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Réduire le fossé culturel entre les forces armées et la société civile sans rompre avec le « compromis huntingtonien »

Published online by Cambridge University Press:  21 March 2024

Danic Parenteau*
Affiliation:
Collège militaire royal de Saint-Jean, Département des humanités et des sciences sociales C.P. 100, Succ Bureau-chef, Richelain, Québec J0J 1R0
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Résumé

Cet article propose une réflexion sur les initiatives politiques déployées ces dernières années un peu partout en Occident afin de rendre les forces armées plus « représentatives ». S'il est difficile de contester la légitimité démocratique de ces initiatives, celles-ci risquent néanmoins de porter atteinte à l'autonomie professionnelle des officiers au sein des forces armées, conformément à ce que nous appelons le « compromis huntingtonien », soit le modèle de relations civilo-militaires qui domine encore aujourd'hui en Occident. En effet, en intervenant directement dans les « affaires internes » des forces armées, le pouvoir civil se trouve ainsi à empiéter sur les pouvoirs et le champ des responsabilités professionnelles exercées par les officiers sur les forces armées. Pour pallier ce risque, nous proposons un élargissement du « rôle politique » de l'officier, à l'intérieur même du cadre fixé par le compromis huntingonien. Cela devrait se traduire par deux axes complémentaires d'action pour l'officier aujourd'hui négligés : d'une part, défendre la place singulière des forces armées dans la société et, d'autre part, agir en tant qu'agent de changement culturel au sein des forces armées.

Abstract

Abstract

This article reflects on the political initiatives deployed in recent years throughout the West to make the Armed Forces more “representative”. While we find it difficult to dispute the democratic legitimacy of these initiatives, they nonetheless risk undermining the professional autonomy of officers within the armed forces, in accordance with what we call the “Huntingtonian compromise,” the model of civil-military relations that dominates today in the West. By intervening directly in the “internal affairs” of the armed forces, the civilian power thus encroaches on the powers and scope of professional responsibilities exercised by officers on the armed forces. To mitigate this risk, we propose an expansion of the officer's “political role” within the general framework of the Huntingtonian compromise. This should translate into two complementary axes of action for the officer that are currently neglected: first, defending the singular place of the armed forces in society and, second, acting as an agent of cultural change within the armed forces.

Type
Étude originale/Research Article
Copyright
Copyright © The Author(s), 2024. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Political Science Association (l’Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique

Évoluant en marge de la société, les forces armées affichent partout en Occident une culture distincte au regard de la culture majoritaire dans la population civile (Boëne, Reference Boëne1990; Soeters, Wilson et Weibull Reference Soeters, Wilson, Weibull and Caforio2003; Bardiès, Reference Bardiès2011; Soeters Reference Soeters, Carforio and Nuciari2018). Aussi peut-on affirmer, suivant Andrew Hill, que « les forces armées sont des sociétés à part entière, avec leur propre sociologie, leur propre histoire, leurs valeurs et leurs croyances » (Reference Hill2015 : 86).Footnote 1 Les forces armées forment en quelque sorte une société dans la société. Ce particularisme culturel tient autant à des impératifs « fonctionnels » , pour reprendre la distinction établie par Bernard Boëne (Reference Boëne1990), c'est-à-dire découlant de la mission singulière qui leur est confiée par l’État–celle de défendre le territoire en faisant un usage légitime de la force–, qu’à des impératifs de nature « sociopolitique », lesquels tiennent au fait que les militaires mènent une vie professionnelle et privée relativement isolée du reste de la société. Le fossé culturel entre les forces armées et la société civile peut certes varier d'un contexte national à l'autre, et fluctuer au gré des conjonctures politiques, mais il s'impose partout comme une constante en Occident, si bien que selon Marina Nuciari, « la culture militaire est plus semblable entre les différentes armées nationales, que vis-à-vis de la culture de sa propre société » (Reference Nuciari and Caforio2007: 227).

On observe ces dernières années partout en Occident des interventions plus nombreuses de la part des gouvernements en vue d'imposer des changements à cette culture, afin principalement de la rendre plus « représentative » (Boëne, Reference Boëne2011; Greco et von Hlatky, Reference Greco, von Hlatky, Hachey, Libel and Dean2020), c'est-à-dire plus accueillante de la diversité socioculturelle caractéristique des sociétés contemporaines. Ces efforts s'inscrivent le plus souvent dans une démarche générale visant à accroître la diversité au sein des appareils de l’État ou des institutions publiques (Congressional Research Service, 2019; Slapakova et al., Reference Slapakova, Caves, Posard, Muravska, Dascalu, Myers, Kuo and Thue2022; Heinecken et Soeters, Reference Heinecken, Soeters, Caforio and Nuciari2018). En fait, cette demande de représentativité n'est pas entièrement nouvelle, puisque dans les années 1960 aux États-Unis, on réclamait déjà « des forces armées, dont les origines sociales et les attitudes, [soient] plus représentatives de la société dans son ensemble » (Janowitz, Reference Janowitz1960: 253–254). Mais ces interventions se sont récemment grandement accrues, sous la forme de nouvelles initiatives, et l'adoption de mesures concrètes et d'objectifs de recrutement contraignants. Cela s'est par exemple traduit par des efforts renouvelés en vue d'une meilleure inclusion des femmes au sein des forces armées, une démarche qui continue de bousculer la culture encore essentiellement masculine de cette organisation. Ainsi, appelle-t-on partout à la levée des dernières restrictions encore existantes imposées aux femmes à l'intégration de certains métiers ou certaines unités militaires, et la fixation d'objectifs concrets de recrutement pour celles-ci. Suivant une volonté semblable, on a également vu ces dernières années les gouvernements légiférer en faveur d'une meilleure inclusion au sein des forces armées de personnes issues des minorités sexuelles et de genre. Aux États-Unis, cela s'est traduit en 2010 par l'abrogation de la directive dite Don't ask, don't tell en vigueur depuis 1993, alors qu'ailleurs, comme en Allemagne par exemple, cela a entraîné en 2021 l'adoption de mesure d'indemnisation pour les discriminations subies par les militaires issues des minorités sexuelles par le passé (Deutscher Bundestag, 2021). Dans la même foulée, nombre d’États s'efforcent désormais d'encourager une plus grande diversité ethnoculturelle au sein de leurs forces armées, lesquelles restent, pour l'essentiel, composées en Occident à majorité d'hommes blancs. Par exemple, la Belgique a-t-elle adopté en ce sens en 2011 la Charte de la Diversité de l'Administration fédérale à laquelle est soumise la Défense (Administration fédérale [Belgique], 2011). Enfin, plus récemment encore, nous avons vu plusieurs gouvernements tenter de s'attaquer au problème persistant d'agressions sexuelles au sein des forces armées, agressions dont les femmes sont les principales victimes. Au Canada, cela a par exemple engendré à la fin de l'année 2022 la décision de retirer aux tribunaux militaires le traitement des plaintes en matière de violence sexuelle (Défense nationale, 2022A), contribuant de ce fait à réduire le particularisme culturel d'une institution qui se distingue notamment par son système de justice autonome, à côté des systèmes de droit criminel et civil. Ces différentes initiatives concourent toutes à changer la culture des forces armées afin de la rapprocher des valeurs dominantes de la société, réduisant par conséquent le fossé culturel entre les mondes militaire et civil.

