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Martyre, témoignage et lignées sociales en paystamoul

(xviie-xviiie siècles)

Published online by Cambridge University Press:  01 August 2023

Margherita Trento*
Affiliation:
EHESSmargherita.trento@ehess.fr
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Résumé

Cet article s’intéresse au martyre du missionnaire jésuite saint Joãode Brito (1647-1693) et aux débuts de son culte en pays tamoul, entre ancragedans des dynamiques locales et vastes horizons impériaux. Comment un jésuiteportugais, agent du catholicisme mondial moderne, est-il devenu une figure silocalement ancrée ? Et comment le dernier jour de sa vie est-il devenu le débutd’une dévotion tamoule qui dure maintenant depuis trois siècles ? Un ensemblevarié de sources permet d’aborder ces questions : les rapports, écrits enplusieurs langues, des premières enquêtes menées dans le cadre de lacanonisation de Brito, où ses catéchistes figuraient parmi les principauxtémoins ; un traité missionnaire en tamoul ; et une vie de Brito en tamoulécrite par l’un de ses catéchistes et conservée sous la forme d’un manuscrit surôles. Deux éléments se dégagent de cette exploration. Au début duxviiie siècle, être témoin d’un martyre était ainsi un moyend’acquérir un certain degré de sainteté, et donc une autorité spirituelle etsociale transmissible au sein des lignées familiales. En outre, en assistant àla vie et à la mort de Brito, les chrétiens laïcs tamouls ont trouvé un moyend’inscrire leur propre vie dans l’histoire du catholicisme à l’échelle locale etmondiale.

Abstract

Abstract

This article examines the martyrdom of the Jesuit missionary Saint João deBrito (1647-1693) and the beginnings of his cult, at once embedded in the localdynamics of the Tamil country and extending towards broad imperial horizons. Howdid a Portuguese Jesuit, an agent of modern global Catholicism, become such alocally anchored figure? And how did the last moments of Brito’s life initiate aTamil devotion that has lasted for over three centuries? A diverse array ofsources is used to address these questions: the multilingual archives producedduring early inquiries in support of Brito’s canonization (particularly thewitness statements of his catechists), a missionary treatise in Tamil, and alife of Brito composed in Tamil by one of his catechists and preserved in apalm-leaf manuscript. Two conclusions emerge from this study. In the earlyeighteenth century, witnessing a martyrdom could be a means of acquiring acertain degree of sanctity, and thus a spiritual and social authoritytransmissible within family lineages. Moreover, by witnessing Brito’s life anddeath, Tamil Christian laymen found a way of inscribing their own lives into thehistory of Catholicism on both local and global scales.

Type
Le fait religieux à l'épreuve du monde
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Dans le village sablonneux d’Oriyur, sur les rives de la rivière Pambar juste avant que le cours d’eau ne pénètre dans la mangrove qui recouvre cette portion de la côte de Coromandel, se trouve un sanctuaire dédié au jésuite portugais saint João de Brito. Ce lieu, devenu un site dévotionnel important et très fréquenté dans cette région isolée du pays tamoul, est associé au martyre du missionnaire, exécuté sur ordre du souverain local Rakunāta Kiḻavaṉ Cētupati, également appelé Rakunāta Tēvaṉ, en 1693Footnote 1. Depuis lors, João de Brito est considéré, aussi bien par les catholiques que les non-catholiques de la région, comme un saint dont les pouvoirs se manifestent dans le village. Au fil des siècles, les pèlerins se rendent à Oriyur pour faire des offrandes et demander la protection de celui qu’ils appellent avec déférence par son nom tamoul, Aruḷāṉanta swami – Aruḷāṉanta, traduction littérale de João, « béni par la grâce divine », et swami, titre honorifique envers un maître. Construit une cinquantaine d’années après sa mort, le sanctuaire de saint João de Brito (fig. 1) est ainsi devenu le centre d’un dense réseau de pèlerinage reliant Oriyur aux villes et villages de la région du Maravar dans lesquels le missionnaire avait prêché et fait du prosélytisme durant ses séjours en Inde.

Figure 1 Figure 1 – Le sanctuaire de João de Brito à Oriyur (2017)

Aujourd’hui, les pèlerins qui se rendent à Oriyur pour vénérer Brito appartiennent principalement à trois castes locales – Maṟavar, Kaḷḷar et Akamuṭaiyār – regroupées au sein de la communauté des Tēvar ou Mukkulattōr, littéralement « les trois castes »Footnote 2. Qu’ils soient catholiques ou hindous, les Tēvar considèrent Brito comme l’une des divinités tutélaires de leur clanFootnote 3 et font le déplacement vers ce petit village à l’occasion de trois fêtes religieuses annuelles : la fête liturgique de saint João de Brito (du 26 janvier au 4 février), l’anniversaire de sa canonisation (du 20 au 22 juin) et la nativité de Marie (du 30 août au 8 septembre). Arrivant à pied, dans des charriots tirés par des bœufs et, plus récemment, en bus, les pèlerins accomplissent plusieurs rituels, notamment des sacrifices d’animaux (en général des chèvres ou des poulets), et forment des processions au cours desquelles ils font le tour du sanctuaire avec leur bétail. Ces pratiques sont les mêmes pour tous, bien que des modulations existent en fonction des castes et des sous-castes.

