La parution d'un ouvrage entièrement consacré à la théorie kantienne du sublime mérite d'être saluée avec un certain enthousiasme, a fortiori lorsqu'il provient de la tradition anglo-saxonne, où la question du sublime est généralement considérée comme une «erreur» dont la théorie esthétique de Kant gagnerait à être expurgée. Paul Crowther remarque d'entrée de jeu que le regain d'intérêt pour l'esthétique de Kant qui s'est fait sentir dans le monde anglo-saxon depuis les années soixante-dix s'est concentré presque exclusivement sur les questions de la beauté et de l'art, au détriment du sublime. Paul Guyer avait prétendu fixer les raisons de cet ostracisme: d'abord, le sentiment du sublime est selon lui inconciliable avec l'explication fondamentale que donne Kant de la «réponse esthétique» en général en termes d'harmonie de l'imagination et de l'entendement; ensuite, la discussion du sublime minimiserait l'importance de 1'intersubjectivité esthétique, qui constitue selon lui l'essentiel de la théorie esthétique kantienne comprise comme une théorie du «goût»; et finalement, la discussion kantienne du sublime ne posséderait plus qu'un intérêt historique, qui ne saurait rencontrer nos sensibilités esthétiques modernes, tandis que nous aurions au contraire beaucoup à apprendre de la discussion des jugements sur la beauté (1979, p. 399 sq.). Or, c'est précisément d'une nouvelle sensibilité à l'endroit du sublime, qui se ferait sentir depuis les années quatre-vingt, que se réclame Crowther pour justifier son entreprise théorique (p. 2).