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Renard Gluzman, Venetian Shipping from the Days of Glory to Decline, 1453-1571, Leyde, Brill, 2021, 547 p.

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Renard Gluzman, Venetian Shipping from the Days of Glory to Decline, 1453-1571, Leyde, Brill, 2021, 547 p.

Published online by Cambridge University Press:  13 November 2023

Jean-Claude Hocquet*
Affiliation:
jc-hocquet@wanadoo.fr
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Histoire des pêches (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Il fallait du courage, voire de la témérité, pour entreprendre après Frederic C. Lane une histoire de la marine vénitienne avant la célèbre bataille de Lépante et, malgré cette victoire navale, la perte de la lointaine Chypre assiégée par les Ottomans. L’auteur, qui est à la fois historien et navigateur, s’y est attelé et conduit son entreprise en une quinzaine de chapitres sérieusement documentés. Il a fréquenté assidûment le séminaire que Benjamin Arbel dirigeait à l’université de Tel-Aviv et acquis une excellente connaissance des riches archives vénitiennes. Le livre confectionné après une dizaine d’années de recherche tient toutes ses promesses. Il est composé de trois parties. La première, divisée en six chapitres, examine les lois en matière maritime et les différentes magistratures chargées de leur exécution, de leur respect et de la surveillance : les « officiers à l’extraordinaire », créés en 1302, collectent les taxes douanières après avoir fait un minutieux inventaire du chargement de tout navire entrant dans l’un des ports de la Lagune. L’invention de la nouvelle route portugaise vers les richesses de l’Asie incita le pouvoir à un effort de rationalisation pour répondre à la crise qui suivit : les magistratures fusionnèrent à partir de 1507 dans l’office des « Cinq sages sur la marchandise ». La deuxième partie, divisée en quatre chapitres, s’intéresse au milieu des armateurs, à leurs entreprises et aux navires dits « ronds » (la figure 6, page 75, d’après F. Lane, illustre schématiquement une nef, sa longueur et sa largeur [bocca] mesurée en pieds de Venise, la longueur sans les châteaux dépassant de plus de trois fois la plus grande largeur, ce que confirme le tableau des pages 79-80). Ces navires, dont toute la coque est en bois, hébergent des hôtes indésirables, les vers ; ils exigent des réparations et retournent sur le chantier pour carénage. Malgré cet entretien, leur valeur diminue rapidement avec les années. La troisième partie, la plus fidèle au titre initial, suit de près les événements qui ont conduit au déclin, malgré de fortes reprises, de la puissance maritime de Venise (les guerres turques y sont pour beaucoup) et nuance les vues de F. Lane, à qui l’auteur rend un juste hommage, sur la construction navale et la navigation au cours de la révolution commerciale du xvie siècle.

Les sources (listées en fin d’ouvrage), variées, comportent celles traditionnelles de toute histoire de Venise (Grand Conseil, Sénat et conseil des Dix), mais également des sources moins fréquentées, voire négligées par les chercheurs, car d’accès plus difficile : celles de l’Avogaria di Comun (composée de « procureurs » chargés de la protection et de la défense des intérêts de l’État) et ses procès, différents registres des Juges de Pétition (tribunal de commerce), de quelques notaires de Venise et du duché de Candie, et de magistratures plus techniques (Arsenal, Santé, Eaux, etc.), sans oublier une consultation attentive des 58 volumes imprimés du journal de Marino Sanudo ou des aspects techniques de la navigation développés par Benedetto Cotrugli et récemment édités par Piero Falchetta.

