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Paul Veyne et l'évergétisme*
Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
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Le temps des synthèses paraissait clos. L'histoire nouvelle était avant tout monographique. Voilà que le livre de Paul Veyne vient nous rappeler qu'il y a encore place dans l'histoire universitaire pour une certaine aventure conceptuelle. Son travail surgit dans une province reculée peu ouverte aux influences extérieures, enfermée dans ses traditions. Si l'érudition pèse encore de tout son poids, c'est bien en histoire ancienne. Et pourtant Veyne attaque sur tous les fronts, il se collette avec la méthode, s'empoigne avec le vieil héritage marxiste, s'attrape à la sociologie allemande. La diversité même de ses intérêts, l'immense et sélective culture qu'il convoque permet aux uns et aux autres de trouver dans son travail un complice aussi inattendu que brillant. L'art de l'allusioneffusion, de la provocation et de la fuite déployé dans Comment on écrit l'histoire trouve un terrain plus vaste dans Le pain et le cirque.
- Type
- Polémiques et Controverses
- Information
- Copyright
- Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1978
Footnotes
A propos de Paul Veyne, Le pain et le cirque, sociologie religieuse d'un pluralisme politique, Paris, 1976, 800 p.
References
1. Veyne, Paul, L'inventaire des différences, Leçon inaugurale au Collège de France, Paris, 1976 Google Scholar.
2. Cic, Comm. Pet., 44; et Pro Mur., 35, 73. Rappelons que le Commentariolum est une lettre de Quintus Cicéron à son frère pour lui donner des conseils de propagande électorale. Sur ces largesses des candidats, voir Taylor, L. R., La politique et les partis à Rome au temps de César, trad. franc., Paris, 1977, pp. 138-139 Google Scholar et 144-145; Staveley, E. S., Greek and Roman voting and élections, Londres, 1972, pp. 204-205 Google Scholar; Nicolet, C., Le métier de citoyen dans la Rome républicaine, Paris, 1976, pp. 401-418 Google Scholar.
3. Par exemple certains passages d'aristote, pp. 31-35, ou de Cicéron, pp. 436-445, ou de Sénèque, pp. 625-629.
4. Sur ces mots, voir par exemple, pp. 20; 31-35; 165-166, n. 8; 216; 339-340, n. 129; 486; 621-623.
5. De telles recherches ont été menées par Hellegouarc'h, J., Le vocabulaire latin des relations et des partis politiques sous la République, Paris, 1963 Google Scholar, et plus récemment, sur un autre sujet et pour une autre époque, par Goffart, W., Caput and Colonate, Univ. of Toronto Press, 1974 Google Scholar. Tirer argument du vocabulaire pour fonder des conclusions est également, entre autres, une démarche habituelle chez M. I. Finley: cf. par ex., L'économie antique, pp. 15 ss.
6. Voir F. Hartog, « Paul Veyne naturaliste », ci-dessous, p. 326.
7. Cf. pp. 19-20; 31-35; 165, n. 6; 219.
8. Un coup d'oeil sur le fichier de l'évergète le démontre à l'évidence. Les chapitres qui traitent du monde romain latinophone manquent de démonstrations rigoureuses conduisant à des conclusions neuves. Se piquant d'échapper à l'érudition, Veyne tend à faire l'économie des sources, dont la présentation critique fait souvent défaut. Souvent aussi, il s'abstient de fournir les preuves de ce qu'il affirme. Ou bien, Adèle à la méthode que M. I. Finley qualifie d’ « anecdotique » et critique avec raison, il se limite à un ou deux exemples qu'il juge caractéristiques. La nouveauté de ses thèses en souffre autant que leur solidité. Il écrit ainsi que « les Pères de l'Église grecque sont une des sources les plus abondantes de l'histoire de l'évergétisme » (p. 51); mais le lecteur referme le livre sans savoir ce que ces Pères pouvaient bien en dire. « Le Discours d'eumène à Autun devrait être mis en série avec de nombreux autres discours municipaux qui sont autant d'annonces publiques de pollicitation » (p. 640). Dans cette « mise en série », on reconnaît la trace des précieux conseils de L. Robert. Malheureusement, Veyne ne les met pas en pratique, et ne donne pas même une liste des autres discours disponibles. De même pour le roman Histoire d'apollonius roi de Tyr, qui est capital pour l'évergétisme grec impérial et qu'il faudrait analyser en détail (p. 763, n. 296): nulle part on ne trouve une telle analyse. Autre exemple: selon l'auteur, le culte des souverains à l'époque gréco-romaine n'était pas moins spontané que sincère, et le culte d'auguste s'est répandu spontanément (pp. 562-563). Auguste, certes, n'a pas expressément et officiellement demandé à être l'objet d'un culte, mais la thèse de Veyne, qu'il emprunte, sans la démontrer, à certains de ses prédécesseurs, demeure conjecturale. Les analyses précises ne manquent pourtant pas, et elles sont intéressantes. Au détour d'un paragraphe, on trouve quelques pages consacrées aux pollicitations (pp. 212-213); ou à l'importance politique des cités d'italie (pp. 426-430); ou aux dons que les triomphateurs faisaient au peuple (pp. 434-436); ou à la politique annonaire des Empereurs, et à l'opinion de Cicéron sur le ravitaillement en blé et les lois frumentaires (pp. 454-469); etc. Mais ces analyses souffrent d'être rapides, et de ne pas toujours se fonder sur l'intégralité de la documentation disponible. Notons toutefois que ces remarques ne s'appliquent pas au deuxième chapitre, consacré à 1’ « évergétisme grec ». Les notes de ce second chapitre sont peut-être ce qu'il y a de plus passionnant dans le livre de Veyne. Il y fait preuve d'une large érudition, et montre à quel point il a assimilé la tradition épigraphique que lui a enseignée L. Robert. Ces notes fourmillent de remarques, d'idées judicieuses, de rapprochements entre des textes qui y sont souvent traduits et commentés.