Plus fondamentalement, l’ensemble des pèlerins d’Oriyur s’accordent pour croire que le pouvoir du saint se manifeste de manière puissante dans le village car son sang y a été versé. C’est là une croyance commune à différentes religions en Inde du Sud, qui établit un lien entre fluide corporel et charisme spirituel et fait souvent du sang versé la source du pouvoir des divinités et des lieux saints du villageFootnote 4. Ici, le sable des rives de la rivière Pambar, au point où son lit est le plus proche du sanctuaire, aurait pris une teinte rouge lorsque le bourreau décapita Brito et que son sang se répandit. On prête à ce sable rouge des propriétés curatives miraculeuses, en particulier pour les maladies de la peau. Lorsque nous avons visité Oriyur en 2017, le sable était vendu pour quelques roupies, emballé dans de petits sachets en plastique tel une relique prête à l’emploi que les visiteurs pouvaient facilement ramener chez euxFootnote 5 ; dans la vie rituelle et dévotionnelle des Tēvar et des autres pèlerins d’Oriyur, le jour de la mort de Brito, le 4 février 1693, coïncide avec le moment où le pouvoir du saint s’est enraciné dans le sol du village.

Mais comment un jésuite portugais, agent du catholicisme mondial moderne, est-il devenu une figure si localement ancrée ? Comment le dernier jour de la vie de João de Brito a-t-il donné naissance à une dévotion tamoule qui dure depuis plus de trois siècles ? Ces questions ont jusqu’ici été envisagées sous des angles différents : d’un côté, les historiens de la Compagnie de Jésus ont souligné le rôle central de la stratégie d’accommodation des Jésuites, une forme d’adaptation sociale et culturelle radicale qui s’appuyait sur la capacité des missionnaires à appréhender finement, partout dans le monde, les terrains sociaux et culturels (non religieux) en présenceFootnote 6. Telle était bien la méthode mise en œuvre par la mission de Madurai – à la pointe méridionale de l’Inde –, à laquelle Brito était rattaché. Fondée en 1606, elle s’étendait sur un territoire tamoulophone gouverné par de nombreuses dynasties locales, notamment les Nāyaks de Madurai et de Thanjavur (fig. 2). Dans ce contexte, les missionnaires jésuites se présentaient comme les maîtres locaux d’une nouvelle religion, la « secte » chrétienne (kiṟistava matam). D’un autre côté, les anthropologues, à commencer par Susan Bayly à la fin des années 1980, ont expliqué les origines et les formes locales du christianisme tamoul à la lumière du pluralisme et des processus d’intégration religieuse qui caractérisaient l’Inde du Sud, en particulier avant le colonialismeFootnote 7. L’existence d’un être au monde « spécifiquement tamoul », transcendant les affiliations religieuses, est toujours au cœur des recherches anthropologiques sur la vie des villages contemporains du Tamil NaduFootnote 8.

Figure 2 Figure 2 – Carte de la mission de Madurai au xviiie siècle

Nous suggérons ici que l’interaction entre ces échelles radicalement différentes – entre niveau local et dynamique globale – permet de mieux comprendre l’enracinement du culte de Brito. Cette approche est dictée, dans une large mesure, par les archives. Si l’idée de faire des recherches sur le personnage de Brito nous est d’abord venue en constatant la présence de sa statue dans un très grand nombre d’églises du Tamil Nadu (fig. 3), c’est en travaillant sur les collections tamoules de la Bibliothèque nationale de France (BNF) à Paris, et par la découverte capitale d’un manuscrit sur ôles (feuilles de palmier) d’une vie de Brito rédigée par l’un des catéchistes témoin de son exécutionFootnote 9, que nous avons véritablement commencé à comprendre comment son martyre avait été interprété au niveau local et comment les acteurs locaux se l’étaient approprié. D’autres archives ont accentué le paradoxe apparent que constitue la conservation des témoignages en tamoul à des milliers de kilomètres de l’Inde du Sud. Les rapports des premières enquêtes sur le martyre de Brito, organisées à Mylapore en 1695 et en 1726 sous la supervision de la Congrégation des rites, se trouvent ainsi aux Archives apostoliques du Vatican. Véritables traces du fonctionnement théologique et juridique de l’Église catholique et de ses institutions au début de l’époque moderne, ces documents – dans lesquels le tamoul parlé des témoignages se mêle au latin formel de la structure légale – figurent également, selon toute vraisemblance, parmi les plus anciennes transcriptions de récits en langue tamouleFootnote 10.

Figure 3 Figure 3 – Statue de saint João de Brito à Oriyur (2017)

Issus du dépouillement minutieux de ces documents d’archives en plusieurs langues (non seulement en tamoul et latin, mais aussi en italien et portugais), occasionnellement enrichis de perspectives ethnographiques, les développements qui suivent embrassent une vaste chronologie et différentes échelles afin d’analyser les répercussions de l’événement précis et situé que constitue l’exécution de João de Brito. Celles-ci s’étendent dans deux directions. D’un côté, dès la revendication du martyre, la mort de Brito fut intégrée à la trame du discours d’autorité spirituelle et politique des Jésuites en Inde du Sud. Elle a ainsi permis aux missionnaires de justifier leurs stratégies et de négocier leur position vis-à-vis des dirigeants de la Compagnie et de l’Église de Rome. D’un autre côté, les catéchistes et les disciples tamouls du jésuite, qui ont assisté à ses souffrances et à sa fin tragique, définirent ce moment comme la source d’une autorité spirituelle et sociale propre, qu’ils entendaient exercer et exploiter au niveau local.

