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Mythe et Histoire : Réflexions sur les fondements de la pensée sauvage

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

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« L'enseignement des mythes sud-américains offre une valeur topique pour résoudre des problèmes qui touchent à la nature et au développement de la pensée. » (Claude LÉVI-Strauss, Mythologiques, II, p. 407.)

« Ceux qui (en philosophie) usent du mythe sont indignes que l'on s'occupe d'eux sérieusement. » (Aristote, Métaphysique B.4.)

Les réflexions que nous présentons ici n'ont eu pour but que de nous aider à clarifier un problème que tout anthropologue rencontre abstraitement dans l'exercice de sa discipline — celui des rapports entre pensée mythique, société primitive et histoire — et qui devint pour nous pratiquement inévitable lorsqu'il nous fallut commencer l'analyse du matériel des mythes et des pratiques magicoreligieuses que nous avions recueilli de 1967 à 1969 dans une tribu de l'intérieur de la Nouvelle-Guinée, les Baruya. Pour donner une idée de ce matériel, nous citerons une version des mythes baruya de la naissance du monde et de l'histoire humaine, version qui condense l'essentiel de plusieurs variantes :

Type
Mythes
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1971

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References

page 542 note 1. Dans une autre série de variantes plus secrètes et propres plutôt aux shamans, on désigne le soleil et la lune parles termes de parenté qui s'appliquent à deux frères aîné et cadet.

page 543 note 1. A propos des notions d' « armature », de « code », de « message » d'un mythe voir Cl. LéVistrauss, Le Cru et le Cuit, p. 205.

page 543 note 2. Claude Lévi-Strauss, Du miel aux cendres, pp. 240-242 404-405.

page 545 note 1. Ceci fournit la réponse à la question que nous posions après avoir cité le mythe baruya de l'origine du monde, la question de l'origine et du fondement des caractères formels abstraits (et de ces caractères seulement) des discours et des idéalités mythiques qui sont communs aux mythes de populations profondément différentes par leur écologie, leur économie, leur organisation sociale, donc par toutes les déterminations positives de leur réalité historique.

page 546 note 1. Comme l'a démontré Claude Lévi-Strauss dans Le Totémisme aujourd'hui, le maillon essentiel de l'expérience religieuse du monde se trouve dans la représentation, dans les principes et le contenu de la représentation du monde et non dans une relation affective de l'homme avec la nature. Ce n'est pas parce que l'homme primitif originairement s'identifierait effectivement à la Nature, par une sorte de participation émotionnelle et diffuse, qu'il se représenterait cette Nature analogiquement à lui. Contrairement aux thèses de Lévy-Bruhl, la « mentalité primitive » n'est pas fille de l'affect mais de l'intellect. Selon LÉVY-Bruhl : « En présence de quelque chose qui l'intéresse, qui l'inquiète ou qui l'effraye, l'esprit du primitif ne suit pas la même marche que le nôtre. Il s'engage aussitôt dans une voie différente… la nature au milieu de laquelle il vit se présente à lui sous un tout autre aspect. Tous les objets et tous les êtres y sont impliqués dans un réseau de participations et d'exclusions mystiques : c'est elles qui en font la contexture et l'ordre. » (La Mentalité primitive, 1921, pp. 17-18.) A ce texte s'oppose celui de Lévi-Strauss dans Le Totémisme aujourd'hui,p. 103 : « En vérité, les pulsions et les émotions n'expliquent rien; elles résultent toujours : soit de la puissance du corps, soit de l'impuissance de l'esprit. Conséquences dans les deux cas, elles ne sont jamais des causes. Celles-ci ne peuvent être cherchées que dans l'organisme comme seule la biologie sait le faire, ou dans l'intellect, ce qui est l'unique voie offerte à la psychologie comme à l'ethnologie. »

