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Entre mari et enfants : aspects sociaux d'un conflit affectif
Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Extract
On confronte dans cet article deux modèles de biographies : d'une part, celui d'un groupe de paysannes du Frioul qui ont fait l'objet d'une enquête, et de l'autre celui des chercheuses qui ont mené cette enquête. On voudrait, à travers cette confrontation, tenter d'identifier et de comprendre deux représentations différentes du mariage et montrer que seule l'interaction entre ces deux modèles est en mesure de nous faire saisir la dynamique interne propre à chacun d'eux.
Le premier modèle renvoie à la biographie de femmes qui appartiennent à des familles élargies de petits paysans du Frioul. Avec mes étudiantes, nous avons recueilli et analysé ces histoires de vie tout au long d'un séminaire de recherche qui a duré cinq ans . Dès nos premières discussions, nous avons senti que les problèmes les plus difficiles qui se posent à qui veut travailler sur un terrain ethnologique européen naissent de l'usage de catégories semblables par les enquêteurs et par les informateurs.
Summary
The article consists of two contrasting parts. In the first, the author presents the life histories of a generation of aged peasant women in Friuli. They are focussed on marriage and the relationships among women affines with in a virilocal extended family. The power which women exercise indirectly through husband and sons increases as sons grow up and the husband-father grows old.
The second part concerns the life-histories of the women researchers who project their own social and emotional experience of husbands, fathers and sons into the material they are attempting to interpret. Interviewees and interviewers have different experiences of family relationships and work values. The interviewers corne from urban, nuclear families in which relationships are primary and individualised. Work is linked to the paternal role, rather than being a subsistence activity in which ail family members are engaged.
The peasant women's biographies reveal a difficult adaptation to a rigidly predetermined role. Those of the researchers bring to light a persistent and unresolved conflict between identification with the mother and identification with the father
- Type
- Masculin/Féminin
- Information
- Copyright
- Copyright © Copyright © École des hautes études en sciences sociales Paris 1982
References
Notes
1. Les observations et les entretiens qui ont servi de base à cette réflexion ont Été rassemblées dans l'ensemble du Frioul, mais plus particulièrement dans la plaine du Bas-Frioul qui a fait l'objet de deux thèses de laurea ainsi que de plusieurs sondages de contrôle. Le village de P. (province d'Udine) a Été au centre de l'enquête ; j'ai fait appel au matériel recueilli dans le Frioul intérieur pour compléter ma démonstration. La période Étudiée va du début du xxe siècle jusqu'à nos jours. Mais les entretiens cités (et, à travers eux, les informations sur la structure de la famille, sur les baux ruraux dans le cas A, sur l'émigration dans le cas Al) concernent la période de l'entre-deux-guerres, celle où les paramètres Étudiés ont Été les plus stables.
2. Poster, M., CriticalTheory of the Family, Londres, Pluto Press, 1978, p. 6 ss.Google Scholar Il est fort possible que deux faits culturels qui ont disparu dans l'Angleterre à cause de la Réforme, la confession et le culte de Marie, vierge et mère, aient rendu plus durables dans les pays catholiques les conditions socio-culturelles que Freud considère comme fondamentales dans la définition de la famille nucléaire. Ils sont fortement associés tant à l'image du père qu'à celle de la mère. La redoutable image du père castrateur, liée au motif juif de la circoncision, se prolonge dans le rôle exclusivement masculin du confesseur-juge qui représente Dieu le Père. La peur de la castration, que connaît le petit Hans, est bien connue des petits garçons catholiques qui reçoivent au confessionnal mises en gardes et punitions pour toute tentative de masturbation. Depuis longtemps d'autre part, la dévotion mariale est la forme de dévotion la plus répandue non seulement chez les femmes mais aussi chez les hommes et Freud lui-même souligne l'importance de la Vierge dans l'imaginaire de l'accouchement et dans le désir de la maternité ; cf. Freud, S., Frammento di un analisi d'isteria (caso clinico di Dora), Opère, Turin, Boringhieri, 1970, p. 397 Google Scholar, Édition frse, « Fragment d'une analyse d'hystérie (Dora) », dans Cinq psychanalyses, Paris, Presses Universitaires de France, 1977, 8e Édition. Sur l'Italie méridionale, cf. A. Parson, « Is the Œdipus Complex Universal ? A South Italian Nuclear Complex », dans Hunt, R. Éd., Personalities and Cultures, Austin, University of Texas Press, 1967, pp. 352–420.Google Scholar
3. F. ZanolLA, Le crisi di vita a P. nei primi anni del 1900 (thèse de laurea), Trieste, 1979, Appendice, entretiens 2A, 9A, 20A.
4. F. ZanolLA, Le crisi di vita, op. cit., entretien 9A.
5. Morandini, M., Terra e famiglia a Fagagna nei primi decenni del 1900 (thèse de laurea), Trieste, 1980, p. 138 ss.Google Scholar
6. F. Zanoî.LA, Le crisi di vita, op. cit., entretien 9A.
7. Séminaire tenu en 1976-1977, discussion de l'exposé de P. Benes.
8. Brecht, B., La scena di strada. Modello-base per una scena di teatro epico, Teatro, vol. II, Turin, Einaudi, 1965, p. 10 ssGoogle Scholar, Édition frse, écrits sur le théâtre, Paris, L'Arche, 1972, vol. I,pp522- 533.