Le présent article se veut une réflexion sur ces initiatives politiques déployées un peu partout en Occident ces dernières années et leur impact sur le professionnalisme de l'officier.Footnote 2 Si l'objectif de représentativité recherché par ces initiatives constitue un but politique dont on peut difficilement contester la légitimité démocratique à notre époque, force est néanmoins de reconnaître que celles-ci risquent de porter atteinte à l'autonomie professionnelle consentie à l'officier au sein des forces armées, en vertu de ce que nous appellerons le « compromis huntingtonien », soit le modèle de relations civilo-militaires dominant partout en Occident depuis plus d'un demi-siècle. En intervenant directement dans ce qui relève des « affaires internes » des forces armées, le pouvoir civil se trouve ainsi à empiéter sur les pouvoirs et le champ des responsabilités professionnelles exercés par l'officier au sein de l'organisation militaire, notamment en matière de détermination des critères d'admission au sein de la profession des armes. Plus précisément, le présent article se propose de réfléchir à la manière dont ces initiatives peuvent affecter l'autonomie professionnelle de l'officier, et par suite, l'efficacité opérationnelle des forces armées. Nous tenterons de montrer qu’un élargissement du rôle politique de l'officier, à l'intérieur des paramètres fixés par le compromis huntingtonien, représente la meilleure façon de mitiger ce risque. Cet élargissement n'implique selon nous aucune remise en cause des fondements même de ce modèle de relations civilo-militaires, mais simplement une redéfinition du rôle politique de l'officier à l'intérieur même des balises fixées par celui-ci. Concrètement, cela devrait se traduire par deux axes d'action politique complémentaires pour l'officier, soit d'abord défendre la place singulière des forces armées dans la société et ensuite, agir comme agent de changement culturel au sein des forces armées.

Par ailleurs, pour le besoin de notre exposition, nous nous appuierons principalement sur des exemples tirés du cas canadien, non pas en vue de restreindre notre réflexion à ce seul pays mais par simple commodité et familiarité avec cette réalité que nous connaissons mieux. En réalité, des exemples semblables pourraient très bien être trouvés ailleurs en Occident afin d'illustrer notre propos.

Le « compromis huntingtonien » en matière de relations civilo-militaires

Malgré plusieurs critiques formulées à son endroit au fil du temps, notamment ces dernières années (Burk, 2002; Finney et Mayfield, Reference Finney and Mayfield2018; Libel, Reference Libel, Hachey, Libel and Dean2020; Brooks, Reference Brooks, Beehner, Brooks and Maurer2021), le « compromis huntingtonien » continue d’être le modèle dominant partout en Occident en matière de relations civilo-militaires. Si bien que pour Eliot A. Cohen, il représente en quelque sorte le modèle « normal » en démocratie (Cohen, 2002). L'on doit au politologue états-unien Samuel Huntington, dans son ouvrage classique de Reference Huntington1957, The Soldier and the State: The Theory and Politics of Civil-Military Relations, d'avoir le premier conceptualisé ce modèle de relations civilo-militaires, qui a par la suite été approfondi par des penseurs tels que Morris Jonawitz, dans son œuvre majeure The Professional Soldier : A Social and Political Portrait (1960, mis à jour en 1974), de même, un peu plus tard, par Charles Moskos, notamment dans un ouvrage (co-dirigé avec Frank R. Wood), The Military : More Than Just a Job? (Reference Moskos and Wood1988), pour ne nommer que ces penseurs.

Au cœur de ce modèle de relations civilo-militaires repose un « compromis » fondamental, soit une sorte de contrat tacite permettant d'accorder les intérêts potentiellement divergents du corps des officiers (ou plus largement des militaires) avec ceux du pouvoir civil. Autrement dit, ce modèle permet selon Huntington de maximiser l'efficacité opérationnelle militaire, sans nuire à la nature démocratique de l’État. Ce compromis peut se résumer ainsi : le pouvoir civil s'engage à reconnaître à l'officier un statut professionnel, en échange de quoi celui-ci accepte le contrôle civil objectif des forces armées. En accordant au corps des officiers un statut professionnel semblable à celui dont jouissent les médecins, les ingénieurs ou les avocats, l’État se trouve ainsi à lui déléguer une large autonomie dans la gestion interne des forces armées, à la manière de celle garantie aux associations professionnelles telles que l'Ordre des médecins (ou Collège des médecins) dans le domaine médical, l'Ordre des ingénieurs en matière d'infrastructure par exemple, ou le Barreau dans le domaine juridique. Mais en contrepartie, l'officier accepte le principe de la suprématie légale des autorités politiques sur les forces armées. Pour reprendre les mots de Vanessa Brown et d'Al Okros, en vertu de ce compromis,

le gouvernement en place détermine les rôles, les responsabilités et les missions assignés aux forces armées, tandis que celles-ci conservent un contrôle important sur les fonctions professionnelles internes. En termes simples, le gouvernement détermine ce qui doit être réalisé, tandis que les forces armées décident de la manière de générer et d'employer les capacités nécessaires pour y parvenir. (2020: 150)

C'est ce modèle de relations civilo-militaires, impliquant une large autonomie pour l'officier, qui a en grande partie permis le maintien du particularisme culturel des forces armées au fil du temps. L'exercice de l'autorité des officiers sur l'institution militaire se traduit en effet par le maintien de certains traditions ou de pratiques culturelles lesquelles constituent un élément central dans le système d'autorité militaire.

