L’étude systématique des registres d’écrou des hommes détenus à la maison d’arrêt de la Santé à Paris entre juillet 1941 et la Libération, inculpés par les juges du Tribunal correctionnel de la Seine d’infraction à la « loi » du 2 juin 1941 portant statut des juifs, met en évidence le rôle pivot de la prison française dans l’internement et la déportation des juifs. Cet article propose d’une part d’éclairer la répression pénale française de ces infractions sur la base d’archives judiciaires inédites donnant accès aux discours des acteurs et, de l’autre, de révéler le fonctionnement de la « consignation provisoire » postcarcérale des juifs en lien avec le pouvoir allemand. En effet, la reconstitution de leurs trajectoires de persécution, par le croisement des registres d’écrou et des archives policières de la persécution antijuive, a montré que, contrairement à ce que la lecture des archives judiciaires laissait penser, ces détenus n’ont pas été libérés à l’issue de leur peine, mais ont fait l’objet, de la part des autorités françaises, d’une mesure de sûreté, prélude à leur internement au camp de Drancy. Celle-ci s’est d’abord appliquée aux juifs étrangers, pour s’étendre ensuite aux juifs français à partir d’octobre 1941. Jusqu’alors passé inaperçu, ce rouage français de la persécution antijuive, bien connu des acteurs des mondes judiciaire et policier de l’époque, a ainsi contribué au génocide des juifs en les menant de la Santé à Drancy jusqu’à leur déportation vers Auschwitz dès mars 1942.