p. 141.

32 - Les principales idées sur l’islam de Gellner, Ernest sont développées dans son livre Muslim Society, Cambridge, Cambridge University Press, 1981 Google Scholar; voir également: Saint of the Atlas, Londres, Weindenfeld and Nicolson, 1969 Google ScholarPubMed. Sur l’argument du caractère unique de l’islam, on se reportera à l’exposé général de Nations and Nationalism. .., op. cit., p. 76.

33 - Pour les critiques des opinions de Ernest Gellner sur l’islam, on s’inspire des deux articles dévastateurs de Asad, Talal, « The Concept of Cultural Translation in British Social Anthropology», in Clifford, J. et Marcus, G. E. (éds), Writing Culture. The Poetics and Politics of Ethnography, Berkeley, University of California Press, 1986, pp. 141164 Google Scholar, et « The Idea of an Anthropology of Islam», in Hall, J. A. et Jarvie, I. C. (éds), The Social Philosophy. .., op. cit., pp. 265290 Google Scholar. E. Gellner n’y a jamais vraiment répondu, sinon en invoquant son « aspiration [qui] est de trouver des modèles généraux» (Ernest Gellner, « Reply to Critics», in J. A. Hall et I. C. Jarvie (éds), The Social Philosophy. .., op. cit., p. 656); voir également l’inventaire critique d’Abdellah Hammoudi, « Segmentary, Social Stratification, Political Power and Sainthood: Reflections on Gellner’s Theses», in J. A. Hall et I. C. Jarvie (éds), The Social Philosophy. .., op. cit., pp. 265-290.

34 - Voir Rodinson, Maxime, La fascination de l’Islam, suivi de Le seigneur Bourguignon et l’esclave sarrasin , Paris, La Découverte/Presses Pocket, [1983] 1993 Google Scholar.

35 - On lira un résumé de cette thèse dans son avant-dernier livre, Nationalism, op. cit. au chapitre 14, justement intitulé « Marxisme et Islam ».

36 - C’est, par exemple, la perspective adoptée en France par Rodinson, Maxime, L’Islam: politique et croyance, Paris, Fayard, 1993 Google Scholar, et De Pythagore à Lénine. Des activismes idéologiques, Paris, Fayard, 1993 Google Scholar.

37 - Mentionnons que Ernest Gellner ne répugnait pas à la métaphore picturale, notamment lorsqu’il compare la carte ethnographique de la première époque du nationalisme à un tableau d’Oskar Kokoschka, avec son extraordinaire profusion de couleurs, et celle, ethno-politique, du monde moderne, à une toile d’Amedeo Modigliani, faite de surfaces définies et délimitées (Nations and Nationalism. .., op. cit., pp. 157-158). On peut gager que les post-modernistes, à la recherche d’une métaphore picturale pour notre temps, inclineraient plutôt pour le « dripping » de Jackson Pollock...

38 - E. Gellner, Nations and Nationalism, op. cit., p. 76.

39 - Kantorowicz, Ernst, Mourir pour la patrie et autres textes, Paris, PUF, [1951] 1984 Google Scholar.

40 - Pour une analyse comparée soulignant cet aspect, on lira l’étude Thiesse, d’Anne-Marie, La création des identités nationales. Europe XVIIIe-XXe siècle, Paris, Le Seuil, 1999 CrossRefGoogle Scholar; ce travail reste toutefois mécaniquement articulé sur une conception des traits nationaux en forme d’inventaire et sur la notion non problématique d’« invention des traditions », toutes deuxconstruites sur un modèle culturel de type diffusionniste.

41 - E. Gellner, Muslim Society, op. cit., p. 5.

42 - Comme le fait justement remarquer Rupnik, Jacques, «Le réveil des nationalismes», in ID. (éd.), Le déchirement des nations, Paris, Le Seuil, 1995, p. 16 Google Scholar. Même si le nationalisme moderne émerge en Europe avec la sécularisation du politique, il garde un lien étroit avec la religion dans les empires multinationaux: protestantisme en Europe centrale face au catholicisme habsbourgeois, et surtout orthodoxie dans les Balkans face auxOttomans. De plus, après le partage de la Pologne, à la fin du XVIIIe siècle, entre la Russie orthodoxe et la Prusse protestante, l’Église catholique devint la dépositaire de l’idée nationale. Enfin, cette dernière retrouva ce rôle sous le communisme (Lituanie, Slovaquie, Croatie).

43 - Pour un panorama de la scène islamique et de ses réseauxpieuxet militants pour la période contemporaine, on pourra se reporter à l’ouvrage de Kepel, Gilles, Jihad, expansion et déclin de l’islamisme, Paris, Gallimard, 2000 Google Scholar.

44 - Grillo, Ralph D. (éd.), « Natio » and « State » in Europe. Anthropological Perspectives, Londres, Academic Press, 1980, p. 1 Google Scholar.