L'autonomie consentie aux officiers dans ce modèle n'est bien sûr jamais absolue, en ce que le pouvoir civil continue d'exercer partout en Occident, lorsque les circonstances politiques l'incitent à le faire, à « s'immiscer » dans les affaires militaires. Pensons aux interventions de l'Administration de George W. Bush dans les opérations militaires états-uniennes en Irak au cours de la Seconde guerre d'Irak, à celles de Margaret Thatcher durant la Guerre des Malouines, par exemple, ou même à celles du Gouvernement de Charles de Gaulle au moment de la Guerre d'Algérie. Seulement, ces interventions restent néanmoins encadrées par les grandes lignes de partage des responsabilités fixées par le compromis huntingtonien, qui accorde une autonomie presque complète aux officiers sur les questions militaires. S'ajoute à cela le fait que les forces armées, comme institution publique bureaucratique, doivent se soumettre à un vaste système de reddition de compte, alors même que ses activités sont encadrées par une vaste gamme de lois, de politiques, de règlements et de différentes obligations gouvernementales. Malgré cela, à la différence des autres organisations bureaucratiques, telles que les autres ministères et sociétés d’État, les forces armées ont toujours joui et continuent à notre époque de jouir d'une large autonomie institutionnelle, dont le maintien d'une culture distincte se veut l'une des illustrations les plus claires.

Or à notre époque, la classe politique, de même que la population en général, semblent de plus en plus réticentes à accepter l'exceptionnalisme culturel militaire, ou à tout le moins, tolèrent moins aisément que par le passé, que la culture des forces armées affiche des traits trop ouvertement discordants vis-à-vis des valeurs dominantes dans la société.Footnote 3 Pourtant, l'autonomie accordée aux officiers, de même que le particularisme culturel militaire qu'elle contribue à renforcer, sont des pièces essentielles du compromis huntingtonien. En effet, comme a pu le montrer Bernard Boëne, le contrôle civil objectif des forces armées prévu dans ce modèle

n'est possible que si le corps des officiers est autonome dans sa propre sphère, c'est-à-dire que si l'armée est séparée de la société par des frontières fermes et nettes, et organisée sur la base d'une spécificité culturelle et structurelle. La condition préalable est que la société dans son ensemble tolère l'existence en son sein d'une telle institution divergente. (1990: 15)

Cette différence culturelle doit être préservée, car pour reprendre l'analyse de Morris Janowitz, nier celle-ci ou même souhaiter sa suppression, ce serait « courir le risque de créer de nouvelles formes de tensions et une forme imprévue de militarisme » (1960: 440). En fait, tel que nous l'avons souligné plus haut, le système d'autorité militaire, qui repose sur la notion de service illimité, sur des mécanismes disciplinaires étendus et sur un processus de décision et de commandement hautement hiérarchisé et centralisé, trouve appui pour se maintenir, notamment dans les contextes difficiles tels que les conflits guerriers, sur cette culture organisationnelle unique.

Trois principaux facteurs complémentaires permettent, selon nous, d'expliquer cette réticence à notre époque. Premièrement, on peut d'abord penser qu'avec l'abolition du service obligatoire dans les pays où cette pratique a été en vigueur jusqu’à un passé relativement récent,Footnote 4 ou qu'en raison de la réduction de la taille des forces armées depuis la fin de la Guerre froide, dans les pays où servent des armées de métier, on trouve de moins en moins de citoyens familiers avec cette institution singulière parmi la population en général, de même que chez les élus. Pour de nombreuses générations de citoyens n'ayant connu ni la guerre ni le service militaire, on peut aisément comprendre combien les codes de la culture militaire peuvent apparaître relativement inintelligibles et que, par suite, cette incompréhension se traduise par une réticence plus grande à accepter l'exceptionnalisme culturel des forces armées.

Deuxièmement, si l'on compare la culture des forces armées avec celle de la majorité des organisations de la société civile, force est de constater que la première se démarque par un attachement ostentatoire au passé, aux traditions, pour ne pas dire un certain atavisme qui détonne (Sarkesian, Reference Sarkesian1981). Dans les années 1960, Morris Janowitz notait déjà que pour plusieurs citoyens les forces armées apparaissent justement comme « un reliquat du passé (a vestigial appendage), plutôt qu'une création de la société contemporaine » (1960: 4). Or, au regard de l'imaginaire politique dominant à notre époque, lequel repose sur une idée du progrès constant de l'humanité, cette culture militaire tournée vers le passé entre inévitablement en contradiction avec ce qui est perçu par plusieurs comme la marche générale de l'Histoire.

Troisièmement, on peut observer qu'il existe une conviction assez répandue dans l'opinion publique selon laquelle l'institution militaire a grandement perdu de sa pertinence à notre époque, alors que l'avenir prévisible s'offre largement libéré des grands conflits guerriers qui ont pu secouer l'Occident jusqu'au siècle dernierFootnote 5–conviction récemment ébranlée par la guerre livrée par les forces russes au cœur même de l'Europe, mais qui reste persistante.

Par ailleurs, s'ajoute à ces trois facteurs une conjoncture idéologique particulière dans le cas précis des États qui ont adopté le multiculturalisme comme politique officielle, tel que le Canada, qui permet selon nous d'expliquer la détermination avec laquelle les gouvernements de ces États apparaissent plus déterminés encore à vouloir changer la culture des forces armées. Le multiculturalisme repose sur l'affirmation que les valeurs de diversité, d'ouverture et de tolérance sont véritablement universelles et qu'il entre donc dans le mandat du gouvernement de les défendre, de les promouvoir, et d'user des ressources de l’État afin de les voir respecter partout. Aussi, d'un point de vue multiculturaliste, rien ne justifie le maintien d'une quelconque exception culturelle pour les forces armées, laquelle reviendrait en pratique à soustraire cette organisation de l'obligation de respecter ces valeurs universelles célébrées partout ailleurs dans le reste de la société. Au contraire, à bien des égards, les Forces armées, en tant qu'organisation relevant de l’État, ne devraient pas seulement se contenter d’être représentatives de la société civile : elles devraient même être exemplaires en la matière et servir de modèle aux autres forces armées (Gouvernement du Canada, 2017: 23).

