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Laïcité, sociologie et histoire contemporaine de l’islam

Published online by Cambridge University Press:  13 August 2019

James McDougall*
Affiliation:
Trinity College, Oxford

Résumés

Cet article propose de donner un nouveau cadre à l’histoire de l’islam au xxe siècle en repensant sa relation avec certaines catégories dominantes de la sociologie, notamment avec la thèse de la sécularisation. L’histoire mondiale de l’islam depuis la fin du xixe siècle a été façonnée par un paradoxe apparent entre deux de ses caractéristiques les plus significatives. La première a consisté en des appels persistants au renouveau, à la réforme et à l’unité des musulmans à travers le monde, ce qui tendait vers une unification ou un dépassement des anciennes formes de variation dans la tradition. La seconde s’est manifestée, au contraire, par une fragmentation croissante des structures d’autorité au sein de la tradition, par une prolifération des significations qui lui étaient attribuées et des formes de pratique adoptées pour l’incarner, ainsi que par une acuité renouvelée des conflits sectaires en son sein. C’est un paradoxe que seule peut appréhender une compréhension de l’islam en tant que pratique sociale ancrée dans les rapports entre États et religions, caractéristiques des sociétés modernes – et non de l’islam en tant que religion « médiévale » et exclusivement « résistante à la sécularisation ».

Abstracts

This essay proposes to reframe the twentieth-century history of Islam by rethinking the relationship of that history to some dominant categories of twentieth century sociology, especially the secularization thesis. The global history of Islam since the late nineteenth century has been shaped by an apparent paradox between its two most significant features. The first of these has consisted of persistent calls for Muslim revival, reform, and unity across the world, tending toward a unification or transcendence of the older forms of variation within the tradition. The second, countervailing tendency has been an increasing fragmentation of structures of authority within the tradition, a proliferation of the meanings attributed to it and of the forms of practice taken to embody it, and a renewed acuity of internal sectarian conflict. This is a paradox that only an understanding of Islam as social practice embedded in the forms of secularity characteristic of modern societies—and emphatically not one of Islam as “medievally” religious and uniquely “secularization-resistant”—can apprehend.

Type
Écrire l’histoire de l’islam moderne et contemporain
Copyright
© Éditions de l'EHESS 

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References

1 Daesh est l’acronyme arabe de al-dawla’l-islamiyya fi ‘l-’iraq wa’l-sham, l’« État islamique en Irak et au Levant », sous lequel le groupe s’est fait connaître au Moyen-Orient. Graeme Wood, « What Isis Really Wants », The Atlantic, mars 2015, http://www.theatlantic.com/features/archive/2015/02/what-isis-really-wants/384980/.

2 Juan Cole, « Today’s Top 7 Myths about Daesh/Isil », Informed Comment, 17 févr. 2015, http://www.juancole.com/2015/02/todays-about-daesh.html ; Sohaira Siddiqui, « Beyond Authenticity: Isis and the Islamic Legal Tradition », Jadaliyya, 24 févr. 2015, http://www.jadaliyya.com/pages/index/20944/beyond-authenticity_isis-and-the-islamic-legal-tra.

3 G. Wood, « What Isis Really Wants », art. cit., n. 2.

4 Gellner, Ernest, « Islam and Marxism: Some Comparisons », International Affairs, 67-1, 1991, p. 1-6CrossRefGoogle Scholar.

5 La formulation la plus sucincte et la plus influente de cet argument se trouve chez Bernard Lewis, Que s’est-il passé ? L’Islam, l’Occident et la modernité, trad. par J. Carnaud, Paris, Gallimard, [2002] 2002 ; Id., L’Islam en crise, trad. par J. Carnaud, Paris, Gallimard, [2003] 2003. Cette vision développée depuis longtemps par Lewis a rencontré une audience importante auprès du grand public et des décideurs après le 11 septembre 2001.