page 546 note 2. Dans cette perspective peut s'analyser également la pratique du sacrifice. Dans La Pensée sauvage. Cl. Lévi-Strauss en a esquissé une analyse générale que nous citerons brièvement: « Dans le sacrifice, la série des espèces naturelles joue le rôle d'intermédiaire entre deux termes polaires, dont l'un est le sacrificateur et l'autre la divinité, et entre lesquels, au départ, il n'existe pas d'homologie, ni même de rapport d'aucune sorte : le but du sacrifice étant précisément d'instaurer un rapport qui n'est pas de ressemblance, mais de contiguïté, au moyen d'une série d'identifications successives qui peuvent se faire dans les deux sens, selon que le sacrifice est piaculaire ou qu'il représente un rite de communion… son but est d'obtenir qu'une divinité lointaine comble les voeux humains, il croit y parvenir en reliant d'abord les deux domaines par le moyen d'une victime sacralisée (objet ambigu qui tient en effet de l'un et de l'autre), puis en abolissant ce terme connectant : le sacrifice crée ainsi un déficit de contiguïté et il induit (ou croit induire) par l'intentionalité de la prière, le surgissement d'une continuité compensatoire sur le plan où la carence initiale, ressentie par le sacrificateur, traçait par anticipation, et comme en pointillé, la voie à suivre à la divinité. » (La Pensée sauvage, pp. 297, 299.)

page 547 note 1. Cf. La reprise critique par Cl. Lévi-Strauss des thèses d'A. Comte sur la religion comme anthropomorphisme de la nature : « L'erreur de Comte, et de la plupart de ses successeurs, fut de croire que l'homme a pu, avec quelque vraisemblance, peupler la nature de volontés comparables à la sienne, sans prêter à ses désirs certains attributs de cette nature en laquelle il se reconnaissait. » (La Pensée sauvage, p. 291.)

page 547 note 2. La Pensée sauvage, p. 294.

page 548 note 1. La Pensée sauvage, p. 152.

page 548 note 2. Ibid., p. 169.

page 548 note 3. Ibid., p. 180.

page 548 note 4. Voir par exemple l'analyse faite par Cl. Lévi-Strauss d'un mythe de la tribu des Murngin, habitant la terre d'Arhem, et la conclusion qu'il en tire : « Le système mythique et les représentations qu'il met en oeuvre servent donc à établir des rapports d'homologie entre les conditions naturelles et les conditions sociales, ou, plus exactement à définir une loi d'équivalence entre des contrastes significatifs qui se situent sur plusieurs plans : géographique, météorologique, zoologique, botanique, totémique, économique, social, rituel, religieux et philosophique. » (La Pensée sauvage, p. 123.)

page 549 note 1. Au sens de « transhistoriques ».

page 550 note 1. Voir La Pensée sauvage, p. 290.

page 550 note 2. Ibid., p. 228.

page 550 note 3. Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, p. 294. « Une observation attentive et méticuleuse, tout entière tournée vers le concret, trouve, dans le symbolisme, à la fois son principe et son aboutissement. » Mais le prix qu'il faut, semble-t-il, payer pour cette « totalisation » imaginaire du réel par la pensée est la pauvreté, la monotonie des « messages » fournis par les mythes.

page 550 note 4. Du miel aux cendres, pp. 7, 201, 216.

page 551 note 1. Voir par exemple la loi canonique de transformation des mythes de la mythologie bororo telle que Lévi-Strauss l'a reconstituée dans Du miel aux cendres, pp. 15, 17, 20. Il faudrait bien entendu mentionner les méthodes d'analyse des chaînes syntagmatique, et paradigmatique des mythes, la distinction entre analyse formelle et analyse sémantique, etc., mais ceci déborde notre propos qui est de donner un simple aperçu des rapports mythe-société-histoire. Il faut cependant souligner, comme le fait Claude Lévi-Strauss (Du miel aux cendres, p. 401) que la méthode structurale, bien loin de négliger ou d'appauvrir le contenu des mythes, constitue une « nouvelle manière d'appréhender le contenu qui le traduit en termes de structure ». Ainsi se trouve fondée, comme le voulait Van Gennep, et en opposition avec les mythographes du Xixe siècle, la mythologie comparée où cette fois ce n'est pas « la comparaison qui fonde la généralisation mais le contraire ». (Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, 1958, p. 28.)

page 551 note 2. La Pensée sauvage, pp. 313, 348.

page 551 note 3. Tout au moins d'une algèbre de transformations cycliques.

