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Catherine Mayeur-Jaouen, Voyage en Haute-Égypte.Prêtres, coptes et catholiques, Paris,CNRS Éditions, 2019,416 p.

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Catherine Mayeur-Jaouen, Voyage en Haute-Égypte.Prêtres, coptes et catholiques, Paris,CNRS Éditions, 2019,416 p.

Published online by Cambridge University Press:  01 August 2023

Baudouin Long*
Affiliation:
Baudouin.Long@etu.univ-paris1.fr
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Abstract

Type
Histoire religieuse (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Si les coptes d’Égypte ont fait l’objet de plusieurs travaux récents, en particulier en sociologie politique, avec des recherches consacrées au fait minoritaire dans une société définie comme autoritaire, islamisée ou en révolutionFootnote 1, le cas des coptes catholiques n’est généralement pas traité séparément de celui des coptes orthodoxes. Composée à 95 % de coptes orthodoxes, la minorité chrétienne d’Égypte est très homogène et les 300 000 coptes catholiques (pour 101 millions d’Égyptiens) ne représentent que la « minorité de la minorité » (p. 22).

Cependant, il s’agit moins ici du fait minoritaire et des ressorts de la violence ou de la coexistence que d’une plongée historique et ethnographique dans le quotidien des prêtres coptes catholiques et de leurs ouailles. À cet égard, la société de Haute-Égypte étudiée à travers la minorité copte catholique constitue le véritable deuxième objet du livre. En effet, alors qu’aux xviiie et xixe siècles les missions latines florissaient et que les catholiques orientaux venus du Levant prospéraient au Caire et à Alexandrie, les coptes catholiques représentent quant à eux une minorité de Haute-Égypte ancrée dans la société rurale de la vallée du Nil.

Si l’objet – les coptes catholiques et, à travers eux, la Haute-Égypte – et l’angle sous lequel il est abordé sont inédits, il en va de même de la combinaison des méthodes : l’autrice voyage en Haute-Égypte en historienne et en anthropologue. Historienne, Catherine Mayeur-Jaouen explore les archives des congrégations latines conservées à Rome puis celles du Collège jésuite de la Sainte Famille au Caire et les enrichit de sources locales et de récits transmis oralement pour retracer l’histoire de la minorité depuis le xviiie siècle. Anthropologue, elle multiplie les séjours de recherche en Égypte et entretient une longue relation personnelle avec les prêtres coptes catholiques, qu’elle rencontre pour la première fois en 1989.

L’ouvrage de C. Mayeur-Jaouen rend compte d’une histoire en partage dont le quotidien des communautés catholiques de Haute-Égypte témoigne encore. Une histoire où se confrontent les récits locaux et les archives latines, où s’enchevêtrent l’histoire de l’Église catholique et celle de l’Égypte, l’histoire des missions latines en Orient et celle d’une nation en gestation depuis Méhémet Ali, l’histoire des bouleversements du nassérisme et ceux de Vatican II. Une histoire des notables, des missionnaires franciscains et jésuites, des prêtres de Haute-Égypte ainsi que des hommes et des femmes de ces paroisses rurales.

Historienne, C. Mayeur-Jaouen souligne la disparité entre des archives latines riches et abondantes (à Rome ou au Caire) et celles quasi inexistantes jusqu’au xixe siècle du côté égyptien, au risque d’avoir une vision trop latine et cléricale. L’autrice est consciente de ce biais. Elle prend la mesure des stigmates d’une histoire commune entre missionnaires latins et coptes catholiques et interprète les archives latines à l’aune des récits des coptes catholiques contemporains sur leur propre histoire. À la tradition orale qui fait exister une communauté attachée au concile de Chalcédoine (en 451), mais qui revendique en partage l’héritage copte, s’oppose le récit des missions franciscaines puis jésuites qui « se disputent la gloire des premiers convertis » (p. 48).