6 L’ensemble du champ interdisciplinaire des études sur le Moyen-Orient contemporain (couvrant l’histoire, la science politique, la sociologie et l’anthropologie) s’est en grande partie constitué, à partir des années 1970, en s’émancipant à la fois des institutions académiques et de la tutelle intellectuelle de l’orientalisme, lequel était tourné vers des périodes antérieures et tendait à voir l’histoire récente des sociétés musulmanes au travers du prisme d’idées normatives sur la période classique. Cette évolution était déjà à l’œuvre avant la publication de l’essai polémique d’Edward W. Said, Orientalism, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1978, mais l’une de ses premières manifestations importantes demeure l’analyse critique de la Cambridge History of Islam, publiée en 1970, par Owen, Roger, « Studying Islamic History », Journal of Interdisciplinary History, 4-2, 1973, p. 287-298CrossRefGoogle Scholar. Pour une histoire institutionnelle et intellectuelle de cette question, voir Lockman, Zachary, Contending Visions of the Middle East: The History and Politics of Orientalism, Cambridge, Cambridge University Press, 2004CrossRefGoogle Scholar.

7 Cipriani, Roberto, « Sécularisation ou retour du sacré ? », Archives de sciences sociales des religions, 52-2, 1981, p. 141-150CrossRefGoogle Scholar, proposait déjà, dans un commentaire acerbe sur l’état de la discipline, une histoire critique du concept de sécularisation et des problèmes qu’il soulevait. Baubérot, Jean, « Religion diffuse et sécularisation », Archives de sciences sociales des religions, 56-2, 1983, p. 195-198CrossRefGoogle Scholar, commente l’idée de « religion diffuse » du sociologue Robert Towler. Gauchet, Marcel, Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Paris, Gallimard, 1985Google Scholar, analyse la « sortie de la religion » à la fois comme un thème central de la philosophie politique moderne et comme une condition de la continuité de la croyance religieuse dans les sociétés démocratiques. Voir également Casanova, José, Public Religions in the Modern World, Chicago, The University of Chicago Press, 1994CrossRefGoogle Scholar ; Stark, Rodney, « Secularization, R. I. P. », Sociology of Religion, 60-3, 1999, p. 249-273CrossRefGoogle Scholar ; Peterson, Derek et Walhof, Darren (dir.), The Invention of Religion: Rethinking Belief in Politics and History, New Brunswick, Rutgers University Press, 2002Google Scholar ; Deacy, Christopher et Arweck, Elisabeth (dir.), Exploring Religion and the Sacred in a Media Age, Farnham, Ashgate, 2009Google Scholar ; Katznelson, Ira et Stedman Jones, Gareth (dir.), Religion and the Political Imagination, Cambridge, Cambridge University Press, 2010CrossRefGoogle Scholar ; Calhoun, Craig, « Rethinking Secularism », The Hedgehog Review, 12-3, 2010, http://www.iasc-culture.org/THR/THR_article_2010_Fall_Calhoun.phpGoogle Scholar. Sur l’islam en particulier, voir Eickelman, Dale F. et Anderson, John W. (dir.), New Media in the Muslim World: The Emerging Public Sphere, Bloomington, Indiana University Press, 1999Google Scholar ; Asad, Talal, Formations of the Secular: Christianity, Islam, Modernity, Stanford, Stanford University Press, 2003Google Scholar ; Eickelman, Dale F. et Salvatore, Armando (dir.), Public Islam and the Common Good, Leyde, Brill, 2004Google Scholar ; Picaudou, Nadine, L’islam entre religion et idéologie. Essai sur la modernité musulmane, Paris, Gallimard, 2010Google Scholar ; Agrama, Hussein Ali, Questioning Secularism: Islam, Sovereignty, and the Rule of Law in Modern Egypt, Chicago, The University of Chicago Press, 2012CrossRefGoogle Scholar ; Zaman, Muhammad Qasim, The ‘Ulama in Contemporary Islam: Custodians of Change, Princeton, Princeton University Press, 2002Google Scholar ; Iqtidar, Humeira, Secularizing Islamists ? Jama’at-e-Islami and Jama’at-ud-Da’wa in Urban Pakistan, Chicago, The University of Chicago Press, 2011CrossRefGoogle Scholar ; ainsi que les travaux de Kemal Karpat, Cemil Aydin, Karen Barkey et Nurullah Ardiç sur le droit, l’État et la religion dans l’empire ottomon tardif.