9. C'est-à-dire de M. Gelzer, F. Muenzer et de leurs successeurs, R. Syme, E. Badian, E. S. Gruen.
10. Mais il écrit, au détour d'une longue note (p. 506, n. 111): « en ce domaine, tout est vrai à la fois, tout est dans les nuances et aucun dilemme (ligues d'individus’ ou ‘partis politiques’) n'est dirimant. »
11. La lecture d'un livre de R. Orestano, qui a presque dix ans d'âge, lui a cependant révélé qu'« un esprit nouveau […] souffle sur l'étude du droit romain» (p. 746, n. 145).
12. On apprend ainsi que la vertu aristotélicienne et la fierté de l'évergète, du « magnifique » ont un caractère de classe (p. 34); que les distributions de blé gratuit par l'État romain ont résulté d'une véritable lutte de classes, et non d'une guérilla de classes (pp. 376 et 446-447), qu'une « banale optique de classe » explique l'opposition de Cicéron à la loi frumentaire de Caius Gracchus (pp. 462-463).
13. Paul Veyne indique brièvement qu'à son avis les riches appartiennent presque automatiquement à la classe dirigeante romaine (ce qui paraît tout à fait faux, étant donné l'importance des statuts juridiques et la présence des ordres), mais que cette classe dirigeante comprend aussi des gens moins riches (pp. 459-460).
14. Cléon, Lysiclès, Hyperbolos en faisaient partie.
15. Cf. L'inventaire des différences, p. 22; les historiens marxistes se voient décerner le satisfecit de faire des « invariants »… même si plus loin « le marxisme ne fait pas que du bien » (p. 27).
16. Cf. p. 373, n. 413. Veyne paraît ignorer les Formen, l'histoire marxiste traditionnelle des pays de l'est — où il aurait pu trouver matière à critique —, les recherches entreprises en France autour du Centre d'histoire ancienne de Besançon, du Cerm, et la problématique posée par l'anthropologie marxiste…
17. « Les rapports de production, c'est-à-dire les rapports sociaux quels qu'ils soient, qui assument la triple fonction: de déterminer l'accès social et le contrôle des ressources et des moyens de production; de distribuer la force sociale de travail entre les divers procès de travail; de déterminer la répartition sociale des produits du travail. » Définition rappelée par M. Godelier, «Marxisme, rationalisme et sciences humaines», janvier 1977.
18. «Ce champ aurait été l'appareil d'État.»
19. Veyne insiste sans cesse sur cette autonomie de la cité: sans elle, en effet, on se demande bien quel « intérêt » il y aurait à être notable…
20. Cette démarche de dissociation n'est pas sans rappeler celle du «naturaliste»…
21. P. Veyne cite constamment le livre de B. Laum sur les fondations sans jamais citer son essai: Heiliges Geld, Tùbingen, 1924, fondamental pour toute sociologie de la valeur dans l'antiquité.
22. Dès la première partie: cf. le paragraphe intitulé « Évergétisme et charité chrétienne ».
23. Cl. MossÉ, La fin de la démocratie athénienne, Paris, 1962.
24. « Il faut donc que l'évergétisme soit étranger à la logique politique, ou du moins que, si un homme politique se fait évergète, ce soit en raison d'un à-côté de l'essence du politique et que son évergésie n'ait guère qu'une fonction symbolique » (pp. 208-209).
25. « Le geste spontané a été le fait premier et toujours le fait principal » (p. 21); « l'évergétisme s'est imposé à toute une classe alors qu'il n'était pas obligatoire » (p. 29).
26. L'index sociologique (p. 795) regroupe ces termes et les opposent.
27. Précision apportée lors de l'émission « Les lundis de l'histoire » par J. Le Goff, retransmise le 28 février 1977, sur France-Culture, qui avait pour objet Le pain et le cirque.
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