Cependant, dans la transposition de la mort de Brito en un culte à la fois mondial et enraciné à Oriyur et à travers l’implication croisée des acteurs qui ont rendu ce phénomène possible, un mécanisme central se fait jour : l’acte d’être témoin Footnote 11, dans toutes ses formes. Du point de vue de l’Église catholique, le martyre est le témoignage suprême rendu à la vérité de la foi, garanti au xviie siècle par le processus juridico-théologique complexe de la canonisation, qui repose lui-même sur les déclarations de témoins sous sermentFootnote 12. En parallèle, le témoignage du martyre est devenu un élément clef de l’établissement et de la cristallisation des communautés dévotionnelles locales en Inde du Sud ainsi qu’une source d’autorité transmissible à l’origine de différentes traditions spirituelles et sociales.

Le martyre (4 février 1693)

C’est au terme d’un parcours mouvementé que João de Brito croise la route de son bourreau, le 4 février 1693Footnote 13. Il naît à Lisbonne en 1647 de parents issus de la haute société : sa mère, Brites Pereira da Fonseca (c. 1615-1695), avait épousé Salvador de Brito Pereira (c. 1610-1651) à Portalegre en 1637Footnote 14. Le couple eut trois enfants avant que Salvador ne décède, peu de temps après avoir été nommé gouverneur de Rio de Janeiro en 1649. Très tôt, João décida qu’il voulait être jésuite et missionnaire. Surmontant la réticence de sa mère, qui aurait préféré qu’il s’engageât au service de la Couronne portugaise, il prononça ses premiers vœux en 1664. Fort du savoir accumulé durant une décennie d’étude et d’enseignement dans des collèges jésuites de Coimbra et de Lisbonne, João s’embarqua pour l’Inde en 1673. Après un séjour à Goa, la capitale de l’Asie portugaise, où il termina ses études de théologie, il commença à travailler dans la mission de Madurai.

Brito se vit attribuer l’évangélisation de la région du Maravar, une terre aride peuplée par les Kaḷḷar, l’une des trois castes tēvar, que les sources jésuites de l’époque désignent comme les « voleurs »Footnote 15. À son arrivée, la dynastie des Cētupatis, qui gouvernait le Maravar depuis sa capitale de Ramnad, cherchait à s’émanciper politiquement des Nāyaks de Madurai, ce qui advint avec Rakunāta Tēvaṉ (r. 1674-1710), un souverain dynamique qui voyait d’un mauvais œil les missionnaires catholiques et leur ingérence dans la vie politique et religieuse localeFootnote 16. Sans doute préoccupé par le nombre croissant de conversions attribuées à Brito et à ses collaborateurs locaux, Rakunāta fit jeter une première fois le missionnaire en prison en 1686 et le somma de quitter le Maravar. Libéré, Brito s’enfuit, une décision qui prit toute son importance quelques années plus tard dans la reconnaissance de son martyre. En effet, dans ce qui n’est qu’une apparente contradiction, le martyre doit être à la fois désiré et évité autant que possible. D’autres missionnaires jésuites en Inde du Sud qui manifestèrent un peu trop d’exaltation à l’idée de mourir pour leur foi n’attinrent ainsi jamais le statut de martyrFootnote 17.

Après cette première séquence, Brito fut envoyé au Portugal pour plaider en faveur de la mission auprès de la cour royale. Du fait des liens de sa famille avec l’administration impériale, il était certainement mieux armé que d’autres pour servir la diplomatie jésuite. Cependant, il n’oubliait pas la mission de Madurai, ni les occasions de connaître le martyre qu’elle représentait. En 1690, une fois son ambassade terminée, il retourna en Inde. Ses anciens collaborateurs et catéchistes locaux l’attendaient et le ramenèrent au Maravar – du moins c’est ce qu’ils prétendirent par la suite –, où il recommença son prosélytisme. Cette fois-ci, Brito parvint à atteindre Taṭiya Tēvaṉ, un parent de Rakunāta Tēvaṉ qui avait été candidat au trône de Ramnad. Alors à la tête du petit domaine de Siruvalli, Taṭiya Tēvaṉ fit appel à Brito pour l’aider à guérir de la maladie dont il était affecté. Après avoir écouté un catéchiste envoyé par le missionnaire, Taṭiya Tēvaṉ se convertit. Cette décision affecta considérablement l’ordre local, notamment parce que le néo-converti, tenu de ne conserver qu’une seule épouse, dut répudier toutes les autres, parmi lesquelles la nièce de Rakunāta Tēvaṉ.

Ce faisant, il commettait un véritable outrage, tant sur le plan familial, social que politique. Selon S. Bayly, la conversion de Taṭiya Tēvaṉ était, compte tenu des prétentions au trône précédemment manifestées par ce dernier, un pari politique visant à s’assurer le soutien d’un lobby chrétien à l’influence grandissante. Cette interprétation, convaincante, peut expliquer que le souverain du Maravar ait pris ce geste comme une atteinte à son autorité et qu’il en ait tenu Brito responsable, au point de le jeter une seconde fois en prisonFootnote 18. Le jésuite fut arrêté le 8 janvier 1693, alors qu’il prêchait dans le village de MuniFootnote 19. À ses côtés se trouvaient un catéchiste, João (Aruḷāṉantaṉ en tamoul), et deux adolescents, Mariyatācaṉ et Aruḷāṉantaṉ (de 17 et 13 ans), qui furent amenés à Ramnad et enfermés avec lui. D’autres disciples et catéchistes les suivaient à distance, essayant chaque fois qu’ils le pouvaient de rendre la captivité du petit groupe moins pénible. Plusieurs jours durant, Brito et ses compagnons furent torturés à Ramnad, tandis que Rakunāta Tēvaṉ réfléchissait au sort final qu’il allait réserver à son captif. Le roi décida finalement de transférer Brito à Oriyur pour qu’il y soit décapité.

