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John Scheid, Rites et religion àRome, Paris, CNRSÉditions, 2019, 304 p.

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John Scheid, Rites et religion àRome, Paris, CNRSÉditions, 2019, 304 p.

Published online by Cambridge University Press:  01 August 2023

Stéphanie Wyler*
Affiliation:
stephanie.wyler@u-paris.fr
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Abstract

Type
Histoire religieuse (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Le dernier ouvrage de John Scheid, fort opportunément paru au moment où le programme des concours d’enseignement d’histoire portait sur le thème « Religions et pouvoir dans le monde romain de 218 av. J.-C. à 250 ap. J.-C. », est composé de la réédition de onze articles de l’auteur parus entre 1984 et 2012 dans divers ouvrages collectifs et revues et augmenté de deux nouveaux chapitres. L’un des articles réédités, initialement écrit en anglais, a été traduit en français et des mises à jour bibliographiques complètent les notes de tous les autres.

La nature de ce recueil n’apparaît pas d’emblée comme telle et il faut se référer à l’appendice sur les sources des textes, en fin d’ouvrage, pour en comprendre la stratigraphie, ce qui aurait pu être plus clairement exposé, en quatrième de couverture ou en avant-propos par exemple. Seule l’introduction est précédée d’une note mentionnant qu’« [une] première version de ce texte a été écrite en commun avec Jean-Louis Durand » (p. 7), qui vient justement d’être rééditée dans un livre rassemblant la totalité des textes de ce dernierFootnote 1. C’est dire que ce type de synthèse est une tendance du paysage éditorial actuel, en particulier en matière de religion antique, pour les chercheurs de l’« école de Paris » (citons les éditions à venir des articles de François Lissarrague et de Stella Georgoudi dans les suppléments de Kernos).

La démarche de J. Scheid est aussi celle d’une sélection dans le foisonnement de ses publications et d’une réorganisation cohérente de travaux écrits à des moments différents de sa carrière et de l’évolution de leur réception dans l’historiographie des quarante dernières années – qu’il a sensiblement marquée, en France et à l’étranger, ce bien avant d’entrer au Collège de France, où il a occupé la chaire « Religion, institutions et société de la Rome antique » entre 2001 et 2016. Si les principes qui ont présidé à cette sélection ne sont pas clairement explicités, on comprend qu’il s’agit d’une manière de présenter, sous la forme d’une séquence cohérente, son approche du ritualisme romain dans une perspective efficace de diffusion de sa recherche.

Avec une organisation en quatre parties, on passe ainsi des principes généraux – avec une introduction historiographique sur les concepts de « rite » et de « religion » et deux chapitres sur le sens du ritualisme, dont un nouveau présentant un tableau général sur « les attitudes rituelles des Romains » – à l’orthopraxie en pratique – avec une contribution méthodologique sur l’archéologie du rite et un cas d’étude sur le ritus Graecus –, puis à la manière dont les structures rituelles (les sacrifices animaux comme végétaux, les espaces cultuels, le « culte impérial ») révèlent les hiérarchies de la société romaine et des « ontologies » qui la composent, pour finir par les rituels privés familiaux (avec la seconde nouvelle contribution) et funéraires.

C’est l’occasion de reposer les bases de l’histoire de la religion romaine que l’on peut reconstituer par les sources fiables, c’est-à-dire sans remonter guère au-delà du iie siècle av. n. è., et de combattre une nouvelle fois les clichés sur le caractère « froid » des religions antiques ou sur la pseudo-hellénisation des dieux romains, qui continuent d’avoir la vie dure aujourd’hui encore. Les cultes dans les cités romaines, aux différentes échelles des cercles communautaires (de l’Empire à la famille en passant par les corporations professionnelles, les quartiers, etc.), sont présentés selon toutes les nuances des négociations des humains envers les divinités, telles qu’ils se les représentent, afin d’établir un rapport rationnel à leur environnement. Le livre met en évidence les dynamiques des traditions sur lesquelles reposent les rituels, selon le principe essentiel de l’orthopraxie, c’est-à-dire l’exécution rigoureuse des séquences gestuelles au sens large, dont la confiance en l’efficacité tient lieu de credo.

Plus précis que les manuels universitaires de l’auteur, désormais classiquesFootnote 2, les articles, pour la plupart bien connus des spécialistes de la religion romaine, entrent en dialogue pour restituer une progression dans l’analyse de l’orthopraxie antique, qui présente un intérêt réel aussi bien pour les chercheurs des autres aires culturelles que pour les étudiants désireux d’approfondir la démarche scientifique et les principaux résultats aboutissant au tableau général de la religion des Romains tel que J. Scheid l’a brossé depuis bientôt un demi-siècle. La pluridisciplinarité sur laquelle il s’est appuyé – l’étude des textes, des inscriptions, de l’archéologie –, qui contribue régulièrement à apporter des résultats nouveaux (notamment avec le développement de l’archéologie du rituel appliquée seulement récemment aux gisements « classiques »), émerge en particulier, mais aussi les sources et les domaines qu’il a moins traités, comme l’iconographie (avec trois figures de reliefs sacrificiels dans l’ensemble du volume) ou l’histoire des femmes – on peut regretter que le livre se soit finalement dispensé des « indispensables étrangèresFootnote 3 », même si les rôles religieux des Romaines apparaissent d’un chapitre à l’autre, surtout dans les derniers consacrés aux cultes privés.

La (re)lecture de cette synthèse n’en reste pas moins hautement recommandable et montre à quel point l’approche de J. Scheid, sa méthode rigoureuse et ses résultats traversent non seulement les décennies, mais qu’il est aussi utile, voire essentiel de les diffuser à destination d’un public élargi afin de lutter contre toutes les formes de récupération de l’Antiquité romaine dans certains discours identitaires révisionnistes.

References

1 Jean-Louis Durand et John Scheid, « ‘Rites’ et ‘religion’. Remarques sur certains préjugés des historiens de la religion des Grecs et des Romains » [1994], in J.-L. Durand, Sacrifier en Grèce et ailleurs. De l’anthropologue et du terrain, éd. par D. Jaillard et C. Carastro, Grenoble, Jérôme Millon, 2022, p. 515-533.

2 On pense notamment à John Scheid, La religion des Romains, Paris, Armand Colin, [1998] 2019 (4e réédition revue et augmentée).

3 Id., « D’indispensables ‘étrangères’. Les rôles religieux des femmes à Rome », in P. Schmitt-Pantel (dir.), Histoire des femmes en Occident, vol. 1, L’Antiquité, Paris, Plon, 1991, p. 405-437.