8 Le paradigme de la sécularisation reste néanmoins présent dans certains ouvrages de sociologie et de philosophie où les auteurs sont réticents à se débarrasser de ce cadre de référence dominant, bien qu’ils y apportent parfois des modifications importantes : Dobbelaere, Karel, « The Meaning and Scope of Secularization », in Clarke, P. B. (dir.), The Oxford Handbook of the Sociology of Religion, Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 599-615Google Scholar ; Taylor, Charles, A Secular Age, Cambridge, Belknap Press of Harvard University Press, 2007CrossRefGoogle Scholar. Ces études se cantonnent quasiment toujours aux sociétés européennes (principalement d’Europe du Nord-Ouest) et à la majorité chrétienne (ou post-chrétienne ou bien d’héritage culturel chrétien). Cela implique en général que seule une poignée de sociétés étaient devenues « modernes », dans ce sens, à la fin du xxe siècle, ce qui pose la question de l’utilité réelle du concept, au moins pour toute conception de l’histoire non eurocentrée.

9 L’héritage de l’histoire intellectuelle occidentale est évidemment présent dans l’étymologie de notre propre vocabulaire analytique. La laïcité (secularity) dans sa signification originale dénote une relation binaire entre la sphère religieuse et les autres sphères, non religieuses et donc sous la juridiction des laïcs (the laity) par opposition à celle des clercs. La sécularisation (secularisation) dénomme, à l’origine, le processus d’expropriation des biens de l’Église au profit de propriétaires laïcs. Cette idée d’une sphère sécularisée, ou de la laïcité, dérobée au religieux anticipe donc les idées de sécularisation des xixe et xxe siècles dans le domaine du comportement social et de la liberté de pensée, comme l’émancipation d’une sphère séculière distraite au régime du religieux. C’est ainsi que la sociologie classique en vient à imaginer une sphère « sécularisée » en expansion continuelle ayant émergé du religieux, avant de l’éclipser. Le fait que, dans cette perspective, le religieux préexiste à la laïcité, et existe en dehors d’elle, dévoile les origines religieuses (ou plutôt, religieuses mais non conformistes, surtout dans les pays protestants) d’un tel raisonnement. Redéfinir la laïcité comme englobant le religieux consiste moins à reformuler la théorie de la sécularisation qu’à suggérer, au contraire, qu’elle est née de la fausse proposition d’accorder la primauté, et la priorité logique, à la religion.

10 Cela est particulièrement vrai de l’Asie du Sud et du Moyen-Orient mais il existe des exceptions importantes, notamment en Afrique de l’Ouest, où l’islamisation a progressé entre les années 1880 et 1940 sous l’impulsion des confréries soufies. Ces dernières ont parfois établi (après des périodes de répresssion) des relations de travail effectives avec les administrations coloniales : Robinson, David, Paths of Accommodation: Muslim Societies and French Colonial Authorities in Senegal and Mauritania, 1880-1920, Athens, Ohio University Press, 2000Google Scholar ; Hanretta, Sean, Islam and Social Change in French West Africa: History of an Emancipatory Community, New York, Cambridge University Press, 2009CrossRefGoogle Scholar.

11 Asad, Muhammad, The Principles of State and Government in Islam, Berkeley, University of California Press, 1961, p. 97Google Scholar.