Après avoir appris la nouvelle, deux laïcs de l’entourage de Brito se constituèrent prisonniers afin de partager avec lui les souffrances de sa dernière nuit. Le jour suivant, le 4 février 1693, et moins d’un mois après son arrestation, Brito fut décapité. Le lendemain, ses mains et ses pieds furent également coupés et exposés à côté de son corps sans tête pour dissuader quiconque de s’opposer à Rakunāta Tēvaṉ. Rapidement libérés, les deux laïcs qui avaient rejoint Brito parvinrent, malgré les tortures endurées pendant leur captivité, à organiser une expédition nocturne pour récupérer ce qui restait du corps de Brito. Ils ramenèrent les reliques à Francisco Laines (1656-1715), qui était alors le supérieur de la mission du Madurai et le seul jésuite présent dans la région.

La fin tragique de Brito a sans nul doute frappé l’imaginaire jésuite, comme en témoigne un tableau représentant son corps et, passée autour du cou, une corde à laquelle sont attachés sa tête, ses mains et ses pieds, peints en 1737 dans le collège jésuite de Ponta Delgada, sur l’île de São Miguel dans l’archipel des Açores. Avec le temps cependant, les détails les plus sanglants sont passés au second plan dans les récits jésuites. Ainsi ne trouve-t-on pas mention de ses mains et de ses pieds coupés dans la narration la plus détaillée de la vie de Brito, Red Sand, écrite par le missionnaire jésuite Augustin Saulière et publiée à l’occasion de la canonisation de Brito, en 1947Footnote 20. En revanche, ces détails sont restés centraux dans les récits locaux, comme l’a constaté S. Bayly dans les années 1980. Les personnes qu’elle a interrogées ont insisté sur le fait que la tête, les mains et les pieds du jésuite avaient été attachés à un poteau, comme si, par-delà la mort, Brito continuait à représenter un danger qu’il fallait maîtriser. Rakunāta Tēvaṉ craignait lui aussi son pouvoir et les promesses de changement dont il était porteur, surtout depuis le secours apporté à Taṭiya Tēvaṉ, ce proche qui avait jadis contesté son autorité royale. Le plan de Rakunāta Tēvaṉ consistant à empêcher que le pouvoir de Brito se dissémine en dehors d’Oriyur fut couronné de succès et le rythme des conversions commença à ralentir dans le Maravar presque immédiatement après l’exécution du missionnaire. Dans le même temps cependant, Oriyur (et l’emplacement du pieu auquel les mains et les pieds de Brito avaient été suspendus) devint un lieu de culte et de miracles.

Les témoins jésuites

Du point de vue de l’Église catholique, la mort de Brito laissait de nombreuses questions sans réponse. Pour commencer, avait-il réellement été tué « en haine de la foi » (in odium fidei), ce qui ferait de lui un martyr ? Ses confrères se rangèrent immédiatement à cet avis et le firent savoir dans le premier récit du martyre de Brito, une lettre en portugais de Francisco Laines aux autres membres de la Compagnie le 11 février 1693, quelques jours seulement après les événements. On trouve dans cette lettre, conservée à la bibliothèque de Ajuda à Lisbonne, tous les éléments qui allaient constituer le récit étalon de la mort de Brito. Laines y écrit qu’il a appris toute l’histoire de la bouche de témoins oculaires, à savoir le catéchiste et les deux jeunes convertis incarcérés avec Brito, dont il avait pu recueillir les témoignages au Maravar où il s’était rendu à la nouvelle de l’arrestation du missionnaire. Il insiste d’ailleurs sur le fait qu’il rédige sa lettre dans la région hostile où Brito a connu le martyreFootnote 21. Par ailleurs, les deux témoins laïcs lui ayant confié les pieds et les mains du supplicié, Laines est en possession des potentielles reliques du futur saint : dès lors, la tentation est grande de reconstituer l’histoire de Brito dans le sens du martyre.

Après avoir décrit la fin de Brito et certifié son martyre, Laines conclut sa lettre en insistant sur les difficultés et les peines qu’il avait lui-même connues pour se rendre au Maravar. Il précise encore avoir renoncé à se rendre auprès de Brito avant son exécution afin de prêter assistance à des chrétiens locaux persécutés par Rakunāta Tēvaṉ, le souverain qui a condamné Brito à mort. Par la présentation qu’il fait de sa décision et de son rôle dans les événements, Laines laisse entendre qu’il aurait pu mourir aux côtés de Brito en martyr, mais qu’il a renoncé à cette gloire suprême pour accomplir son devoir de prêtre et de missionnaire. Ce passage succinct met donc en scène la tension implicite qui caractérise l’idée de martyre : la mort ne saurait être glorifiée qu’à la condition de n’avoir pas été recherchée, le devoir impératif de tout chrétien étant de choisir la vie. Laines indique à ses frères jésuites que bien qu’ils aient intégré la mission pour devenir des saints et ardemment souhaité connaître le martyre, ils doivent toujours être prêts à y renoncer, comme il a su le faire, car leur devoir est de vivre.