Les copieux appendices corrigent ce que pouvait avoir de statique l’étude des structures de la marine vénitienne. Ils sont en réalité au cœur du livre et constituent un aspect très neuf de la recherche. L’appendice A (p. 363-476 et tableau p. 248) aurait pu constituer un volume particulier, tant il est détaillé. R. Gluzman commence par une introduction historiographique où il rend hommage à ses prédécesseurs avant de procéder uniformément de la façon suivante : chaque « instantané » s’ouvre par une présentation des sources dépouillées, principales et secondaires ; s’ensuit le catalogue des navires recensés par les observateurs (le Collège des Sages, qui exerce le pouvoir exécutif dans la République, ou Sanudo), puis celui des navires omis dans ce recensement mais cités par différentes sources contemporaines ; enfin, s’il y a lieu, des galées de l’Arsenal mises aux enchères et affectées aux voyages dans des directions diverses et qui vont se rétrécissant rapidement. La série se termine par un ample commentaire qui consiste en fait en notes développées sur chacun des navires cités. Il y a ainsi neuf tableaux décomposés en trois ou quatre inventaires correspondant à autant de dates quand un observateur a entrepris de dresser le catalogue contemporain de la puissance navale de Venise. Il est dommage que ces listes ne se prolongent pas au-delà de 1558, car on aurait aimé savoir ce que Venise mit au service de la Ligue à la veille d’affronter l’escadre ottomane à Lépante. Passons sur le bref appendice B, où les marcilianes de Chioggia sont classées dans l’empire colonial alors que cette ville a fait de tout temps partie du duché. L’appendice C (p. 479-484) retrace les multiples itinéraires de quelques navires marchands vénitiens. Le « D » insiste sur les coûts de construction et la valeur marchande d’une trentaine de bateaux de tous types, armés (au sens militaire) ou non, neufs ou d’occasion. Les prix vont de 150 ducats de compte (de 124 sous de piccoli) à 16 000 ducats quand la nef est dotée d’artillerie. Pour l’appendice E, d’un extrême intérêt, qui montre combien les instances financières publiques dépensaient d’argent pour aider les armateurs de ces navires, l’auteur a utilisé une unique source, le carnet tenu par un officier de l’Extraordinaire en 1528, mais les créanciers privés de cet office sont près de 50 en l’espace de 14 mois. La dernière annexe (« F ») rassemble des renseignements sur la cargaison des navires, surtout des grains, des textiles, du vin, et les frets (noli) demandés aux marchands-acheteurs ou obtenus de l’État à qui il arrivait de réquisitionner les navires si un danger apparaissait sur mer.

Un ouvrage aussi copieux ne va pas sans quelques coquilles, mineures : ainsi, page 74, le setier vénitien était « approximativement équivalent à un litre », alors qu’à la page précédente ce même setier est égal à 83,3 litres, une valeur communément acceptée. Fallait-il appeler « carrack » les navires lourdement chargés, alors que le terme, rarement utilisé, désigne à Venise un petit tonnage spécialisé dans le transport des grains vers de petits ports de l’Adriatique (p. 53, n. 33) ? Certes, la traduction est un art difficile : les Vénitiens, pour désigner un gros navire d’au moins 400 botti, à gréement mixte, utilisaient le mot « nave » (en français : « nef »), sinon ils parlaient de « navetta » si le navire présentait les mêmes caractères, à savoir gréement mixte, châteaux et armement défensif et offensif, mais dont la cargaison était inférieure à 400 tonneaux. La carraque ne pénètre guère en Méditerranée ; c’est un navire du nord de l’Europe qui avait légué au sud un autre vaisseau de charge, la coque (cocca) à gréement carré qui fut remplacée par la nef à gréement mixte vers 1450. L’auteur fait intervenir des galéasses sans avoir au préalable défini ce type de navires, et une liste établie en décembre 1466 et envoyée au commandant de la flotte Vettor Capello recensait 40 galee sotile et 10 galee grosse. Ces deux sortes de galères, qui ne sont pas des galéasses, ne sont pas non plus définies, elles sont même absentes de l’« Index of subjects ». Or les unes et les autres sont aptes au combat : les premières sont principalement affectées au commerce en Méditerranée, les autres s’aventurent dans l’Océan jusqu’en Angleterre et en Flandre ou en Brabant. En revanche, les navires marchands non armés et à voiles, du type de la marciliane (excellente description à la page 66) et du maran, sont abondamment représentés, mais absents de l’index. Venise n’a pas toujours utilisé que des gros tonnages armés.

Voilà un livre irremplaçable. Pour la première fois, un auteur choisit de traiter de la navigation vénitienne sous ses multiples aspects, politique, commercial, social, fiscal, du marché protégé au marché noir ou, si l’on préfère, de l’observation stricte des lois votées par les Conseils de la République, très attentifs à sauvegarder les positions commerciales de leur ville, à la contrebande durement réprimée, de la construction au naufrage provoqué et compensé par l’assurance maritime. « La marine est, autant que chose au monde, affaire de métier ; elle n’admet pas un entraînement venant à l’occasion comme un à-côté : il faut plutôt que l’on n’ait point d’autre activité à côté », écrivait déjà Thucydide cité par P. Falchetta dans son commentaire du traité de Cotrugli (De navigatione). R. Gluzman a suivi cet illustre exemple.