Ainsi, le nœud du problème se situe aujourd'hui dans un exceptionnalisme culturel militaire plus difficilement toléré que par le passé.

Un élargissement du rôle politique des officiers

Dans ce contexte, comment rendre les forces armées plus représentatives de la société civile, sans affaiblir le professionnalisme des officiers ? Autrement dit, comment y parvenir sans rompre avec le compromis huntingtonien ? Notre thèse est que cela devrait passer par un élargissement du rôle politique de l'officier. Cela implique de repenser ce rôle au-delà des limites réductrices à l'intérieur desquelles il est généralement conçu, tout en respectant le principe cardinal du contrôle démocratique des forces armées. Don M. Snider, John A. Nagl et Tony Pfaff avaient déjà remarqué il y a une vingtaine d'années combien dans le cas des États-Unis « la composante politique du professionnalisme militaire était la moins bien comprise (…), probablement en raison de la tradition huntingtonienne au sein de la profession des armes étasunienne selon laquelle les militaires doivent éviter la politique et la politisation afin de maintenir leur professionnalisme » (Reference Snider, Nagl and Pfaff1999: 12–13). Dans les années 1970–1980, Sam Sarkesian avait également plaidé en faveur d'un élargissement du rôle politique de l'officier afin que celui-ci soit mieux outillé pour comprendre la dimension sociopolitique de son rôle en tant que militaire (Sarkesian et Gannon, Reference Sarkesian and Gannon1976; Sarkesian, Reference Sarkesian1981). Dans les années 1960, Morris Janowitz avait montré combien l’évolution des forces armées amenait l'officier à embrasser un certain « éthos politique » (1960: 12), grâce auquel l'officier général peut ainsi « mieux apprécier les conséquences politiques de l'action militaire » (Boëne, Reference Boëne2010: 12). Aujourd'hui, au regard des interventions plus fréquentes et soutenues du pouvoir civil dans les affaires des forces armées, il apparaît plus pertinent que jamais pour le corps des officiers de s'approprier son rôle politique au sein des forces armées et de la société en général–sous peine de voir son autonomie professionnelle en souffrir, et par suite son statut professionnel même être remis en cause.

Avant de mieux étayer cette thèse, il convient au préalable d'apporter une précision sur la notion de « politique ». Appuyons-nous pour cela sur une distinction établie au début du XXe siècle par le penseur allemand Carl Schmitt (Reference Schmitt2009). Derrière cette notion, se cachent en réalité deux choses distinctes, bien qu'elles soient complémentaires. D'une part, dans un sens restreint, la politique renvoie à la politique partisane, c'est-à-dire aux actions des partis politiques dans le jeu électoral qui est le nôtre dans une démocratie représentative, mais aussi l'engagement militant des mouvements et organisations politiques à l'extérieur des partis officiels. Est politique en ce sens toute action visant à influencer le pouvoir en place, à le révoquer ou à se l'approprier. Entendu dans un sens plus large, le politique renvoie quant à lui au pouvoir qui s'exprime au-delà du jeu de la politique partisane ou militante. Il s'agit du pouvoir dont l’État souverain et sa structure gouvernementale sont les dépositaires institutionnels. En ce sens, même s'il s'exerce à distance de la politique, le travail de l'officier est bien au cœur du politique, et ce, dans la mesure où il est garant de l'une des plus hautes fonctions régaliennes de l’État : la défense du territoire. Reprenons l'exposé de la thèse défendue ici.

Dans le cadre du compromis huntingtonien, le rôle politique de l'officier est le plus souvent entendu d'une manière restrictive, sous la forme d'une obligation simple, pour ne pas dire simpliste : être apolitique. Cette obligation constituerait le meilleur moyen pour assurer le contrôle démocratique des forces armées. Renonçant à toute forme d'esprit partisan ou d'engagement militant, autrement dit se tenant loin du jeu politique, les officiers ne seraient dès lors pas tentés d'utiliser illégitimement les pouvoirs militaires qu'ils contrôlent afin d'influencer les gouvernants, voire, plus grave encore, de s'arroger le pouvoir par la force des armes. Les officiers acceptent de servir loyalement le gouvernement du moment, sans remettre en cause sa légitimité. Cette obligation d'apolitisme est un élément central du professionnalisme de l'officier et occupe une place résolument plus fondamentale que dans n'importe quelle autre profession.Footnote 6 Dès lors que le risque du prétorianisme apparaît à peu près négligeable, comme cela est le cas aujourd'hui en Occident, et que par suite le principe du contrôle objectif civil des forces armées n'apparaît pas contesté, cette conception du rôle politique de l'officier nous apparaît bien réductrice et limitative pour le professionnel qu'il est censé être. Exiger de l'officier qu'il se tienne loin de la politique ne devrait pas impliquer qu'il se décharge de toute forme de responsabilités relevant du politique. En fait, dans le contexte actuel, se refuser à toute forme de responsabilités dans la mise en œuvre des demandes politiques en vue de rendre plus représentatives les forces armées, sous prétexte d'apolitisme, constitue, au contraire, à nos yeux, une forme de manquement professionnel de sa part.Footnote 7

Un élargissement du rôle politique de l'officier à notre époque devrait impliquer deux principaux axes d'actions politiques.

Défendre la place singulière des forces armées dans la société

Le premier axe d'action politique de l'officier devrait être de défendre la place singulière des forces armées dans la société. Face à la réticence grandissante à accepter le particularisme culturel militaire observable dans la population en général et chez une partie de la classe politique, il importe que l'officier parvienne à mieux justifier la raison d’être de celui-ci. Depuis longtemps habitué à vivre en quelque sorte à l’écart de la société et à distance des projecteurs, si l'on peut dire, l'officier se trouve aujourd'hui dans une situation inédite. Alors que de plus en plus de regards se tournent vers les forces armées pour exiger qu'elles évoluent vers une plus grande représentativité, sa première responsabilité devrait être d'expliquer le rôle central que joue la culture distincte de cette organisation dans le modèle de relations civilo-militaires que nous avons adopté comme société il y a un peu plus d'un demi-siècle, modèle qui continue encore de bien servir les régimes démocratiques occidentaux.