45 - E. Gellner, Nations and Nationalism, op. cit., p. 73. De fait, Guido Franzinetti soutient qu’en réalité Ernest Gellner a moins produit une théorie du nationalisme qu’une théorie de la société industrielle ( Franzinetti, Guido, « Per una teoria della società industriale», Quaderni Storici, 103-1, 2000, pp. 252255 Google Scholar), tandis qu’Osvaldo Raggio défend l’idée qu’il s’agit d’abord d’une théorie de la connaissance ( Raggio, Osvaldo, « Culture e conoscenza: contro il relativismo», Quaderni Storici, 103-1, 2000, pp. 257263 Google Scholar). Sur les tensions entre fonctionnalisme et historicisme, les registres relationnel et substantialiste, on lira Roger, Antoine, «Expliquer le nationalisme: les contradictions d’Ernest Gellner», Archives européennes de sociologie, XLI, 2, 2000, pp. 184224 Google Scholar.

46 - Bien que trinitaire, l’anthropologie générale de E. Gellner se réduit souvent à un système cognitif dualiste opposant sociétés agraire ou industrielle, moderne ou nonmoderne, populations analphabètes ou lettrées, superstitieuses ou éclairées, etc., sur la base d’une lutte pluriséculaire entre « réalisme positiviste » et « relativisme populiste » ou « culturel ». Depuis Hegel, les théoriciens du nationalisme éprouvent une véritable fascination pour le chiffre trois. Tandis que Anderson, Benedict (Imagined Communities: Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, Londres, Verso, 1983 Google Scholar) distingue trois types de nationalisme: « créole », « linguistique » (ou vernaculaire) » et « officiel », Smith, Anthony D. (Nations and Nationalism in a Global Area, Cambridge, Polity Press, 1995 Google Scholar, chap. 4), retient la typologie suivante: « ethnique », « civique » et « pluriel ».

47 - Deuxpetits ouvrages ( Gellner, Ernest, Plough, Sword and Book, Londres, Collins Harvill, 1988 Google Scholar, et ID., Nations and Nationalism, op. cit., développent cette philosophie sommaire de l’histoire.

48 - Voir par exemple E. Gellner, « Reply to Critics », art. cit., pp. 662-663.

49 - C’est d’ailleurs la nature du débat historico-sociologique, mettant en relief la variabilité dans l’espace et le temps des formes culturelles du nationalisme, et donc soulignant ses bases anthropologiques en restant sceptique vis-à-vis du lien avec l’industrialisation, qui a opposé Miroslav Hroch (« From National Movement to the Fully-formed Nation: The Nation-building Process in Europe», in G. Balakrishnan (éd.), Mapping. .., op. cit., pp. 78-97) à Ernest Gellner, d’abord soucieux d’expliquer la connexion entre le nationalisme et la situation de transition faisant sortir du monde agraire; voir la réponse de ce dernier auxremarques du premier (E. Gellner, «The Coming of Nationalism and its Interpretation: The Myths of Nation and Class», in G. Balakrishnan (éd.), Mapping. .., op. cit., pp. 98-145).

50 - Ernest Gellner, « Conclusion: Entretien avec Ernest Gellner, Pierre Hassner, Alain Dieckhoff et Jacques Rupnik», in J. Rupnik (éd.), Le déchirement des nations, op. cit., p. 277; sur cette idée de modernités multiples, lire l’article de Eisenstadt, Samuel N., « Multiple Modernities », dans le dossier de la revue Dædalus, 129-1, 2000, pp. 229 Google Scholar, tout entier consacré à cette question.

51 - Cf. l’ouvrage collectif de Stein Tonnessøn, et Hans Antløv, (éds), Asian Forms of the Nation, Richmond, Curzon Press, 1996 Google Scholar, et leur bibliographie sélective (pp. 348-352); voir aussi le dossier « Intellectuels en diaspora et théories nomades », coordonné par Assayag, Jackie et Béneï, Veronique, L’Homme, 156, 2000 Google Scholar.

52 - Le mot est de Benedict Anderson qui a, depuis la réédition augmentée de son livre (en 1991), reconnu avoir sous-estimé les traits indigènes des nationalismes extraeuropéens.

53 - L’expression est de Chatterjee, Partha (Nationalist Thought and the Colonial World. A Derivative Discourse, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1986 Google Scholar) qui, lui aussi, a reformulé son modèle pour restituer la singularité du nationalisme en Inde ( The Nation and Its Fragments, Princeton, Princeton University Press, 1993 Google Scholar); voir à ce sujet les critiques de Van Der Veer, Peter, Religious Nationalism. Hindus and Muslims in India, Berkeley, University of California Press, 1994, p. 78 Google Scholar, et surtout celles de Bayly, Christopher A., Origins of Nationality in South Asia. Patriotism and Ethical Government in the Making of Modern India, New York, Oxford University Press, 1998, pp. 102105 Google Scholar.