12 L’hégémonie du discours réformiste dans la littérature sur l’Islam du xxe siècle a été telle que cette dimension de l’histoire sociale et intellectuelle du mouvement n’a pas été complètement analysée : McDougall, James, « État, société et culture chez les intellectuels de l’iṣlāḥ maghrébin (Algérie et Tunisie, c. 1890-1940), ou la réforme comme apprentissage de l’arriération », in Moreau, O. (dir.), Réforme de l’État et réformismes au Maghreb, xixe-xxe siècles, Paris, L’Harmattan/Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, 2009, p. 281-306Google Scholar. Parmi les influences exercées sur les penseurs musulmans sur ce point, on trouve des écrivains européens et américains comme Gustave Le Bon, Arnold Toynbee et James Henry Breasted.

13 Dans les années 1990, il est devenu courant d’associer ces changements à une « réforme musulmane », en considérant que la démocratisation de l’autorité religieuse et l’objectivation de la religiosité elle-même sont la preuve d’une « rationalisation » de la religion dans des termes distinctement modernistes et webériens : Eickelman, Dale F., « Inside the Islamic Reformation », The Wilson Quarterly, 22-1, 1998, p. 80-89Google Scholar ; Eickelman, Dale F. et Piscatori, James P. (dir.), Muslim Politics, Princeton, Princeton University Press, 1996CrossRefGoogle Scholar ; et la critique par Agrama, Hussein Ali, Questioning Secularism: Islam, Sovereignty, and the Rule of Law in Modern Egypt, Chicago, The University of Chicago Press, 2012, p. 10-16CrossRefGoogle Scholar. Mon argument consiste à souligner que ces facteurs n’ont pas abouti au changement unidirectionnel anticipé par les hypothèses de la sociologie classique, mais ont débouché sur des formes de pensée et de pratique fragmentées et imprévisibles, qu’il n’est pas possible de positionner sur une chronologie moderniste du progrès ou de la régression.

14 Entretien de l’auteur avec Slimane Chikh, Alger, juillet 2008. D’une famille d’érudits ibadites, Chikh, qui fut recteur de l’université d’Alger et plusieurs fois ministre, était étudiant à Tunis dans les années 1950 ; son père, le poète et militant Moufdi Zakaria, étudia aussi à Tunis dans les années 1920. Sur l’islam ibadite au Mzab et dans son contexte plus large pendant cette période, voir Augustin Jomier, Islam, réformisme et colonisation : une histoire de l’ibadisme en Algérie (1882-1962), Paris, Publications de la Sorbonne, à paraître. Sur l’ibadisme transnational et le nationalisme arabe, voir Ghazal, Amal N., Islamic Reform and Arab Nationalism: Expanding the Crescent from the Mediterranean to the Indian Ocean (1880s-1930s), New York, Routledge, 2010CrossRefGoogle Scholar.

15 Brunner, Rainer, Islamic Ecumenism in the Twentieth Century: The Azhar and Shiism between Rapprochement and Restraint, Leyde, Brill, 2004Google Scholar ; Enayat, Hamid, Modern Islamic Political Thought: The Response of the Shi’i and Sunni Muslims to the Twentieth Century, Londres, Macmillan, 1982, p. 41-51CrossRefGoogle Scholar. Enayat fait référence en particulier au travail du shaykh Maḥmūd Shaltūt (1893-1963) qui a dirigé Al-Azhar de 1958 à 1963, et à la dar al-taqrib al-madhahib, l’« Organisation pour la conciliation des écoles », créée au Caire en 1947. Sur Shaltūt, voir Zebiri, Kate, Maḥmūd Shaltūt and Islamic Modernism, Oxford, Clarendon Press, 1993CrossRefGoogle Scholar. La conjoncture politique du nassérisme et de la contestation chiite du shah entre le début des années 1960, qui voit le régime iranien se tourner vers Israël et lancer la révolution blanche, et la révolution islamique de 1978-1979 a également facilité cette courte période de fraternité interconfessionnelle.

