Cet article se fonde, en premier lieu, sur des manuels manuscrits produitset/ou utilisés par les inquisiteurs en Espagne pour leur usage quotidien. Ils’appuie ensuite sur les traités latins que ces manuels citent en références,qui nous ont permis d’avoir accès à l’arrière-plan théorique, théologique,pastoral et philosophique sur lequel se fondait la pratique. Nous avonségalement comparé la structure procédurale des procès originaux aux relations decause, ces rapports d’activité qui les résument où les inquisiteurs doiventjustifier leurs décisions auprès de leurs supérieurs. Nous établissons grâce àcette double voie que la « cause de foi », qui est au cœur du travailinquisitorial, doit être formalisée à deux niveaux : d’une part une procédurejudiciaire, qui commande la succession des opérations du procès ; d’autre partun niveau sous-jacent – moins visible pour un lecteur actuel, mais fortementarticulé par l’appareil conceptuel décrit par les traités latins –, qui vise àproduire, non pas une vérité judiciaire, comme le premier, mais une véritépénitentielle. Le premier niveau est répressif, une fois le délit prouvé dansles formes judiciaires. Le second niveau est intégratif, ecclésiastique et nonséculier ; il vise à réintégrer l’accusé au sein de l’Église catholique, mêmelorsque le délit d’hérésie est judiciairement établi. Les inquisiteurs jouaientsur ces deux niveaux avec souplesse, ce dont nous avions jusqu’ici du mal àrendre compte. Envisagé sous cet angle, le souci que l’Inquisition exprime sanscesse pour le bien-être spirituel de l’accusé ne peut plus être interprété commesimple hypocrisie. Le procès de foi inquisitorial, commandé par une doublelogique, est en équilibre instable, ce qui le rend particulièrement sensible auxchoix personnels, en termes techniques à l’« arbitraire », des juges. Nousconstatons qu’au fil du temps l’aspect pénitentiel prend de plus en plusd’importance au détriment de la logique purement judiciaire. De nombreux indicesindiquent qu’une double logique de ce type commande également les procèscriminels d’autres juridictions – un aspect dont la prise en compte éclaireraitsans doute le fonctionnement global des institutions de résolution des conflitsà l’époque moderne.