54 - Voir les travauxsuggestifs sur la « globalisation prémoderne » menés par Pollock, Sheldon, « Literary History, Indian History, World History», Social Scientist, 23-10/12, 1995, pp. 112142 CrossRefGoogle Scholar; « India in the Vernacular Millenium: Literary Culture and Polity, 1000-1500», Dædalus, 127-3, 1998, pp. 4174 Google Scholar; « The Cosmopolitan Vernacular», Journal of Asian Studies, 1999, pp. 637 Google Scholar.

55 - On renvoie à l’important ouvrage que leur consacre Bayly, Christopher A., Empire and Information. Intelligence Gathering and Social Communication in India, 1780-1870, Cambridge, Cambridge University Press, 1996 Google Scholar.

56 - Ce point est mis en relief par Cooper, Frederick et Stoler, Ann L., « Introduction – Tensions of Empire: Colonial Control and Visions of Rule», American Ethnologist, 16-4, 1989, pp. 609621 CrossRefGoogle Scholar; voir également Van Der Veer, Peter, Imperial Encounters. Religion and Modernity in India and Britain, Princeton, Princeton University Press, 2001 Google Scholar.

57 - Thèse explicitée dans l’article d’ Balibar, ÉTienne, « La forme nation: histoire et idéologie», in Balibar, É. et Wallerstein, I. (éds), Race, nation, classe. Les identités ambiguës, Paris, La Découverte, 1988, pp. 117143 Google Scholar; voir également la charge lancée par Geertz, Clifford dans le dernier chapitre de son livre Available Light. Anthropological Reflections on Philosophical Topics, Princeton, Princeton University Press, 2000, pp. 218263 Google Scholar.

58 - Pour une évaluation critique de cet aspect de son œuvre, voir J. Hall (éd.), The State of the Nation. .., op. cit. ; Benedict Anderson, Imagined Communities. .., op. cit. ; Eric Hobsbawm, Nations and nationalisms. .., op. cit. ; Ernest Gellner, Nations and nationalisms. .., op. cit.

59 - A partir de l’analyse des politiques nationalistes, Richard Handler a mis en évidence les présupposés communs sur la nature de la culture que partagent nombre d’anthropologues avec les idéologues nationalistes: Handler, Richard, «On Dialogue and Destructive Analysis: Problems in Narrating Nationalism and Ethnicity», Journal of Anthropological Research, 41-2, 1985, pp. 171182 CrossRefGoogle Scholar. Mais les recherches des historiens sur les questions de l’identité ou de l’état des lieuxdes pays et de leurs mémoires, France, Allemagne, etc., ne sont pas moins propices auxdérives nationalistes et à l’hagiographie nationale; cf. Anthony D. Smith, « Nationalism and the Historians», in G. Balakrishnan (éd.), Mapping. .., op. cit., pp. 175-197.

60 - E. Gellner, Nations and Nationalism, op. cit., p. 83.

61 - Là réside l’intérêt de la notion de « communauté imaginée », élaborée par Benedict Anderson, qui rappelle que la société n’est pas simplement une structure sociale, comme tend à la penser de manière exclusive Ernest Gellner, mais aussi un produit de l’imagination sociale comme puissance d’établissement des pratiques et dont on peut tirer la dimension « sacrée » de la nation. Pour l’Asie du Sud, on retiendra notamment le livre de Kapferer, Bruce, Legends of People, Mythe of State: Violence, Intolerance, and Political Culture in Sri Lanka and Australia, Washington, Smithsonian Institute Press, 1988 Google Scholar, et on se reportera à l’ouvrage comparatif de Van Der Veer, Peter et Lehmann, Hartmut (éds), Nation and Religion. Perspectives on Europe and Asia, Princeton, Princeton University Press, 1999 Google Scholar, qui pointe dans cette direction.

62 - E. Gellner, Nations and Nationalism, op. cit., p. 48.

63 - Nous utilisons la catégorie pour désigner des « histoires locales », aussi dignes d’intérêt que celles de l’Europe, et non dans son acception péjorative qui veut que soit ainsi désignée la seule histoire des « Autres » (non-européens), ni dans le sens, laudatif, qu’attribue Smith, Anthony D. à la notion d’« ethnic » pour expliquer l’origine des nations dans son livre princeps, The Ethnic Origins of Nations, Cambridge, Blackwell, 1986 Google Scholar.

64 - Pour l’Inde, nous renvoyons auxquatre premiers chapitres de l’ouvrage de C. A. Bayly, Origins of Nationality. .., op. cit., consacré à ce « vieuxpatriotisme » dont la prise en compte obligerait à repériodiser dans la longue durée l’histoire du sous-continent et à faire remonter les origines du « proto-nationalisme » indien entre les XIVeet XVIIIe siècles.