9. B. Brecht, op. cit., p. 13 ss.
10. F. Zanoua, Le crisi di vita, op. cit. : « … ma part, je la partagerai avec les enfants ». « Nous Étions vingt-quatre, il y avait une grande table ; nous les femmes, nous Étions assises là comme lorsqu'on va à une noce, et gare à qui parlait, tout le monde devait être silencieux ; pour nous des raves avec à peine de lard pour donner du goût, mais lui (le chef de famille) il mangeait ;… il mangeait le saucisson tout entier » (entretien I4A) cf. encore les entretiens I5A et 23A.
11. F. ZanolLA, Le crisi di vita, op. cit., entretien 2A. Après le mariage, la fête est interdite : « Moi, j'aimais tant me déguiser pour Carnaval, mais mon mari n'aimait pas ça et j ‘y allais quand il n'était pas à la maison » (entretien 12A).
12. F. ZanolLA, Le crisi di vita, op. cit., ; entretien 9 A ; à propos d'un mari qui ne fait pas l'affaire, on déclare : « Ma mère et toutes mes sœurs, nous Étions désespérées » (entretien 4C).
13. F. ZanolLA, Le crisi di vita, op. cit., entretien 14A.
14. Sur les conflits entre femmes, cf. Zanou.A, F., « Suocere, nuore e cognate nei primo 900 a P. nei Friuli », Quaderni Storici, XV, 1980, pp. 429–450.Google Scholar
15. B. Brecht, op. cit., p. 11.
16. C. LéVI-Strauss, « Jean-Jacques Rousseau, fondateur des sciences de l'Homme », dans Jean- Jacques Rousseau, pp. 239-248 (voir particulièrement p. 241 ), Neuchâtel, Éditions de la Baconnière, 1962.
17. L'échantillon auquel renvoie le schéma B est composé des 9 chercheuses de l'Université de Trieste (âgées de 23 à 33 ans) qui ont conduit cette enquête. Le modèle a Été, en outre, longuement critiqué et affiné au cours de discussions avec 42 Étudiantes qui ont participé au séminaire.
18. Cf. F. ZanolLA, « Suocere, nuore e cognate… », op. cit., p. 446.
19. Cf. Freud, S., Malaise dans la civilisation, Paris, Presses Universitaires de France, 1972 Google Scholar; « La morale sexuelle civilisée et la maladie nerveuse des temps modernes », dans La vie sexuelle, Paris, Presses Universitaires de France, 1977, pp. 28-46 ; « Fragment d'une analyse d'hystérie (Dora) », op. cit., p. 87.
20. Cf. Freud, S., Trois essais sur la théorie de la sexualité, Paris, Gallimard, 1970, pp. 90–107.Google Scholar Pour une critique de la théorie de l'envie du pénis, voir Bettelheim, B., Les blessures symboliques, Paris, 1971, pp. 27–29.Google Scholar
21. Sur les significations de la métaphore corps physique/corps social, voir Douglas, M., Natural Symbols, New York, Panthéon Books, 1970, 177 p.Google Scholar
22. Essentielle sur ce point la discussion ouverte par Baruffi, L. Éd., Il desiderio di maternità, Turin, Boringhieri, 1980 Google Scholar; voir en particulier la contribution de J. Kestenberg, « Vicissitudini délia sessualità femminile » (1956), pp. 155-157.
23. Les qualificatifs « rationaliste » et « libertaire » sont utilisés ici par référence à « libéral » (p. 17) et « progressiste » (p. 14) ; l'accentuation veut signaler le passage d'une génération à l'autre. Si « libertaire » et « rationaliste » ajoutent un Élément critique par rapport à « libéral » et à « progressiste », les termes sont homologues comme le sont les problèmes posés.
24. Cf. Schatzman, M., La famiglia che uccide, Milan, Feltrinelli, 1977,Google Scholar particulièrement p. 123 ss.
25. S. Freud, « La morale sexuelle civilisée… », op.cit., p. 38.
26. « Il y a des transferts qui ne diffèrent en rien de leur modèle quant à leur contenu, à l'exception de la personne remplacée », dans S. Freud, « Fragment d'une analyse d'hystérie (Dora) », op. cit., p. 87.
27. S. Freud, « La morale sexuelle civilisée », op. cit., pp. 33, 39.
28. Mizzau, M., Eco e Narciso. Parole e silenzi nel conflitto uomo-donna, Turin, Boringhieri, 1979, p. 11.Google Scholar
29. M. Mizzau, op. cit., p. 18.
30. Laing, R., L'/O diviso, Turin, Einaudi, 1980, p. 196 Google Scholar, trad. frse, Le Moi divisé, Paris, Stock, 1979, 296 p.