16 H. Enayat, Modern Islamic Political Thought…, op. cit., p. 81-82.

17 Le modernisme réformiste de Jamal al-Din al-Afghani et de Muhammad ‘Abduh, qui naît dans les années 1880, a souvent été confondu avec le réformisme puriste de cette école salafiste. Henri Lauzière a montré que la première génération de réformistes, souvent désignés comme les fondateurs d’un large mouvement du salafiyya, n’utilisaient pas ce terme pour se décrire, bien que, par la suite, celui-ci leur ait souvent été associé par des écrivains musulmans et non musulmans. Entre les années 1920 et 1950, le terme salafi a été largement utilisé par des réformistes qui se voyaient incarner la combinaison d’un retour à un islam originel et véritable avec une position plus pragmatique que rigoriste vis-à-vis de l’interprétation rationnelle et du « progrès » social (comme le Marocain Allal al-Fasi, m. 1974), ainsi que d’autres davantage tournés vers une orthopraxie rigoriste et rejetant le rationalisme progressiste ainsi que toute latitude interprétative (comme le Marocain Taqi al-Din al-Hilali, m. 1987). Il n’est pas évident, cependant, que la distinction opérée par Lauzière entre deux catégories de salafistes « modernistes » et « puristes », « deux conceptions du salafisme » dont il situe l’émergence à la fin des années 1950, corresponde à deux écoles de pensée distinctes à cette période. Ceux que Lauzière appelle des « salafistes modernistes » peuvent être simplement décrits comme des « islahistes » ou des « réformistes » (muslihun), pour reprendre le terme qu’ils emploient eux-même pour se définir, par opposition aux « salafistes puristes », adeptes d’une orthopraxie proche de celle du wahhabisme. Voir Lauzière, Henri, « The Construction of Salafiyya: Reconsidering Salafism from the Perspective of Conceptual History », International Journal of Middle East Studies, 42-3, 2010, p. 369-389CrossRefGoogle Scholar ; Id., The Making of Salafism: Islamic Reform in the Twentieth Century, New York, Columbia University Press, 2016 ; Id., « What We Mean versus What They Meant by ‘Salafi’: A Reply to Frank Griffel », Die Welt der Islams, 56, 2016, p. 89-96.

18 Eickelman, Dale F. et Piscatori, James P. (dir.), Muslim Travellers: Pilgrimage, Migration, and the Religious Imagination, Berkeley, California University Press, 1990Google Scholar ; Gelvin, James L. et Green, Nile (dir.), Global Muslims in the Age of Steam and Print, Berkeley, California University Press, 2014Google Scholar.

19 L’influence de l’ouvrage (raciste et antisémite) de Gustave Le Bon, La civilisation des Arabes, Paris, Firmin-Didot et Cie, 1884, qui faisait l’éloge d’un âge d’or arabo-islamique avant le déclin « racial » du monde arabe, mérite d’être soulignée. Sur l’importance de l’ouvrage de Guizot, François, Histoire générale de la civilisation en Europe depuis la chute de l’Empire romain jusqu’à la Révolution française, Paris, Pichon et Didier, 1828Google Scholar, consacré aux penseurs musulmans du xixe siècle, voir Hourani, Albert, Arabic Thought in the Liberal Age, 1798-1939, Londres, Oxford University Press, 1962, p. 114-115Google Scholar.

20 Pour une analyse des différentes façons d’acclimater ces modes de communication, voir Asseraf, Arthur, « Foreign News in Colonial Algeria, 1881-1940 », Ph. D., University of Oxford, 2016.Google Scholar Sur le « contretemps » ou le « contrepoint » produit par les technologies de la communication et du transport en Égypte, voir Barak, On, On Time: Technology and Temporality in Modern Egypt, Berkeley, University of California Press, 2013CrossRefGoogle Scholar. Pour une discussion plus générale des effets contradictoires qu’eurent les modifications du rapport au temps et à l’espace dans la constitution de la modernité en tant que récit et en tant qu’expérience vécue, voir McDougall, James, « Modernity in ‘Antique Lands’: Perspectives from the Western Mediterranean », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 60-1/2, 2017, p. 1-17CrossRefGoogle Scholar.

