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Hannah Barker That Most Precious Merchandise: The Mediterranean Trade in Black Sea Slaves, 1260-1500 Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2019, 328 p.

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Hannah Barker That Most Precious Merchandise: The Mediterranean Trade in Black Sea Slaves, 1260-1500 Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2019, 328 p.

Published online by Cambridge University Press:  25 April 2024

Jean-Claude Hocquet*
Affiliation:
jc-hocquet@wanadoo.fr
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Race et esclavage (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Hannah Barker, qui enseigne l’histoire médiévale à l’université d’État de l’Arizona, dit sa gratitude aux diverses institutions américaines qui ont financé ses séjours et sa recherche au Caire et dans les riches archives italiennes de Gênes et Venise, aux nombreux amis qui ne lui ont pas ménagé leur aide, enfin, aux séminaires auxquels elle a participé ou qu’elle a organisés. Ce bref rappel, loin d’être inutile, justifie l’extension d’une bibliographie adaptée au sujet traité et l’abondance des travaux arabes sur l’esclavage blanc. La modestie de l’autrice laisse à d’autres l’apprentissage du turc, du géorgien et du russe pour compléter ou corriger son travail. En effet, son domaine de recherche favori est la mer Noire et la relation entre les ports vénitien (Tana) et génois (Caffa et d’autres ports de Crimée) et la Méditerranée orientale, principalement le sultanat mamlūk. Deux cartes de géographie historique illustrent un propos qui tient en sept chapitres.

Le livre commence dans les années 1260 quand l’empereur byzantin Michel VIII Paléologue ouvre la mer Noire aux marchands des républiques italiennes, d’abord aux génois puis aux vénitiens, et aux marchands mamlūks. Il se termine en 1475 avec la conquête par les Ottomans de Caffa et de toute la Crimée, non pas que le trafic des esclaves auquel s’adonnaient les marchands ait pris fin, mais il a pris une autre tournure, les Ottomans l’ayant orienté à leur profit. Dans son introduction, H. Barker signale que les pays septentrionaux riverains de la mer Noire n’étaient pas les seuls pourvoyeurs d’esclaves. Les Mamlūks, par exemple, importaient des esclaves d’Afrique, des Balkans, des pays de la mer Égée, d’Asie centrale et de l’océan Indien, mais, comme militaires, ils préféraient ceux du Nord. Selon l’autrice, « la demande d’esclaves la plus forte dans la Méditerranée médiévale était concentrée non en Italie mais au Caire » (p. 2), ce qui est exact s’agissant des esclaves slaves, tatars ou circassiens, mais, si l’on prend en examen la Méditerranée dans son ensemble, même sans faire intervenir la Reconquista chrétienne, l’Espagne joue, semble-t-il, un plus grand rôle que l’Italie : des vaisseaux italiens approvisionnent les marchés catalans des Baléares ou du continent de plusieurs centaines d’esclaves acheminés des ports de la mer Noire et de Constantinople.

Cependant, l’examen des sources, aussi bien latines qu’arabes, permet à l’autrice d’avancer que tous les habitants des rivages méditerranéens partagent des idées et des pratiques qui témoignent d’une même approche de l’esclavage : il s’agit à la fois d’une situation légale et socialement acceptable fondée sur les différences religieuses, linguistiques et raciales, et, ajoute-t-elle, d’« une menace universelle qui affecte toutes les personnes libres » car « les maîtres du jour pouvaient se retrouver esclaves le lendemain » (p. 209). N’insistons pas sur les sources administratives ou notariales italiennes, bien connues, et qui suppléent la rareté du matériel documentaire concernant la Horde d’Or, principal pourvoyeur ; les sources arabes contemporaines sont des manuels traitant de l’achat d’esclaves rédigés par des médecins attentifs au bon état et à la santé qui devaient présider au choix de leurs clients. L’introduction offre bien d’autres réflexions, à commencer par celle-ci, fondamentale : pourquoi les historiens ont-ils tu ou nié la présence d’esclaves au Moyen Âge ? H. Barker y voit deux raisons. Au nom de l’égalité spirituelle et de la fraternité, la christianisation de l’Empire romain aurait provoqué la disparition progressive de l’esclavage entre le vi e  et le xii e  siècle. S’il reste quelques esclaves, leur sort s’est amélioré. Si l’esclavage a connu sa plus belle fortune aux colonies, l’abolition y a mis fin. L’autre versant est représenté par l’idéologie marxiste, qui insiste sur les modes de production : l’Antiquité a connu une division des classes entre citoyens libres et esclaves, à laquelle ont succédé le féodalisme et ses seigneurs et paysans serfs, puis le capitalisme. L’esclavage est la marque d’un mode de production agricole et, s’il reste des esclaves, ce sont surtout des femmes engagées dans un service domestique et sexuel. Bref, on n’en parle guère ou on préfère garder un silence pudique. Pourtant, les sources consultées par les historiens médiévistes mentionnent des esclaves et Charles Verlinden a consacré un ouvrage pionnier dès 1955 à l’esclavage urbain médiéval. Les chrétiens ont possédé des esclaves et l’Église a toléré et justifié l’esclavage.