Dans toutes les forces armées occidentales, on retrouve des équipes dédiées d'affaires publiques qui s'acquittent déjà en quelque sorte d'une telle fonction d'apparence semblable à celle que nous proposons, mais qui est dans les faits plus circonscrite. Les fonctions de l'officier d'affaires publiques se limitent le plus souvent à fournir au grand public des informations touchant telle mission particulière menée par les forces armées, à contribuer au rayonnement, notamment sous la forme de campagnes de mémoire ou cérémonielles, sinon à contribuer au recrutement militaire. Ce à quoi nous appelons ici est une démarche beaucoup plus large tant dans sa visée, que ceux qu'elle interpelle. Notre propos est qu'il devrait revenir à tous les officiers–quelques soient leur occupation militaire-de s'acquitter de cette tâche politique qui est celle de défendre auprès de la population en général, mais aussi de la classe politique–la place singulière des forces armées dans la société, en montrant combien celle-ci est au cœur du compromis huntingtonien.

Cinq principaux enjeux se dresseront devant l'officier qui voudra défendre le caractère singulier des forces armées au sein de la société.

Premièrement, l'officier doit apprendre à penser à l'extérieur du domaine militaire ou de la défense en général, domaine à l'intérieur duquel il a jusqu'ici été conditionné à penser comme militaire. C'est bien entendu dans ce domaine que résident sa spécialisation et son expertise. Néanmoins, c'est en s’élevant au-dessus de lui, afin de saisir la place des forces armées dans la société en général, mais aussi la manière dont la société civile perçoit cette organisation si singulière, qu'il pourra mieux défendre le particularisme culturel militaire.

Deuxièmement, pour bien saisir la nature du particularisme culturel des forces armées, l'officier devra entreprendre un travail d'introspection afin d’élever à la conscience ou à la réflexion ce qui le plus souvent tient chez lui à de simples pratiques, soit des façons d'agir ou de pensées ancrées dans des us et coutumes. Soumis à un processus de socialisation complexe et englobant depuis son enrôlement (dans certains cas, à un âge relativement jeune comme pour les élèves officiers intégrant l'Académie militaire parfois à partir de seize ans) et à chacune des étapes de sa carrière, l'officier a intériorisé les nombreux codes culturels militaires qu'il mobilise de manière le plus souvent inconsciente. Or, afin d’élaborer une défense convaincante de ces pratiques, il aura besoin de jeter un regard externe sur celles-ci, afin non seulement de les mieux comprendre, mais aussi d'en expliquer le sens, notamment au grand public qui est généralement peu familier avec les forces armées. Il trouvera avantage pour cela à se former à l'abondante littérature sociologique qui existe sur le thème des relations civilo-militaires ou sur la place de l'officier dans la société.Footnote 8

Troisièmement, l'officier devra vaincre un biais professionnel qui consiste à percevoir les forces armées dans un rapport d'altérité avec la société. Comme l'a souligné avec justesse Bruce Fleming, « les militaires n'ont pas le sens de leurs fonctions dans le contexte de l'ensemble »; aussi, ont-ils habituellement tendance à « se définir par opposition au monde civil, plutôt que de concert avec lui » (Reference Fleming2010: 2). Le fossé culturel qui sépare les forces armées de la société en général est indéniable. Mais la relation qui existe entre les deux ne saurait se réduire à ce seul aspect, aussi manifeste soit-il. Cette relation est complexe, bidirectionnelle et en constante évolution. Les forces armées sont une organisation prenant place au sein de la société et qui a été instituée par l’État afin de remplir une fonction éminemment politique, qui est la défense du territoire. Autrement dit, les forces armées doivent leur seule raison d’être au fait qu'elles sont au service de la société ; elles ne sont pas une organisation externe, pouvant revendiquer une quelconque existence autonome à côté de la société. Mais en même temps, elles se définissent souvent elles-mêmes dans un mode de distinction vis-à-vis de la société civile en générale, dont les valeurs apparaissent parfois incompatibles avec l'esprit militaire.

Quatrièmement, s'il veut défendre le caractère singulier des forces armées, l'officier devra accepter de prendre certaines libertés vis-à-vis du devoir de réserve auquel il a l'habitude de s'en tenir, qui lui interdit de se prononcer ou d’émettre des opinions sur des enjeux jugés « politiques » . Car la question du maintien du particularisme culturel des forces armées dans la société, de même que celle du modèle de relations civilo-militaires auquel il se rattache, sont des questions éminemment politiques, si l'on entend bien sûr par là qu'elles touchent le politique.

Enfin, cinquièmement, l'officier devra développer et mobiliser des compétences argumentatives et pédagogiques qui sont actuellement bien peu valorisées au sein de cette profession. On le sait, les forces armées sont une organisation axée sur les processus et orientée vers la mission. Argumenter, débattre, discuter en vue de convaincre sont des compétences qui ont toujours occupées une place relativement marginale dans la culture des militaires. Il ne s'agit pas ici de dire que l'officier est incapable de telles compétences. Tout au long de sa carrière, dans le cadre des différents programmes éducatifs qu'il lui est donné de suivre, depuis sa formation initiale à l'Académie militaire ou à l'université, jusqu’à l’École de guerre, en passant par l’École d’état-major, l'officier a de nombreuses occasions de mettre à profit ces compétences intellectuelles. Mais à l'extérieur de ces établissements, celles-ci restent, pour l'essentiel, peu valorisées dans les unités militaires, où dominent les compétences pratiques de planification, d'organisation et d'exécution. Or, la maîtrise de ces compétences argumentatives et pédagogiques apparaît aujourd'hui primordiale pour l'officier, pour défendre le caractère singulier de la culture militaire.