65 - Comme s’y applique également Anthony D. Smith dans ses nombreuxtravaux (A. D. Smith, The Ethnic Origins. .., op. cit. ; Nations and Nationalism. .., op. cit. ; « History and Modernity: Reflections on the Theory of Nationalism», in J. A. Hall et I. C. Jarvie (éds), The Social Philosophy. .., op. cit., pp. 129-146; « Nationalism and the Historians», in G. Balakrishnan (éd.), Mapping. .., op. cit., pp. 175-197). De son côté, Hobsbawm, Eric utilise la notion de « Popular proto-nationalism » dans son livre Nations and Nationalism since 1780. Programm, Myth, Reality, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, chap. 2Google Scholar (trad. fr.: Nations et nationalisme, Paris, Gallimard, 1992 Google Scholar).

66 - Pour une discussion de cette expression de l’historien David Lowenthal, voir Assayag, Jackie, «The Past is not (always) a Foreign Country», in Assayag, J. (éd.), The Resources of History. Tradition, Narration and Nation in South Asia, Paris-Pondichéry, Presses de l’École française d’Extrême-Orient/Institut français de Pondichéry, 1999, pp. 2138 Google Scholar; une présentation de cette catégorie d’« ethnicité fictive », ayant cependant des effets bien réels, dans les deuxarticles d’ÉTienne Balibar, « Racisme et nationalisme», in É. Balibar et I. Wallerstein (éds), Race, nation, classe. .., op. cit., pp. 54-92, et « La forme nation: histoire et idéologie... », art. cit. pp. 117-143.

67 - A la différence de Ernest Gellner, mais aussi de Benedict Anderson selon qui ce sont l’amour politique et la solidarité qui soutiennent le nationalisme, Eric Hobsbawm a justement souligné la dimension de haine intrinsèque à la construction nationale en constatant que « la xénophobie semble devenir l’idéologie de masse de la fin du XXe siècle »; voir « Ethnicity and Nationalism in Europe Today», in G. Balakrishnan (éd.), Mapping. .., op. cit., p. 263. Pour une présentation du nationalisme en Inde faisant la part belle à (une anthropologie de) l’émotion, voir Assayag, Jackie, L’Inde. Désir de nation. Les pratiques de l’imaginaire patriotique en Inde, Paris, Odile Jacob, 2001 Google Scholar.

68 - Le reproche lui a été souvent adressé, notamment et fort brillamment par Perry Anderson dans « Science, Politics, Enchantement», in J. A. Hall et I. C. Jarvie (éds), The Social Philosophy. .., op. cit., pp. 407-426, mais ses réponses ne convainquent guère; cf. E. Gellner, « Reply to Critics », art. cit., pp. 623-629.

69 - É. Balibar et I. Wallerstein (éds), « Racisme et nationalisme », art. cit., p. 77.

70 - C’est ainsi que Balakrishnan, Gopal, « The National Imagination», New Left Review, 211, 1995, pp. 5669 Google Scholar, réinterprète l’analyse du nationalisme de Benedict Anderson à l’aune de La phénoménologie de l’esprit de Hegel; sur l’importance des termes de parenté dans tous les nationalismes, voir Connor, Walker, «Beyond Reason: The Nature of the Ethnonational Bond», Ethnic and Racial Studies, 16-3, 1993, pp. 373389 CrossRefGoogle Scholar.

71 - Derrida, Jacques, Marges de la philosophie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1972, p. 22 Google Scholar.

72 - Sur les définitions et les controverses autour de cette question de ladite « globalisation », voir Assayag, Jackie, « La culture comme fait social total? Anthropologie et (postmodernité)», L’Homme, 148, 1998, pp. 201224 Google Scholar.

73 - Voir le dossier de Ronald Beiner sur «le débat Nairn-Hobsbawm» portant sur le problème de savoir si le nationalisme et l’internationalisme sont « les frères siamois d’un seul processus historique mondial » (« 1989: Nationalism, Internationalism, and the Nairn-Hobsbawm Debate», Archives européennes de sociologie, 40-1, 1999, pp. 173).

74 - S’agissant du cas de l’Inde dans les années 1980, voir la présentation de Assayag, Jackie, «Action rituelle ou réaction politique? L’invention des processions du nationalisme hindou dans les années 1980 en Inde», Annales HSS, 52-4, 1997, pp. 853879 CrossRefGoogle Scholar.

75 - C’est en 1930 que Ludwig Wittgenstein emploie cette expression en réponse à l’un de ses interlocuteurs privilégiés, M. O’C. Drury, cité par J. Bouveresse, Essais, I, op. cit., pp. 55-59.