Cependant, par son récit du martyre du missionnaire portugais et son choix de demeurer témoin, Laines indique également aux Jésuites une autre façon de contribuer à la gloire de l’Église : ils ont la possibilité de participer au martyre d’un de leurs frères, en l’occurrence Brito, en témoignant et en le racontant. Pierre-Antoine Fabre a récemment mis en lumière le lien entre expérience et témoignage du martyre dans les textes jésuites du xviie siècle – lien qu’il qualifie de « déplacement du martyr sur son témoin »Footnote 22. C’est ce type de déplacement qui est à l’œuvre non seulement au sein de la mission de Madurai et dans la lettre de Laines, mais aussi parmi les catéchistes de Brito, comme nous le verrons plus loin.

Peu après l’envoi de cette première lettre, des récits du martyre de Brito commencent à être publiésFootnote 23, se multipliant rapidement tandis que la Compagnie de Jésus et la famille de Brito cherchent toutes deux à l’établir en martyr à l’aide de tableaux, de brochures et de biographiesFootnote 24. La lettre de Laines y est parfois citée parmi les sources, comme dans le texte influent de Jean-Baptiste Maldonado, Illustre certamen, paru en 1697, où l’on trouve également l’iconographie la plus connue de Brito (fig. 4)Footnote 25. La missive ne fut pourtant publiée que quatorze ans après sa rédaction, en 1707, à l’occasion de sa traduction en français pour le deuxième volume de la collection consacrée à la correspondance des missionnaires jésuites, les Lettres édifiantes et curieuses (fig. 5)Footnote 26. Jusque-là document privé circulant parmi les Jésuites, elle devint, par le truchement de la traduction, une pierre angulaire de l’orientalisme catholique et un élément fondateur de la rhétorique de la Compagnie de Jésus au sujet de ses missions à l’étrangerFootnote 27.

Figure 4 Figure 4 – João de Brito habillé en missionnaire de Madurai

Figure 5 Figure 5 – Première page de la lettre de Francisco Laines aux Pères de la Compagnie de Jésus

À cette date et auprès de ce public élargi, la signification du passage dans lequel Laines décrit son rôle dans les événements n’était plus la même. Quelques années auparavant, entre 1703 et 1704, le légat apostolique Carlo Tomaso Maillard de Tournon (1668-1710), en route pour la Chine, avait passé huit mois à Pondichéry et avait publié un décret, Inter graviores, critiquant et interdisant de nombreuses coutumes que les jésuites de Madurai, de Mysore et de la mission carnatique avaient adoptées pour s’intégrer dans la société tamoule. Aux yeux de Tournon, ces pratiques – que l’on désignait sous le nom de rites malabares et qui allaient de l’aménagement de certains rituels sacramentaux à la reconnaissance de la subdivision de la société en castes – n’étaient pas très catholiquesFootnote 28. Or ces accommodements étaient au cœur des stratégies et des modes de vie adoptés par les jésuites en Inde du Sud depuis le début de la mission de Madurai, en 1606. Beaucoup d’entre eux, à commencer par Laines, estimaient donc que leur interdiction porterait un coup fatal aux jeunes communautés catholiques.

Laines, dans le contexte de l’opposition des Jésuites au décret de Tournon, publia à son tour, en 1707, un long traité, Defensio indicarum missionum (« Apologie des missions indiennes »), pour défendre les stratégies des Jésuites en Inde du SudFootnote 29. S’il y est rarement fait mention explicite de Brito, son modèle imprègne le propos à l’arrière-plan, ses souffrances et son martyre faisant figure de métonymie de la vie des missionnaires et des chrétiens dans ces régionsFootnote 30. Laines s’exprime de nouveau à la première personne, se présentant en homme ayant tout à la fois récolté les fruits du sang versé par Brito – les âmes des convertis, inspirés par Brito et désireux de l’imiter – et enduré les persécutions qui ont suivi son exécution. Ainsi que semblent le suggérer le Defensio et la missive de Laines publiée la même année dans les Lettres édifiantes et curieuses, ces souffrances atteignirent leur paroxysme lorsque la mission de Madurai se trouva menacée de subir une sorte de martyre du fait du décret de condamnation de Tournon. Alors qu’éclate la controverse des rites malabares, un moment qui correspond également aux premiers stades du processus de canonisation de Brito, c’est toute la mission qui semble être sur le point de disparaître pour avoir imaginé qu’il était possible de convertir l’Inde du Sud en s’adaptant à ses normes sociales.

Avec l’intégration de la vie de Brito dans son traité, Laines entendait réfuter une idée couramment répandue, notamment parmi les détracteurs des Jésuites : l’accommodation n’aurait visé qu’à faciliter la conversion de nouveaux fidèles, en les laissant libres de conserver leurs coutumes après avoir embrassé la nouvelle foi. Il entendait au contraire montrer que l’adoption du mode de vie indien s’accompagnait de sacrifices et de risques énormes, lesquels rapprochaient un peu plus les missionnaires de la sanctification. L’interprétation donnée par les jésuites à leur propre action en Inde du Sud et le rôle de Brito dans les négociations entre la Compagnie et l’Église catholique dans le cadre de la controverse des rites malabares ne constituent qu’un aspect d’une histoire qui s’est déroulée entre Pondichéry, Lisbonne et Rome durant les premières décennies du xviiie siècle. Histoire que l’on peut grossièrement faire correspondre à la série d’enquêtes menées par la Congrégation des rites (appelée Congrégation pour les causes des saints après le concile Vatican II) entre 1695 et 1741, date à laquelle il fut établi que l’accommodation pratiquée par Brito ne ferait pas obstacle à sa canonisation. Au cours de ces quarante-cinq années, les Jésuites organisèrent ainsi un certain nombre d’audiences à Mylapore, Goa, Cochin et Rome (tableau 1) qui éclairent le rôle crucial joué par la mort de Brito au sein de la Compagnie de Jésus à cette époque.