Dépassant le prisme de la société coloniale, C. Mayeur-Jaouen évoque le rôle des grandes familles dans l’implantation de la communauté copte catholique en Haute-Égypte et insiste sur la demande d’écoles qui, davantage peut-être que le besoin d’une protection, fut cruciale dans le développement de cette communauté. Ainsi, tandis que les Jésuites fondaient au Caire le prestigieux Collège de la Sainte Famille et le séminaire copte catholique (en 1879), l’essor de la communauté copte catholique fut surtout alimenté par les sollicitations émanant des communautés de Haute-Égypte.

L’importance des écoles dans la structuration locale des communautés coptes catholiques a d’ailleurs perduré jusqu’à aujourd’hui. Les Jésuites et les laïcs coptes catholiques furent à l’avant-garde des mouvements associatifs initiés dans les années 1940, avec de nouvelles créations d’écoles dans une perspective plus caritative que pastorale (réseau de l’Association chrétienne de Haute-Égypte). Dans les années 1960, d’autres initiatives associatives axées sur la « recherche du développement » (p. 115) reflétaient à la fois les préoccupations du nassérisme et les nouvelles orientations sociales de l’Église catholique à la veille du concile Vatican II.

Si les coptes catholiques s’appuient sur les missions jésuites pour former des prêtres et construire des églises et des écoles, les conflits entre les congrégations latines et le clergé local furent récurrents jusque dans les années 1960. Le vicaire apostolique Agapios Bishay s’opposa aux franciscains dans les années 1870 et fut destitué en 1880. Le premier patriarche copte catholique, Cyrille Macaire, se confronta aux Jésuites et à Rome et dut démissionner en 1908. L’autrice montre cependant que ces conflits sont souvent intrinsèquement liés à des enjeux locaux, à des luttes de clans ou de familles ainsi qu’au clivage entre la Haute-Égypte, où vivent la majorité des coptes catholiques, et les centres urbanisés du Caire et d’Alexandrie, où sont surtout influentes les communautés levantines et les missions latines.

Très tôt un clivage s’imposa entre les familles riches du Caire, pas toujours catholiques, et rarement coptes, fréquentant le Collège de la Sainte Famille et les coptes catholiques dont les aspirants au sacerdoce issus de familles rurales pauvres, voire miséreuses, étaient relégués dans un séminaire vétuste. La réception du concile Vatican II illustre encore ce clivage. Si le père Anawati, un dominicain égyptien, grec catholique d’Alexandrie converti, joua un rôle majeur dans la rédaction de la déclaration Nostra Ætate, le concile n’eut qu’une influence limitée sur une Église copte catholique dont le rit liturgique était déjà arabisé et qui se méfiait des orientations œcuméniques et d’une ouverture susceptible de « déconsidérer le sacerdoce » (p. 129).

Au-delà des conflits et clivages qui ont imprégné la mémoire collective de la minorité, l’autrice rend compte du contexte et des conditions de vie des coptes catholiques depuis 150 ans. C’est l’histoire d’une communauté affectée par la misère, la dureté de la vie rurale, les contraintes de la crue du Nil qu’elle nous dépeint. Des conditions qui, hormis la crue, ont peu changé.

Les relations avec Rome revêtent, pour la communauté copte catholique, une importance que l’on pourrait juger démesurée à la lecture des archives dont l’autrice nous donne un aperçu. Toutefois, le travail ethnographique, les récits de vie des séminaristes devenus prêtres montrent combien, aujourd’hui encore, ce lien avec Rome marque de son empreinte la vie de la communauté. Formés par des professeurs de multiples nationalités, envoyés à Rome pendant leurs études, les prêtres coptes catholiques ont un sentiment d’appartenance très fort à l’Église catholique et une vive conscience de leurs différences, d’autant qu’il est nécessaire de manifester leur spécificité vis-à-vis des coptes orthodoxes. Cet attachement transparaît dans leurs dévotions à des saints italiens (Padre Pio, sainte Rita), dans les manifestations de piété dans des églises et des maisons où sont multipliées les photographies des papes, les statues de Notre-Dame de Lourdes et autres représentations sulpiciennes. L’expérience romaine (dont l’autrice montre également les difficultés économiques ou culturelles) se retrouve aussi dans les habitudes (l’espresso italien) ainsi que dans certaines initiatives pastorales (organisation locale de Journées mondiales de la jeunesse).