31. Bettelheim, B., Ilmondo incantato, Milan, Feltrinelli, 1978, p. 32 ssGoogle Scholar, trad. frse, Psychanalyse des contes de fées, Paris, Robert Laffont, Collection Pluriel, 1976, pp. 56-57.
32. M. Mizzau, op. cit., p. 86.
33. F. Zanolla, Le crisi di vita, op. cit., entretien 14A.
34. F. Zanolla, « Suocere, nuore e cognate… », op. cit., p. 435.
35. Cf. Maher, V., The Relation of Work and Consumption to Autority within the Household a Morrocan Case, Turin, 1980.Google Scholar
36. Avon, F., Effetti delTemigrazione temporanea nella vita quotidiana a S. (J900-]970)(thèse de laurea), Trieste, 1980 Google Scholar, Appendice, entretien 22A.
37. F. Avon, op. cit., entretien 22A.
38. F. Avon, op. cit., entretien 37A.
39. F. Avon, op. cit., entretien 2B. Cf. aussi l'entretien 19A : « … mais moi, je n'en veux pas de cet homme-là, je n'en veux pas… ».
40. F. Avon, op. cit., entretien 2B.
41. F. Zanolla, Le crisi di vita, op. cit., entretien 11A : « Elles Étaient nombreuses à se marier enceintes, parfois parce que leur mère ne voulaient pas qu'elles se marient, ou encore parce que c'était la fille à qui le mari, souvent, ne plaisait pas. » 42. Archivio Arcivescovile, Gorizia, Visite pastorali, 1926.
43. L'âge moyen au mariage à S. est de 25 ans alors qu'il n'est que de 23 ans à P. Cf. F. Avon, op. cit., Appendice, et F. Zanolla, Le crisi di vita, op. cit., Appendice.
44. F. Avon, op. cit., entretien 22A.
45. R. Laing, op. cit., p. 106.
46. Elles accouchent à la maison, seules le plus souvent, sans l'assistance d'aucune femme de leur famille d'origine. Dans les récits, l'accouchement est présenté comme une Épreuve dangereuse au cours de laquelle l'épouse doit se montrer capable d'affronter sa belle-mère et ses belles-sœurs. Les femmes sont privées d'identité sociale. C'est pourquoi leur présence ou leur absence dans une situation, où se redéfinissent les rapports de parenté, telle que l'accouchement, manifeste la présence ou l'absence des hommes dont elles sont les représentantes. Dans le cas qui nous retient, l'épouse n'a pas reçu de dot de son père ; l'absence de sa mère à l'accouchement paraît signifier que son père a perdu tout droit sur la descendance de sa fille. Dès lors, toutefois, qu'aucune des deux familles ne possède de biens en dehors de la force de travail qu'elle rassemble, on pouvait attendre de la famille de l'épouse qu'elle veuille exercer une forme de contrôle et qu'elle prétende à un droit sur les petitsenfants. Pour comprendre l'absolue solitude de la nouvelle mère, il faut savoir entendre la réponse oblique que ne cesse de donner la mère pour justifier son absence au chevet de l'accouchée : « Pourquoi voir souffrir sa fille ? » Cette non-réponse et son absence manifestent un refus de s'identifier à son mari et de le représenter à l'accouchement de leur fille. L'absence de la mère assure à la fille un lien totalement exclusif avec l'enfant à naître, sans l'ombre d'une présence masculine.
47. B. BettelHeim, Il mondo incantato…, op. cit., p. 41.
48. Le modèle proposé par l'église valorise fortement la virginité et insiste sur le fait que les enfants doivent être conçus après l'union légale. Les rapports préconjugaux sont présentés, dans le cas B, comme une rébellion de la fille contre le comportement de sa propre mère, en même temps que comme un comportement indépendant du mariage et du choix d'avoir des enfants. En A au contraire, les rapports préconjuguaux sont présentés comme la transgression — celle de la fille comme elle a Été celle de la mère —, comme la phase liminale, période d'attente Étroitement liée à la grossesse et au mariage. En B, la virginité est comprise comme une condition dont il faut sortir, en A comme une virtualité à réaliser. On admet implicitement en B que les enfants sont, conformément au modèle, un bien social collectif tandis qu'en A les enfants sont avant tout la propriété de la mère.
49. Cf. Lasi-Ett, P., Oosterveen, K., Schmitt, R. M. Éds, Bastardy and its Comparative History, Londres, Arnold, 1980.Google Scholar
50. B. Bettelheim, Il mondo incantato…, op. cit., p. 113.
51. Douglas, M., Purezza e pericolo, Bologne, Il Mulino, 1975, p. 215 ssGoogle Scholar, trad. de Purity and Danger, Harmondworth, Penguin, 1970, 220 p. ; trad. frse, De la souillure, Paris, Maspéro, Coll. Fondations, 1982.
52. Seari, H., Le contre-transfert, Paris, Gallimard, 1981, p. 252.Google Scholar
53. S. Freud, Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1971, cf. le chapitre sur « Le refoulement », pp. 45-63.
54. Sur le concept de contre-transfert, voir H. Searles, op. cit.
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- Cited by