Par ailleurs, dans la défense du particularisme culturel des forces armées, l'officier devra parvenir à mieux expliquer à la population en général, et la classe politique en particulier, les avantages découlant du maintien d'un fossé culturel entre les forces armées et la société en générale. Maintenir une culture distinctive au sein des forces armées permet notamment de préserver et de valoriser certaines valeurs essentielles à cette organisation, pour le maintien de son efficacité opérationnelle, mais qui sont en déclin au sein de la société en général. Illustrons cela à l'aide d'un seul exemple : la question de l'autorité. Partout en Occident, nous assistons à un déclin marqué du niveau de déférence de la population en général, et à plus forte raison, chez les jeunes générations, à l'endroit de l'autorité. Les jeunes générations sont de plus en plus critiques à l’égard de toute forme de relation ou de structure organisationnelle dans laquelle dominent les rapports inégaux et plus réticentes à rejoindre des organisations au sein desquelles elles ne peuvent conserver le contrôle total de toutes les décisions les concernant ou touchant leur environnement immédiat. Le politologue Ronald Inglehart a bien mis en évidence, à travers la vaste étude statistique longitudinale qu'il a dirigée pendant des décennies, le World Value Survey, que notre époque est celle d'une transition partout en Occident d'une société dominée par les « valeurs de survie », vers une société où prévalent les valeurs « d'expression personnelle ». L'une des principales composantes de ce nouvel ensemble de valeurs est précisément « l'abandon de la déférence envers toute forme d'autorité extérieure » (Reference Inglehart2018: 39). Les figures d'autorité, peu importe le contexte, n'exercent plus, surtout auprès des plus jeunes citoyens, le même pouvoir symbolique que par le passé. En d'autres termes, la notion d'autorité et le système de représentation et de contrôle symbolique qui l'accompagne n'alimentent plus la même charge aujourd'hui, car ils sont de plus en plus remis en question. D'un point de vue civil, en tant que citoyen, on peut se réjouir de voir notre société évoluer vers une plus grande égalité démocratique, libérée de certaines structures autoritaires qui pouvaient entraver l'expression du plein potentiel de tous les citoyens. Mais d'un point de vue militaire, cette situation est préoccupante (Parenteau, Reference Parenteau2021). La notion d'autorité continue de jouer un rôle crucial au sein des forces armées, en tant que pièce maîtresse de son système de prise de décisions et de commandement. Cet accent mis sur l'autorité tient bien sûr à la mission fondamentale des forces armées, qui est celle d'opérer avec succès sur le champ de bataille. Le système militaire de prise de décisions et de commandement a certes évolué avec le temps vers une plus grande décentralisation, sous l'impulsion notamment de l'approche orientée sur la mission (« mission-command » [Shamir, Reference Shamir2011]). Les officiers ne commandent plus aujourd'hui comme ils le faisaient encore au milieu du siècle dernier. Malgré ces évolutions, les forces armées continuent de recourir à un niveau d'autorité plus élevé, à un système disciplinaire plus rigide et à un cadre hiérarchique beaucoup moins flexible que ce qui s'observe dans n'importe quelle autre organisation de la société civile. Or, si la valeur d'autorité se fait déclinante partout dans la société, comme on peut le voir à notre époque, encore est-il important qu'elle puisse être préservée dans cette organisation au sein de laquelle elle continue d'exercer un rôle capital. En ce sens, le maintien pour les forces armées d'une culture distincte permet ainsi d'agir comme une sorte de bastion, à l'intérieur duquel certaines valeurs peuvent être maintenues bien vivantes, alors qu'elles déclinent dans le reste de la société, et ce afin qu'elles puissent, si un jour cela devait s'avérer nécessaire, être mobilisées efficacement pour la défense du territoire.

Agir comme agent de changement culturel au sein des forces armées

Ensuite, le second axe d'action politique de l'officier devrait être d’agir comme agent de changement culturel au sein des forces armées (Parenteau, Reference Parenteau2022). L'officier doit accepter sa part de responsabilités dans la mise en œuvre des changements pour rendre les forces armées plus représentatives. Il ne s'agit pas ici pour lui d'adopter une posture militante ou partisane, ce qui constituerait un manquement à son devoir d'apolitisme. Seulement, il ne peut se contenter de demeurer un simple observateur passif des transformations qui sont imposées aux forces armées par le pouvoir civil. Dans le même sens, ses responsabilités ne sauraient uniquement se limiter à offrir une défense du particularisme militaire, premier axe d'action politique abordé plus haut. Cette défense est essentielle, mais elle risque inévitablement de prendre la forme d'une simple promotion du statu quo, si elle ne devait s'accompagner de véritables efforts en vue de changer cette culture. En fait, se comporter comme agent de changement culturel n'est pas incompatible avec l'articulation d'une défense du particularisme culturel militaire : on peut très bien travailler à rendre plus représentatives les forces armées, tout en défendant le caractère distinctif de cette organisation.

Comme agent de changement culturel, l'officier devra d'abord chercher à évaluer les effets de ces changements sur les capacités opérationnelles des forces armées. Car, reconnaissons que l'on ne transformera pas la culture de cette organisation, sans que cela ait d'impacts sur ses capacités à accomplir sa mission fondamentale, quand on sait combien la culture représente « la pierre angulaire de l'efficacité militaire » (Dorn et al., Reference Dorn, Graves, Ulmer, Collins and Jacobs2000: vii). Pour H. Christian Breede, la culture est « une force qui agit sur les forces armées, les façonne, les modifie et leur fait faire de nouvelles choses. Elle est également un facteur des opérations militaires, parfois employée par les armées pendant qu'elles mènent des opérations et parfois contraignant ou modifiant ce qu'elles font de l'intérieur » (Reference Breede2019: 2). Cette évaluation des effets d'un changement de culture sur les opérations militaires est une tâche incontournable pour l'officier, en ce que cela interpelle directement son expertise comme gestionnaire de la violence. Remplir son rôle politique dans les changements culturels militaires ne saurait en aucun cas impliquer qu'il doive mettre en veille celle-ci. Précisément, c'est plutôt en mettant activement à profit son expertise, de manière à évaluer les impacts de ces changements culturels sur les opérations des forces armées, que l'officier pourra en partie s'acquitter de ses responsabilités politiques.

Ainsi, l'officier devra-t-il d'abord chercher à départager parmi les pratiques culturelles en place au sein des forces armées, entre celles qui remplissent une fonction essentielle pour cette organisation–c'est-à-dire, ce sans quoi celle-ci ne pourrait accomplir correctement sa mission fondamentale–, et celles qui ne sont maintenues que par simple tradition ou effet de démarcation culturelle. En d'autres termes, il s'agira de distinguer entre les pratiques qui doivent être préservées et celles qui peuvent faire l'objet d'une réforme, d'une refonte en profondeur, voire, dans certains cas, d'un abandon pur et simple. La tâche ne sera pas toujours aisée, tant la frontière entre ces deux types d'impératifs apparaîtra parfois embrouillée.