page 552 note 1. le totémisme aujourd'hui, p. 130. Voir aussi La Pensée sauvage, p. 328 : « Comme l'esprit aussi est une chose, le fonctionnement de cette chose nous instruit sur la nature des choses : même la réflexion pure se résume en une intériorisation du cosmos. » On peut comparer cette théorie de Cl. Lévi-Strauss avec la thèse de Marx dans Le Capital sur la nature des idéalités religieuses : « Dans la région nuageuse du monde religieux… les produits du cerveau humain ont l'aspect d'êtres indépendants, doués de corps particuliers, encommunication avec les hommes et entre eux. » (Le Capital, t. I, pp. 89-90, souligné par nous). C'est tout le problème de l'analogie (trajet 1) qui se trouve ici posé.

page 552 note 2. La Pensée sauvage, p. 349.

page 553 note 1. Le Totémisme aujourd'hui, p. 138.

page 553 note 2. « Lettre à Kugelmann du 11 juillet 1868 », souligné par Marx.

page 553 note 3. Qui est aussi transformation de l'homme et transformation de la nature, comme l'illustre remarquablement le processus de domestication des plantes et des animaux avec toutes ses conséquences sur les rapports des hommes entre eux et sur la nature (transformations génétiques des variétés domestiquées, etc.).

page 553 note 4. « La pensée sauvage n'est pas celle d'une humanité primitive ou archaïque, mais la pensée à l'état sauvage, distincte de la pensée cultivée. » (La Pensée sauvage, p. 289).

page 554 note 1. La Pensée sauvage, p. 290.

page 554 note 2. On pourrait rapprocher ces remarques de celles de Michel Foucault dans Les mots et les choses lorsqu'il analyse le rôle bâtisseur de la « ressemblance » dans le savoir de la culture occidentale jusqu'à la fin du Xvi0 siècle : « C'est elle qui a organisé le jeu des symboles, permis la connaissance des choses visibles et invisibles, guidé l'art de les représenter… Et la représentation directe, qu'elle fût fait ou savoir, se donnait comme répétition : théâtre de la vie ou miroir du monde, c'était là le titre de tout langage, sa manière de s'annoncer et de formuler son droit à parler. » Bien entendu, la ressemblance et l'analogie n'avaient pas attendu le Xvie siècle pour disparaître dans quelques secteurs de la connaissance et c'est même à ce prix que la mathématique chez les Grecs, et peut être la philosophie, étaient nées.

page 554 note 3. Pour cette même raison de nombreuses analogies présentées dans les mythes semblent relever des principes associationnistes de la philosophie empirique anglaise. Lévi-Strauss note dans Le Totémisme aujourd'hui, pp. 129-130, que Radcliffe Brown considérait l'usage dans les mythes australiens d'oppositions reposant sur des paires de contraires (haut et bas, sec et humide, etc.) comme un cas particulier de « l'association par contrariété » et il réhabilite partiellement les doctrines associationnistes. David Hume, dans Enquête sur l'Entendement humain. 1748, section Iii, « L'association des idées », déclare : « Pour moi, il me paraît qu'il y a seulement trois principes de connexion entre des idées, à savoir ressemblance, contiguïté dans le temps ou dans l'espace et relation de cause à effet. » (Éd. Aubier, p. 59).

page 555 note 1. La Pensée sauvage, p. 25 (souligné par nous).

page 555 note 2. Cf. Les aperçus sur les mythologies de la Mésopotamie et de l'Egypte antiques dans l'ouvrage Before Philosophy de Henry Frankfort et Th. Jacobsen, chap. I, « Myth and reality », pp. 11 -36.

page 555 note 3. J. P. Vernant, Les origines de la Pensée grecque, P.U.F., 1962, p. 116. J. P. Vernant souligne en ces termes l'importance de l'oeuvre d'Anaximandre : « Anaximandre situe le cosmos dans un espace mathématisé constitué par des relations purement géométriques. Par là se trouve effacée l'image mythique d'un monde à étages où le haut et le bas, dans leur opposition absolue, marquent des niveaux cosmiques différenciant des Puissances divines et où les directions de l'espace ont des significations religieuses opposées. » (p. 117).