Tableau 1 – Principaux documents relatifs aux premières phases du processus de canonisation de Brito

Année Phase du processus Lieu Langue(s) des documents préservés Fonds archivistique
1695 Processus super Martyrio Mylapore Portugais, latin, italien AAV, Cong. Rit., Proc. 1699 Copie : ARSI, APG-SJ 717
1699 Processus super Virtutibus, Martyrio et Miraculis Rome Portugais, latin, italien AAV, Cong. Rit., Proc. 1698 Copie : ARSI, APG-SJ 718
1701 Processus super Martyrio et non cultu Cochin Portugais, latin, italien AAV, Cong. Rit., Proc. 1693 Copie : ARSI, APG-SJ 719
1714 Positio super dubio Rome Portugais, latin, italien Imprimé, conservé dans ARSI, APG-SJ 720
1715 Processus super non cultu Rome Latin, italien AAV, Cong. Rit., Proc. 1694 Copie : ARSI, APG-SJ 723
1718 Processus super non cultu Goa Portugais, latin, italien AAV, Cong. Rit., Proc. 1695 Copie : ARSI, APG-SJ 724
1726 Processus super Martyrio, c ausa Martyrii et Miraculis Mylapore Tamoul, portugais, latin, italien AAV, Cong. Rit., Proc. 1697 Copie : AAV, Cong. Rit., Proc. 1696 ; et ARSI, APG-SJ 726
1737 Positio Rome Latin Imprimé, conservé dans ARSI, APG-SJ 727
1738 Memoriale super dubio objectorum rituum Mylapore Portugais, latin, italien ARSI, APG-SJ 729
1741 Decretum Rome Latin Imprimé, conservé dans ARSI, APG-SJ 745-752
1744 Secunda Positio Rome Latin Imprimé, conservé dans ARSI, APG-SJ 730

En 1741, bien que le décret de Tournon eût été confirmé en 1734 par Clément XII dans la bulle Compertum exploratumque, la Sacrée Congrégation des rites déclara que plus rien ne s’opposait à la canonisation de Brito. Cette annonce intervint un an à peine après l’élection au pontificat du cardinal Prospero Lambertini, sous le nom de Benoît XIV. Le nouveau pape était expert en la matière puisqu’il avait été Promotor fidei de la Congrégation des rites pendant vingt ans, une fonction qui l’avait conduit – en tant qu’« avocat du diable » – à exprimer tous les doutes et objections possibles à l’encontre des candidats à la béatification, dont BritoFootnote 31. Bien qu’aucune transaction explicite n’ait été couchée sur le papier, le fait que le pape ait, en pleine controverse sur les rites malabares, émis cet avis favorable à l’égard d’une figure connue pour avoir ardemment pratiqué l’accommodation constitue une coïncidence pour le moins troublante. C’était sans doute l’issue la plus favorable que les Jésuites pouvaient espérer après un demi-siècle de procédures légales à la Curie, ce d’autant plus que le contexte politique tournait rapidement en leur défaveur à Lisbonne comme à RomeFootnote 32. En 1744 cependant, Benoît XIV finit par interdire les rites malabares avec la bulle Omnium sollicitudinum, et le processus de canonisation de Brito fut à nouveau interrompu. Moins de quinze ans plus tard, la suppression de la Compagnie de Jésus dans l’Empire portugais marquerait le début de sa fin.

Une autre dimension, locale cette fois-ci, de cette histoire peut être retracée à travers les événements et les documents de l’époque. Le martyre de Brito, pour lequel Laines s’est posé comme le premier et principal témoin, a finalement été transmis à une collectivité : la mission de MaduraiFootnote 33. Celle-ci ne se limitait pas aux missionnaires jésuites envoyés en Inde du Sud, mais incluait de nombreux assistants laïcs, qui travaillaient comme catéchistes, traducteurs ou comptables au sein des communautés chrétiennes locales. Si, dans ses récits, Laines ne met pas en avant le rôle de ces laïcs, ces derniers furent également les témoins de la mort de Brito pour la foi, peut-être plus que Laines lui-même.

Les témoins catéchistes

Revenons aux événements de 1693 et à leur suite dans la région du Maravar. Quelles ont été les conséquences du martyre de Brito à l’échelle locale ? La première lettre de Laines ne s’attarde guère sur le rôle des laïcs qui accompagnaient Brito et furent emprisonnés avec lui. Ils n’en ont pas moins joué un rôle dans les événements qui conduisirent à la mort du missionnaire. Le récit de Laines, écrit du point de vue des Jésuites, nous apprend que plusieurs Tamouls se trouvaient avec Brito et ont partagé ses souffrances, assisté à son exécution puis récupéré les restes de sa dépouille. Si Laines ne mentionne leur identité qu’à de très rares occasions, leurs histoires et leurs noms apparaissent clairement dans un autre ensemble de documents qui n’étaient pas destinés à une diffusion publique et mondiale, à savoir les procès-verbaux des enquêtes diligentées par le Compagnie de Jésus en Inde du Sud et transmis à la Congrégation des rites à Rome au soutien de la canonisation de Brito. Parmi les quatre enquêtes de ce type, deux ont eu lieu dans la ville côtière de Mylapore, ancien établissement portugais situé aujourd’hui en banlieue de Chennai. Ce sont ces deux enquêtes, datant de 1695 et 1726, que nous allons étudier.