21 A. Jomier, Islam, réformisme et colonisation…, op. cit. ; McDougall, James, « La mosquée et le cimetière. Espaces du sacré et pouvoir symbolique à Constantine en 1936 », Insaniyat. Revue algérienne d’anthropologie et de sciences sociales, 39-40, 2008, p. 79-96Google Scholar ; Hanretta, Sean, Islam and Social Change in French West Africa: History of an Emancipatory Community, Cambridge, Cambridge University Press, 2009CrossRefGoogle Scholar ; Marsden, Magnus, Living Islam: Muslim Religious Experience in Pakistan’s North-West Frontier, Cambridge, Cambridge University Press, 2005CrossRefGoogle Scholar (pour un cas contemporain).

22 Shari’ati, Ali, On the Sociology of Islam: Lectures, trad. par Algar, H., Berkeley, Mizan Press, 1979, p. 82-87Google Scholar ; Rahnema, Ali, An Islamic Utopian: A Political Biography of Ali Shari’ati, Londres, I. B. Tauris, 2000, p. 199 et 289-291Google Scholar.

23 Muḥammad ‘Abduh, Rissalat al-tawhid. Exposé de la religion musulmane, Le Caire, Dār al-Manār, [1925] 1952, p. 180.

24 L’antipathie de Gamal ‘Abdel Nasser pour les Frères musulmans et leur vision de la remoralisation sociale après 1952 est bien connue, tout comme la distinction claire entre la religion et la politique dans sa pensée et son programme politiques : Jankowski, James, Nasser’s Egypt, Arab Nationalism, and the United Arab Republic, Boulder, Lynne Rienner, 2002, p. 35-37Google Scholar. Mais même si les références religieuses étaient marginales et convenues dans la pensée et les discours de Nasser, pour son audience, sa rhétorique tirait une partie de sa puissance de l’invocation d’une communauté nationale égyptienne dont l’unité de force et d’objectif était régulièrement ramenée à Dieu, comme l’illustre le célèbre discours annonçant la nationalisation du canal de Suez : « notre but, armés de force, de détermination et de foi, ayant confiance en Dieu et en nous-mêmes, prenant appui sur Dieu et notre détermination, sur Dieu et notre puissance, est d’atteindre les objectifs de cette révolution » (discours prononcé à Alexandrie, 26 juill. 1956). En Algérie, jusqu’en 1954, le nationalisme anticolonial combinait une culture politique influencée par le contexte de la République française avec l’identification de la nation à une communauté fondamentalement musulmane. Le Fln, durant sa période révolutionnaire (1954-1962) puis en tant que parti unique de l’État (1962-1989), chercha à accaparer et à instrumentaliser une doctrine d’identité nationale qui identifiait l’arabisme avec l’islam, doctrine qu’elle a ensuite adoptée et officialisée : Deheuvels, Luc-Willy, Islam et pensée contemporaine en Algérie. La revue al-Aṣâla, 1971-1981, Paris, Éd. du Cnrs, 1991Google Scholar ; Charlotte Courreye, « L’Association des oulémas musulmans algériens et la construction de l’État algérien indépendant : fondation, héritages, appropriations et antagonismes (1931-1991) », 2 vol., thèse de doctorat, Université Sorbonne Paris Cité/Inalco, 2016.

25 Sur les nationalismes arabes, voir Mc Dougall, James, « The Emergence of Nationalism », in Ghazal, A. et Hanssen, J. (dir.), The Oxford Handbook of Contemporary Middle Eastern and North African History, Oxford, Oxford University Press, 2015, http://www.oxfordhandbooks.com/view/10.1093/oxfordhb/9780199672530.001.0001/oxfordhb-9780199672530Google Scholar.