Quant aux Mamlūks, leur histoire plonge dans l’histoire de l’Islam, mais il faut s’interroger sur leur statut juridique et la légitimité des sultans mamlūks. À la fin de leur entraînement militaire, ces esclaves étaient affranchis et c’étaient donc en hommes libres qu’ils accédaient au pouvoir. Les musulmans, qui voulaient répondre aux chrétiens, ont fait valoir que, chez eux, les maîtres traitaient leurs esclaves avec bienveillance, ils y étaient tenus par l’islam et par la qualité de leur morale. H. Barker retrouve la même violence vis-à-vis de l’esclave chez les chrétiens et les musulmans car, conclut-elle, « [tous] à la fin du Moyen Âge acquéraient leurs esclaves à la même source en mer Noire, ces esclaves étaient sujets à la même violence de la capture, à la même humiliation de la vente, à la même vulnérabilité du statut sans se soucier de qui les avait pris ou acheté » (p. 9). Regrettons de devoir présenter en quelques brefs paragraphes une introduction aussi riche et une réflexion aussi poussée…

Deux parties divisent le livre. La première partie définit l’esclavage de la fin du Moyen Âge et éclaire ce que fut la culture de cette institution, commune aux trois puissances qui se sont alors partagé les trafics et les marchés de la mer Noire. Il était interdit d’asservir quiconque partageait la même religion que le futur maître, la conversion n’impliquait aucunement l’affranchissement, mais, comme il était difficile de prouver devant les tribunaux la sincérité de la croyance religieuse, la race et le langage caractérisaient celui qui serait esclave et celui qui échapperait à cette infortune. De la page 105 à la page 112, d’utiles graphiques synthétisent toute l’information recueillie par l’autrice. Retenons l’évolution du prix des esclaves qui s’appuie sur au moins dix ventes annuelles opérées par des marchands génois ou vénitiens : une montée lente jusqu’en 1380 précède une ascension très rapide qui culmine au cours de la décennie 1420-1430 ; ensuite les prix redescendus se maintiennent à un niveau pourtant élevé, triple de celui du xiv e  siècle. Les sources arabes sont plus avares, et le graphique prend alors en considération non pas dix ventes mais une seule. D’autres graphiques mettent en relation âge et prix des esclaves, sexe et prix (les Mamlūks privilégient les hommes), origine (Circassiens venus du Caucase, Russes et Tatars). Chez les Mamlūks, les Noirs l’emportent mais leur prix est faible. Au-delà de 40 ducats, les Blancs sont seuls. À Gênes, les Noirs sont peu nombreux – on s’y attendait, le sujet de l’autrice étant la traite des esclaves en mer Noire. Il faudra attendre la progression des navigations ibériques le long des côtes atlantiques d’Afrique pour que l’esclavage des Noir supplante celui des Blancs – non pas que nous niions l’existence antérieure d’un esclavage des Noirs dits Éthiopiens acheminés par des trafiquants dans le désert jusqu’aux ports et aux plages de Libye. L’influence de Moses I. Finley est sensible dans l’intitulé du chapitre 5. On sait que cet historien avait défini une société esclavagiste à partir d’un certain taux de non-libres dans la population totale, en deçà duquel il convient de parler de « sociétés avec esclaves ». C’est oublier que l’esclavage dans les ports méditerranéens était urbain et artisanal, alors que le servage était la marque du monde rural.

La deuxième partie examine comment on devenait esclave et quel était le rôle des marchands qui achetaient un esclave ou des troupes entières. Elle décrit les routes suivies, les risques courus, les dangers affrontés, les paiements espérés, la place des États qui n’hésitent pas à taxer l’activité de ces marchands tout en leur recommandant d’agir prudemment, voire en cachette, car chrétienté et islam se font la guerre. Même si la papauté est durablement affaiblie, l’esprit de croisade reste présent, et l’esclave est considéré, à l’égal des armes, comme un matériau stratégique dont il ne faut pas renforcer l’armée des sultans. Mais, dit Emmanuel Piloti dans son Traité sur le passage en Terre sainte  (1420), il existait de mauvais chrétiens ( trèsfauls et trèsmauvais crestiens ) qui transportaient sur leurs navires des esclaves destinés à l’Égypte. H. Barker réduit le nombre d’esclaves achetés chaque année par les marchands mamlūks à Caffa à 450/650, quand E. Piloti le portait à 2 000 esclaves vers les années 1420. La conclusion reprend l’observation du dominicain d’Ulm Felix Fabri qui, à la fin du xv e  siècle, de passage à Alexandrie, « trouvait la plus précieuse marchandise, qui toutefois était vendue à bas prix. Cette marchandise, c’étaient des créatures de Dieu, faites à son image, de l’un et l’autre sexe ». La sympathie du frère n’allait cependant pas aux esclaves qu’il avait rencontrés sur les places de Venise. Sachons gré à H. Barker d’avoir édité sa thèse de doctorat de 2014 et à son éditeur universitaire de mettre à la disposition des lecteurs un ouvrage fondamental sur un sujet longtemps occulté.