C. Mayeur-Jaouen offre une anthropologie de la communauté copte catholique et plus précisément de ses prêtres qui n’a été possible, comme elle l’explique, qu’au terme d’une longue et profonde fréquentation de ses membres, avec la création de relations amicales, l’organisation de visites et de voyages dans une région, la Haute-Égypte, largement délaissée par les autorités centralisatrices cairotes, mais également par la recherche en sciences sociales. La richesse de l’ouvrage tient notamment à sa profondeur humaine ; des relations personnelles de C. Mayeur-Jaouen avec ses anciens élèves naît une compréhension fine dans laquelle sa foi personnelle, qu’elle ne dissimule pas, lui permet d’exprimer avec justesse les ressorts spirituels qui animent le prêtre copte catholique : « au cœur de la vie de tout prêtre, il y a la messe qu’il célèbre quotidiennement. Figure du Christ, il l’incarne en célébrant la messe – sacrifice de l’Eucharistie, présence réelle du Christ au quotidien » (p. 227).

Le rôle du prêtre dans la communauté copte catholique va au-delà de la distribution des sacrements et de l’enseignement du catéchisme (tâches toutefois essentielles). Le prêtre visite ainsi ses ouailles, les connaît, les conseille. Il arrange souvent les mariages, sert d’intermédiaire ou de conseiller. Il représente aussi sa communauté dans l’informalité des pratiques socio-politiques de Haute-Égypte, en particulier (mais pas seulement) lors d’incidents confessionnels. Le prêtre se fait parfois bâtisseur de jardins d’enfants, de dispensaires, il organise des voyages, des pèlerinages. Il est un acteur qui fédère une communauté et se met à son service, communauté dont il partage encore les tourments et les inquiétudes : le chômage, l’exode, les récoltes ou les difficultés du mariage.

À travers le rôle du prêtre, homme de Dieu et homme célibataire – ce qui est une particularité catholique –, C. Mayeur-Jaouen aborde aussi la place de la femme dans la société de Haute-Égypte : l’ennui, les difficultés pour se marier, les violences conjugales, le problème de l’excision, qui touche autant les femmes catholiques que celles d’autres confessions. L’action sociale de l’Église copte catholique offre aux plus jeunes d’entre elles une éducation que leurs mères et grands-mères n’ont pas eue et, parfois, leur permet d’avoir un petit emploi à la paroisse ou dans les jardins d’enfants et dispensaires dépendant de la paroisse. Sans y gagner une véritable indépendance, car toujours soumises au patriarcat traditionnel, elles combattent toutefois l’ennui de leur situation.

Au-delà des spécificités de la communauté copte catholique, c’est aussi une sociologie de la Haute-Égypte qui nous est donnée à voir. La réalité des préoccupations quotidiennes des habitants de Haute-Égypte, qu’ils soient musulmans, coptes orthodoxes ou catholiques – hygiène, éducation, mariage, chômage et emploi, exode rural, la condition des femmes –, s’applique à tous.

À cet égard, les répercussions de la révolution de janvier 2011 sur la vie des habitants de Haute-Égypte et le regard porté sur les bouleversements politiques qui l’ont suivie offrent un point de vue décentré vis-à-vis de Tahrir. À l’enthousiasme et à l’intérêt renouvelé pour la politique ont succédé la crainte et le rejet des Frères musulmans, une adhésion par défaut à Abdel Fattah al-Sissi et à l’Égypte du coup d’État, un repli prudent à l’égard de la politique. Les préoccupations des coptes catholiques, comme celles de beaucoup de leurs compatriotes, s’avèrent être moins la démocratie et la liberté que l’emploi, le chômage ou la sécurité.

References

1 Voir notamment Laure Guirguis, Les coptes d’Égypte. Violences communautaires et transformations politiques (2005-2012), Paris, Karthala, 2012 ; Gaétan du Roy, Les zabbālīn du Muqattam. Ethnohistoire d’une hétérotopie au Caire (979-2021), Leyde, Brill, 2022 ; Mariz Tadros, Copts at the Crossroads: The Challenges of Building Incl usive Democracy in Egypt, Le Caire, American University in Cairo Press, 2013.