26 Le nationalisme turc à l’époque des Jeunes-Turcs et du début de la République identifiait fortement, malgré le laiklik plus tardif du kémalisme, l’appartenance à la nation turque avec le fait d’être musulman. Cela n’a d’ailleurs rien de surprenant dans le contexte de la conjonction de pressions démographiques et politiques avec les guerres balkaniques de 1912-1913, qui entraînèrent un afflux de réfugiés musulmans en Anatolie, le génocide arménien pendant la Première Guerre mondiale et les « échanges de populations » avec la Grèce dans les années 1920. Le sécularisme kémaliste a cherché à priver la religion de toute autorité publique mais a implicitement adopté une définition ethnoreligieuse de la communauté nationale turque. Le retour au premier plan de la mouvance politique islamiste turque, du Refah Partisi au Parti de la justice et du développement (Akp) , ne dévie pas de façon aussi radicale de l’histoire de la Turquie du premier xxe siècle que ne l’ont supposé les observateurs qui avaient fait de la République kémaliste un triomphe de la « modernisation », entendue, encore une fois, comme étroitement liée à la sécularisation.

27 Al-e Ạhmad, Djalâl, L’occidentalite. Gharbzadegi, trad. par Barrès-Kotobi, F. et Kotobi, M., Paris, L’Harmattan, [1962] 1988Google Scholar.

28 Pour un exemple spécifique au Maghreb, voir Mubārak al-Mili, Risālat al-shirk wa maẓāhirihi, Alger, 1937.

29 ‘Abderraziq, ‘Ali, L’Islam et les fondements du pouvoir, trad. par Filali-Ansary, A., Paris, La Découverte, [1925] 1994Google Scholar.

30 Sur les réinventions du califat, voir Pankhurst, Reza, The Inevitable Caliphate ? A History of the Struggle for Global Islamic Union, 1924 to the Present, Londres, Hurst, 2013Google Scholar ; Al-Rasheed, Madawi et al., Demystifying the Caliphate: Historical Memory and Contemporary Contexts, Londres, Hurst, 2013Google Scholar ; Hassan, Mona, Longing for the Lost Caliphate: A Transregional History, Princeton, Princeton University Press, 2016Google Scholar.

31 M. Asad, The Principles of State…, op. cit.

32 al-Maududi, Sayyid Abu-‘l-A‘lā, Islamic Law and Constitution, éd. par Ahmad, K., Karachi, Jamaat-e-Islami Publications, 1955Google Scholar ; Id., Let Us Be Muslims (Khuṭbāt), éd. par K. Murad, Leicester, Islamic Foundation, 1985.

33 Cook, Michael, Commanding Right and Forbidding Wrong in Islamic Thought, Cambridge, Cambridge University Press, 2000Google Scholar.

34 Qaradāwī, Malami’ al-mujtama’ al-islami alladhi nanshaduhu, Beyrouth, Mu’assasat ar-Risāla, 1996, cité dans Zaman, Muhammad Qasim, « The ‘Uulama of Contemporary Islam and Their Conceptions of the Common Good », in Eickelman, D. F. et Salvatore, A. (dir.), Public Islam and the Common Good, Leyde, Brill, 2004, chap. 6, p. 145Google Scholar.

35 Ibid.

36 M. Asad, The Principles of State…, op. cit., p. 9.

37 Asad, Talal, Formations of the Secular: Christianity, Islam, Modernity, Stanford, Stanford University Press, 2003, p. 2Google Scholar.