Ensuite, ce travail d'analyse devra être suivi par une entreprise peut-être plus exigeante encore, qui est celle de contribuer à imaginer, concevoir et mettre en place une nouvelle culture organisationnelle pour les forces armées. En vérité, tous ces changements de culture ne porteront réellement leurs fruits que s'ils tendent, à terme, à l’émergence d'une nouvelle culture au sein de cette organisation. Autrement dit, ce n'est qu'en opérant une rupture avec la culture organisationnelle actuellement en place que les forces armées réussiront réellement à s'ouvrir à la diversité socioculturelle de la société, et ainsi devenir plus représentatives. Il s'agit bien sûr d'une entreprise délicate, mais surtout exigeante, tant la culture actuelle repose sur des pratiques bien ancrées dans les traditions, les mœurs et l'imaginaire collectif de ceux portant actuellement l'uniforme, de même que tous ceux qui l'ont revêtu par le passé. De fait, cette culture est issue, dans certains cas, de plusieurs générations de processus de socialisation et de consolidation symbolique sous la forme de codes, de pratiques et de rites solidement établis dans les forces armées et la communauté militaire en général. La mise en place de cette nouvelle culture se heurtera inévitablement à une résistance institutionnelle de la part des militaires, à l'instar de la réaction que susciterait une réforme de cette ampleur dans n'importe quelle autre organisation civile établie de longue date. Mais dans ce cas-ci, au surplus, tout effort en vue de changer la culture organisationnelle des forces armées se heurtera inévitablement à deux obstacles particuliers, tenant à des éléments distinctifs de cette culture singulière.

Premièrement, il faudra d'abord surmonter la très forte pression à l'uniformité au sein de la culture des forces armées. Cette pression tient à plusieurs facteurs compréhensibles, qui vont de la mission fondamentale singulière de cette organisation, impliquant l'utilisation potentielle de la force létale, de sa structure rigide d'autorité encadrant les relations sociales entre ses membres, en passant par son mode de fonctionnement, de gestion et de mobilisation d'unités pouvant varier énormément en taille, depuis la plus petite escouade ne comptant que quelques soldats, jusqu’à des corps d'armée pouvant compter des troupes en millions. Pour Andrew Hill, « les militaires privilégient l'uniformité à la diversité. Les membres de l'armée peuvent provenir d'horizons divers, mais la diversité est supprimée parce que le personnel doit être substituable, une condition nécessaire dans une organisation dont les membres sont sujets à une mort soudaine et violente » (Reference Hill2015: 88). Aussi, les forces armées tendent-elles inévitablement à favoriser parmi leurs membres une forme de « normalisation de la pensée, plutôt qu’à encourager les vues divergentes » (Maggart, Reference Maggart, Riedel, Morath and McGonigle2001: 7). Cette pression à l'uniformité est particulièrement visible au moment de la formation initiale des militaires, alors que les recrues et les élèves officiers sont encouragés à abandonner symboliquement leur individualité, pour mieux se mouler dans un modèle générique militaire. Revêtir l'uniforme génère bel et bien un effet uniformisant chez les militaires. De fait, cette recherche d'uniformité contribue assurément à renforcer l'esprit de corps et la cohésion au sein des forces armées ; on peut en effet penser qu'il est plus facile de développer cette cohésion et cet esprit de corps dans un groupe au sein duquel les membres tendent à penser et réfléchir de la même façon. Mais il apparaît évident que cette pression d'uniformité constitue un obstacle majeur en vue de rendre la culture des forces armées plus accueillante de la diversité.

Deuxièmement, et de manière complémentaire, réussir à rendre plus représentatives les forces armées exigera de s'attaquer au caractère essentiellement homogène de sa culture. Partout en Occident, les cultures militaires restent pour l'essentiel forgées autour des valeurs issues massivement, sinon exclusivement, d'un seul groupe social, à savoir les hommes blancs hétérosexuels (Greco et von Hlatky, 2002; Taber, Reference Taber2009; Lane, Reference Lane2017).Footnote 9 Cela s'explique évidemment facilement, dans la mesure où jusqu’à une époque toute récente, et sauf en de très rares exceptions, ce sont massivement parmi ce groupe de citoyens que le recrutement militaire s'est fait en Occident. Si l'on souhaite maintenant changer la culture des forces armées afin que tous les citoyens, sans exception, puissent trouver leur place au sein de cette organisation, il faudra nécessairement revoir de fond en comble cette culture, en mettant en avant d'autres valeurs plus susceptibles de rejoindre un plus vaste bassin de citoyens. On peine encore partout en Occident à imaginer les contours de cette culture; à quoi pourrait bien ressembler une culture militaire plus inclusive ?

Enfin, dans une visée plus pratique, il reviendra à l'officier à travailler à mettre en place cette nouvelle culture organisationnelle au sein même des forces armées. Il devra ainsi déployer auprès des militaires, qu'ils soient du rang, sous-officiers ou officiers subalternes, les mêmes compétences argumentatives et pédagogiques évoquées plus haut pour défendre le particularisme militaire auprès du grand public et de la classe politique. En ce sens, il s'agira pour lui d'approfondir une tâche qu'il acquitte déjà auprès des troupes, lorsqu'avant tout déploiement, il doit veiller à expliquer les raisons politiques justifiant la mission militaire qui leur est alors confiée. Or, le but étant ici d'aller un peu plus loin, afin non seulement de contextualiser une mission en particulier, mais bien de tenter, dans une visée plus générale, de situer les forces armées dans le contexte global de la société démocratique, en tentant d’éclaircir la nature particulière des relations complexes entre les deux, notamment entre le corps des officiers et le pouvoir civil. La mise en œuvre de ces changements a d'autant plus de chances de réussir et d’être avalisée par les militaires que la raison d’être de ces changements sera bien comprise par eux. Or, saisir la nature de ces changements devrait passer par une meilleure compréhension du compromis huntingtonien. Si nous avons pu jusqu'ici affirmer que les civils sont en général en Occident peu familiers avec ce modèle de relations civilo-militaires, force est également de reconnaître que cela est aussi le cas pour les militaires. Si ces derniers sont bien entendu familiers avec le particularisme culturel militaire, sous un mode essentiellement pratique et le plus souvent non réflexif, leurs connaissances du modèle de relations civilo-militaires auquel se rattache le particularisme culturel militaire apparaissent pareillement bien souvent très limitées. Or, c'est en parvenant à mettre en perspective les changements de culture souhaités, c'est-à-dire en appréciant ceux-ci dans le cadre du modèle huntingtonien, que les militaires pourront mieux saisir leur pertinence et leur raison d’être.