Tous ceux qui avaient partagé les derniers jours de Brito faisaient partie des témoins de la première enquête organisée quelques années après les événements. Au cours des interrogatoires menés entre janvier et mai 1695, ils attestèrent sous serment que la mort de Brito était intervenue in odium fidei et purent également évoquer leur propre rôle dans les événements et dans la vie de la mission de Madurai à l’époque. Même si leurs dépositions originales en tamoul ont été perdues, leurs noms, leurs histoires et leur place dans le martyre de Brito, et, en fin de compte, les preuves corroborant leur prétention à la sainteté, sont abondamment mentionnés dans les traductions en portugaisFootnote 34. Parmi les personnes interrogées, on trouve Aruḷāṉantaṉ, le catéchiste brahmane homonyme de Brito (mais sans le titre de swami) qui séjourna en prison avec le jésuite en 1693 ; Aruḷāṉantaṉ et Mariyatācaṉ, les deux adolescents arrêtés avec Brito ; Muttu, un autre catéchiste qui fut également emprisonné alors qu’il cherchait à rejoindre Brito dans le Maravar ; Ciluvai Nāyakkaṉ, le vieux catéchiste de Brito et père de Mariyatācaṉ ; Kaṇakkappā, un autre catéchiste qui avait suivi le jésuite à distance lors de son arrestation et avait joué le rôle de messager entre Brito et ses partisans ; Kastūri Paṇikkaṉ et Aruḷ Paṟaiyaṉ, deux laïcs qui avaient demandé à subir le martyre aux côtés de Brito : après avoir eu le nez et les oreilles coupés, ils firent partie du groupe qui récupéra la dépouille de Brito ; Vētappaṉ, un autre catéchiste âgé qui avait, avec Ciluvai Nāyakkaṉ, accompagné Brito lors de sa première incarcération neuf ans plus tôt ; et de nombreux autres encore.

Première personne interrogée, Kastūri Paṇikkaṉ avait été le témoin direct de la mort de Brito, à la différence d’autres catéchistes retenus à Ramnad tandis que le jésuite était conduit à Oriyur pour y être décapité. Celui-ci déclara qu’il « était avec le Père susmentionné [Brito] depuis son premier jour en prison jusqu’au moment de son martyre et qu’il faisait partie de ceux qui avaient volé les restes de sa dépouille ». Il affirma également que tout ce qu’il avait vu et raconté était connu de ses pairs et que la plupart des personnes qu’ils avaient mentionnées pouvaient confirmer ses dires :

[…] le brahmane Arlapâ [Aruḷappā], désormais marié et vivant à Madurai […] ; trois catéchistes ayant travaillé pour le Père, à savoir Mutû [Muttu], Arlandren [Aruḷāṉantaṉ] et Mariadasso [Mariyatācaṉ], qui avaient suivi Brito après avoir été arrêtés à Kandaramanikam […] ; Xilvenaiquem [Ciluvai Nāyakkaṉ] et Arlapâ [Aruḷappā], qui avaient volé les reliques de Brito avec le témoin ; Cheganadâ, Chinapen [Ciṉṉappā], Anddi et Arlapa Cottegarâ, résidant désormais dans le pays de Maravar, qui s’étaient dissimulés pour suivre le Père de loin et qui – le voyant se mettre à genoux à l’endroit de son martyre et ne pouvant plus se cacher – s’étaient constitués prisonniers pour l’accompagner ; l’un d’entre eux eut le nez et les oreilles coupés, un autre les oreilles seulementFootnote 35.

Ce récit montre que le martyre de Brito n’a pas été une affaire individuelle. Jusque dans ses derniers instants, le jésuite a interagi avec ses catéchistes, a sollicité leur aide, leur a prodigué ses enseignements et a partagé ses souffrances avec eux. Dès sa mort, ces hommes ont commencé à raconter son histoire. Ainsi que le laissent entrevoir certains de leurs noms et de leurs déclarations dans le cadre de ces audiences, ils appartenaient à des castes et à des groupes différentsFootnote 36. Ils avaient en commun d’avoir été recrutés, souvent à un jeune âge, par Brito et tous avaient un temps accompagné le missionnaire dans son existence itinérante consacrée au prêche avant de s’établir et de s’affirmer comme chefs de leurs communautésFootnote 37. En effet, à la fin du xviie siècle, les laïcs recrutés comme catéchistes par la mission de Madurai jouaient un rôle essentiel dans le fonctionnement de la vie chrétienne au niveau local, quand bien même ils ne seraient autorisés à intégrer la Compagnie de Jésus qu’au cours du xixe siècleFootnote 38. En l’absence de clergé régulier sur le territoire de la mission de Madurai, ils avaient également peu d’occasions de travailler comme prêtres (bien qu’ils puissent être ordonnés, à Goa par exemple)Footnote 39.