page 555 note 4. J. P. Vernant : « Le nouvel espace social est centré. Le kratos, Yarché, la dunasteia ne sont plus situés au sommet de l'échelle sociale, ils sont déposés es meson, au centre, au milieu du groupe humain… par rapport à ce centre les individus et les groupes occupent tous des positions symétriques… et entrent les uns les autres dans des rapports de parfaite réciprocité. » (Les Origines de la Pensée grecque, p. 122).

page 556 note 1. Lévi-Strauss, Claude, Mythologiques, II, p. 407.Google Scholar

page 556 note 2. Aristote, Métaphysique, B. 4. Aristote vise « les contemporains d'Hésiode et tous les théologiens » et conseille de se « renseigner plutôt auprès de ceux qui raisonnent par démonstration. Cf. Aristote, La Métaphysique, traduction J. Tricot. Vrin, t. I, pp. 1501-51.

page 556 note 3. M. Claude Lévi-Strauss nous a signalé l'ouvrage de G. E. R. Lloyd : Polarity andAnalogy. Two types of argumentation in early greek thought. (Cambridge Univ. Press, 1966) ouvrage qui recense les exemples d'usage de paires de termes opposés et de l'analogie comme mode d'inférence et procédé de découverte dans tous les domaines de la philosophie et de la science grecques jusqu'à Aristote.

page 556 note 4. Rappelant les conceptions opposées de Burnet, partisan de la théorie du « miracle grec » par lequel brusquement « sur la terre d'Ionie le logos se serait dégagé du mythe comme les écailles tombent des yeux de l'aveugle », et de Cornford pour qui la première philosophie reste plus proche d'une construction mythique que d'une théorie scientifique, J. P. Vernant, tout en acceptant les analyses de Cornford, conclut : « Cependant en dépit de ces analogies et de ces réminiscences, il n'y a pas entre le mythe et la philosophie réellement continuité. Le philosophe ne se contente pas de répéter en termes de phusis ce que le théologien avait exprimé en termes de Puissance divine. Au changement de registre, à l'utilisation d'un vocabulaire profane, correspond une nouvelle attitude d'esprit… ainsi s'affirme une fonction de connaissance dégagée de toute préoccupation d'ordre rituel. Les « physiciens » délibéremment ignorent le monde de la religion. Leur recherche n'a plus rien à voir avec ces procédures du culte auquel le mythe, malgré sa relative autonomie, restait toujours plus ou moins lié. » (Les Origines de la Pensée grecque, p. 102). Désacralisation du savoir et laïcisation de la vie sociale se présentent donc comme des conditions de l'avènement de la philosophie.

page 557 note 1. « Histoire » pris au sens de réalité (Geschichte) et non de discipline scientifique (historié).

page 557 note 2. La Pensée sauvage, p. 310.

page 557 note 3. Ibid., p. 311.

page 557 note 4. Ibid.. p. 349.

page 557 note 5. La Pensée sauvage, p. 173.

page 557 note 6. Ibid., p. 155. En parallèle, nous citons le texte célèbre de Marx : « A rencontre de la philosophie allemande qui descend du ciel sur la terre, c'est de la terre au ciel que l'on monte ici… On part des hommes dans leur activité réelle, c'est d'après leur processus de vie réel que l'on représente aussi le développement des reflets et des échos idéologiques de ce processus vital… De ce fait la morale, la religion, la métaphysique et tout le reste de l'idéologie, ainsi que les formes; de conscience qui leur correspondent perdent aussitôt toute apparence d'autonomie. Elles n'ont pas d'histoire, elles n'ont pas de développement ; ce sont au contraire les hommes qui, en développant leur production matérielle et leurs relations matérielles, transforment avec cette réalité qui leur est propre et leur pensée et les produits de leur pensée. Ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience. » (L'Idéologie allemande. Première partie : Feuerbach; Éditions sociales, 1953, p. 17).

page 558 note 1. Le Cru et le Cuit, p. 35. « C'est la pensée structurale qui défend aujourd'hui les couleurs du matérialisme. »

page 558 note 2. Du miel aux cendres, p. 407.

page 558 note 3. Ibid., p. 408.

page 558 note 4. Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, p. 310.