Conclusion

Les efforts actuellement déployés par les pouvoirs civils partout en Occident pour rendre plus représentatives les forces armées portent en eux le risque de porter atteinte à l'autonomie professionnelle consentie aux officiers en vertu du compromis huntingtonien. Comme on a tenté de le montrer, la meilleure manière de limiter ce risque consiste pour l'officier, selon la thèse développée dans cet article, à s'approprier un plus grand rôle politique que celui qui est le sien actuellement, et ce dans le respect des paramètres fixés par ce compromis, notamment, et surtout, le principe du contrôle civil des forces armées. En pratique, cela implique d'une part la défense de la place singulière des forces armées dans la société et, d'autre part, d'embrasser le rôle d'agent de changement culturel au sein de cette organisation.

S'il a jusqu'ici été question du rôle de l'officier dans ces changements culturels, on ne saurait non plus négliger celui, tout aussi important, qui revient au pouvoir civil dans ce processus inédit. La responsabilité politique de rendre les forces armées plus représentatives est bien sûr une responsabilité partagée. Et celle-ci doit reposer sur un lien de confiance sincère, durable et réciproque entre les gestionnaires de la violence que sont les officiers, et les détenteurs du pouvoir souverain–en démocratie, les représentants du peuple que sont les élus. D'un côté, le pouvoir civil doit avoir confiance dans le professionnalisme de l'officier ; si celui-ci peut parfois se montrer réfractaire à changer la culture militaire, il est faux de présumer que cela s'explique uniquement par un réflexe corporatiste de sa part. Car, comme on l'a montré, le professionnalisme militaire et ce qu'il implique de particularisme culturel sont l'une des pièces maîtresses de notre modèle de relations civilo-militaires. Il est donc normal que l'officier tende naturellement à défendre, le plus souvent de manière inconsciente ou non-réflexive, ce modèle qui continue de bien servir les intérêts de nos régimes démocratiques. De l'autre côté, les officiers doivent avoir confiance dans les représentants du pouvoir civil, dont les actions et les décisions, contrairement à ce qui est couramment admis chez de nombreux militaires, ne sont pas toujours animées par de simples considérations politiques (entendue ici dans le sens partisan ou militant). Dans nos régimes démocratiques, les représentants de l’État sont en général tout autant guidé que les officiers par une honnête volonté de bien servir le politique et l’État.

Par ailleurs, terminons en insistant sur un point : les changements de culture qui sont attendus dans les forces armées prendront des années à se mettre en place. Tout espoir de voir de tels changements s'imposer dans un horizon de temps court ne pourrait être que déçu. Pour illustrer cela, rappelons qu'au Canada, cela fait un quart de siècle que les Forces armées canadiennes déploient initiative après initiative en vue d'enrayer le racisme dans ses rangs.Footnote 10 Si ces efforts ont pu jusqu'ici donner quelques résultats positifs, force est néanmoins de reconnaître que nous sommes malheureusement encore bien loin de pouvoir affirmer que cette organisation s'est enfin débarrassée pour de bon de ce problème persistant (Défense nationale [Canada], 2022).

Footnotes

1 Traduction de l'auteur (comme toutes celles de citations originellement anglophones qui suivent).

2 Le masculin sera utilisé dans le présent texte pour parler de l'officier, profession qui comprend pourtant à notre époque aussi bien des hommes que des femmes.

3 Par ailleurs, cette réticence ne semble pas s'accompagner d'un sentiment « antimilitariste », en ce que les militaires en général partout en Occident continuent à notre époque de bénéficier d'opinions généralement favorables (Malešič et Garb, Reference Malešič and Garb2018).

4 Pour rappel, les États-Unis n'ont aboli le service militaire obligatoire qu'en 1973, la France l'a suspendu en 1998, et l'Allemagne n'a suivi qu'en 2011. À contre-courant, devant la menace militaire que représente actuellement la Russie, d'autres pays européens ont décidé de rétablir le service militaire obligatoire tel que la Norvège en 2016 ou la Suède en 2018.

5 Une conviction que semblent également partager certains commentateurs et qui serait même confortée par la science suggérant, comme le souligne Wilfried von Bredow (Reference von Bredow and Carforio2003: 97), pourtant lui-même sceptique, que « la sagesse combinée des stratèges militaires et des sociologues indique les développements suivants : 1. L’ère de la guerre des armées de masse entre États semble être terminée. 2. Le type de guerre qui sera le plus fréquent dans les années à venir sera celui d'une guerre de petite envergure, ou intra-étatique ».

6 Bien entendu, à côté du corps des officiers, aucune autre profession n'a à sa disposition une organisation de la puissance des forces armées et qu'elle pourrait mobiliser afin de renverser le pouvoir.

7 Pour l'officier, accepter cette responsabilité suppose bien sûr une certaine adhésion aux finalités politiques qu'elle poursuit. En cas de profond désaccord avec ces finalités et la vision qui les sous-tend, l'officier peut toujours choisir librement de démissionner.

8 L'article de Bernard Boëne, « How “Unique” Should the Military Be? A Review of Representative Literature and Outline of a Synthetic Formulation », qui remonte pourtant à 1990, constitue encore à nos yeux la meilleure synthèse sur le sujet.

9 Pour être plus précis, disons que les valeurs dominantes militaires sont d'un certain type de valeurs masculines. L’Église catholique est également composée d'un clergé presque exclusivement masculin ; pourtant, ses valeurs diffèrent radicalement de celles des forces armées. Pareillement, le milieu universitaire a jusqu’à tout récemment été massivement dominé par des hommes et pourtant ses valeurs étaient à cette époque autrement différentes que celles des militaires.

10 Les premières initiatives ont été adoptées au début des années 1990 en réponse au Scandale de la Somalie où en 1993 des soldats canadiens, œuvrant dans le cadre de l'opération UNITAF, avaient été reconnus coupables de la torture et du meurtre du jeune somalien, Shidane Arone (Bercuson, Reference Bercuson1996).

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