38 L’extrait du discours dans lequel Nasser fait cette plaisanterie, alors qu’il relate les efforts qu’il a entrepris en 1953 pour parvenir, de manière « correcte et raisonnable », à un accord avec les Frères musulmans, est aujourd’hui largement partagé et discuté en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=TX4RK8bj2W0. Bien entendu, Nasser entendait discréditer le mouvement que la police égyptienne était en train de réprimer brutalement, mais la réaction de l’auditoire ainsi que la façon de raconter l’anecdote en disent long. Voir une intéressante discussion du blogueur égyptien Issandr El Amrani, https://arabist.net/blog/2012/10/30/nasser-the-muslim-brothers-and-the-veil.html, 30 oct. 2012.

39 Sur ce processus observé dans les années 1980, voir Roff, William R. (dir.), Islam and the Political Economy of Meaning: Comparative Studies of Muslim Discourse, Londres, Croom Helm, 1987Google Scholar.

40 Messick, Brinkley, The Calligraphic State: Textual Domination and History in a Muslim Society, Berkeley, University of California Press, 1993Google Scholar.

41 Je prends ici certaines libertés en employant les termes de Pierre Bourdieu de manière très souple ; alors que sa théorie des « champs » décrit un système statique de hiérarchie sociale et de pouvoir symbolique se reproduisant lui-même, j’utilise les mêmes images pour désigner un système émergent, plus dynamique, dans lequel la métaphore du champ doit être vue comme décrivant un « moment » plutôt qu’un équilibre. La définition que donne Bourdieu du champ religieux est plus proche de ce que j’ai caractérisé comme le « discours total » de l’islam « pré-prolifération », d’avant le xxe siècle, que du système plus diversifié dont j’ai suggéré l’émergence au siècle dernier : Bourdieu, Pierre, « Genèse et structure du champ religieux », Revue française de sociologie, 12-3, 1971, p. 295-334CrossRefGoogle Scholar.

42 Sur ces variations, politiques et non politiques, voir Olivier Roy, L’islam mondialisé, Paris, Éd. du Seuil, 2004.

43 Pour une analyse légèrement différente du concept d’« islam de marché », centrée sur l’affinité entre les styles de conservatisme promus par l’Arabie saoudite et le consumérisme néolibéral, voir Haenni, Patrick, L’islam de marché. L’autre révolution conservatrice, Paris, Éd. du Seuil, 2005Google Scholar. Pour des études de cas détaillées, dans différents contextes, au sujet de ce que j’appelle l’« islam de marché », voir Gillette, Maris Boyd, Between Mecca and Beijing: Modernization and Consumption among Urban Chinese Muslims, Standford, Stanford University Press, 2000Google Scholar ; Tripp, Charles, Islam and the Moral Economy: The Challenge of Capitalism, Cambridge, Cambridge University Press, 2006CrossRefGoogle Scholar ; Rudnyckyj, Daromir, Spiritual Economies: Islam, Globalization, and the Afterlife of Development, Ithaca, Cornell University Press, 2010Google Scholar ; Roy, Olivier et Boubekeur, Amel (dir.), Whatever Happened to the Islamists ? Salafis, Heavy Metal Muslims, and the Lure of Consumerist Islam, Londres, Hurst, 2012Google Scholar ; Tarlo, Emma, Visibly Muslim: Fashion, Politics, Faith, Oxford, Berg, 2010CrossRefGoogle Scholar.

44 Laffan, Michael F., The Makings of Indonesian Islam: Orientalism and the Narration of a Sufi Past, Princeton, Princeton University Press, 2011Google Scholar.

45 Bowen, John R., « Secularism: Conceptual Genealogy or Political Dilemma ? », Comparative Studies in Society and History, 52-3, 2010, p. 680-694CrossRefGoogle Scholar ; I. Katznelson et G. Stedman Jones (dir.), Religion and the Political Imagination, op. cit., p. 2.

46 J. R. Bowen, « Secularism… », art. cit., p. 682.

47 I. Katznelson et G. Stedman Jones (dir.), Religion and the Political Imagination, op. cit., p. 5.

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