Les laïcs étaient employés par la mission en tant que prêcheurs itinérants ou « catéchistes résidents » (vācal upatēciyar)Footnote 40. Ces derniers étaient chargés de gérer les communautés chrétiennes locales et participaient à l’administration des villages – rôles qu’ils ont exercés jusque dans le courant du xixe siècleFootnote 41. Ils remplissaient également des fonctions paraliturgiques et dirigeaient les célébrations dominicales lorsque les missionnaires n’étaient pas disponibles pour dire la messeFootnote 42. La mission dévolue aux laïcs est décrite dans une lettre de 1740 qu’un missionnaire envoie à son frère peu après son arrivée :

Chaque missionnaire choisit au moins huit catéchistes au sein de sa résidence, appartenant aux différents groupes de populations qui comptent des chrétiens. […] Deux d’entre eux doivent toujours suivre le missionnaire lorsqu’il se déplace d’une église à l’autre tous les deux ou trois mois, afin de le seconder dans sa mission auprès des chrétiens. Cela étant, lorsque les chrétiens viennent se confesser, ils font le signe de croix et sont assemblés dans l’église. Là, le missionnaire ou le catéchiste de cette résidence vérifie que chacun d’entre eux (personne n’est exclu) connaît la doctrine chrétienne et les prières. Les jours importants, tous les catéchistes d’une résidence se rassemblent, chacun amenant les chrétiens des groupes de population qui dépendent de lui, et ils interrogent ensemble les pénitents pour vérifier leur connaissance de la doctrine, et ainsi de suite. […] Une fois qu’ils ont préparé [les chrétiens], [les catéchistes] leur donnent une feuille de palme avec une évaluation écrite, qu’ils doivent ensuite remettre au missionnaire lorsqu’ils se confessent afin d’attester leur connaissance de la doctrine chrétienne, des vertus théologales et qu’ils sont prêts à se confesserFootnote 43.

Les missionnaires choisissaient donc des catéchistes appartenant aux différents « groupes de population » locaux (popolazioni dans le texte italien original, terme qui peut être un lusitanisme pour « villages » ou signifier « castes ») et leur confiaient une juridiction spirituelle sur ces derniers. La direction laïque et le travail des catéchistes résidents étaient donc pensés en termes de découpage à la fois géographique et statutaire. Le texte révèle une autre information précieuse : la procédure d’instruction et de confession décrite ici incluait l’évaluation écrite des fidèles, inscrite par les catéchistes sur une feuille de palme à l’intention du missionnaire. Cette technique d’écriture rudimentaire évoque une alphabétisation populaire et met en lumière le rôle culturel que jouaient les catéchistes en faisant office de modestes lettrés au sein de leurs communautés, un rôle qui transparaît également dans les enquêtes conduites en Inde sur la mort de Brito.

Parmi tous les catéchistes ayant témoigné lors de l’enquête de 1695, deux sont devenus particulièrement importants au fil du tempsFootnote 44. Le premier est Ciluvai Nāyakkaṉ, un catéchiste de Thanjavur qui connaissait Brito depuis neuf ans au moment de son exécution. Dans son témoignage, Ciluvai Nāyakkaṉ raconte donc qu’il fut arrêté avec Brito lors de son premier séjour en prison et frappé par un soldat avec une corde. L’un des coups, porté au côté droit de son visage, sortit le globe oculaire de son orbite, que Brito remit en place de ses propres mains puis bénit : il n’eut plus aucun trouble à son œil par la suite. Le récit de Ciluvai Nāyakkaṉ, qui fait état des premiers miracles attribués à Brito de son vivant, devait également être corroboré par des témoins. L’intéressé déclara que « Vēdappā et Kaṇakkappā, qui étaient tous deux de Mysore et employés comme catéchistes auprès de frère Brito, avaient été témoins de tout l’épisodeFootnote 45 ». Il s’agit d’un schéma récurrent dans les documents produits par la première enquête : les catéchistes qui font leur déposition ont tous été témoins directs du martyre de Brito, mais ils étaient aussi témoins des événements miraculeux impliquant chacun d’entre eux.

Mis à part sa relation étroite et miraculeuse avec Brito, deux autres raisons font de Ciluvai Nāyakkaṉ un personnage exceptionnel. Il faisait non seulement partie de ceux qui ont récupéré les restes du corps de Brito, mais il était surtout le père de Mariyatācaṉ, l’un des deux jeunes garçons emprisonnés avec le jésuite en 1693. Si Ciluvai Nāyakkaṉ n’a pas physiquement été en prison la seconde fois, il y a tout de même accompagné Brito indirectement, par l’intermédiaire de son fils. Cette impression de dédoublement est confirmée par le court témoignage de Mariyatācaṉ, enregistré en 1695, qui reprend, presque mot pour mot, celui de son père. Après avoir mentionné qu’il avait également connu Brito neuf ans avant sa mort, donc à l’âge de 8 ans (également l’âge auquel les écoliers commencent en général à étudier le tamoul et le sanskrit), l’adolescent relate à nouveau la blessure et la guérison de l’œil de son père, mais en dit peu sur sa propre expérience de captivité en compagnie de Brito.

Le miracle ayant permis de sauver l’œil de Ciluvai Nāyakkaṉ frappa les esprits de presque tous ceux qui témoignèrent en 1695 comme dans les enquêtes qui suivirent. Celui-ci était si étroitement lié à la renommée croissante de Ciluvai Nāyakkan et de son fils Mariyatācaṉ qu’à l’évocation de ces événements lors d’une audience à Rome en 1715, le missionnaire Pierre Martin confondit le père et le fils, déclarant que Brito avait remis en place l’œil du fils de l’un de ses catéchistes et que le garçon ne portait aucune trace de la grave blessure subie. Martin était certain de sa parfaite guérison, car le garçon était par la suite devenu l’un de ses propres catéchistes au Maravar et ne montrait aucune trace de cicatrice sur son visageFootnote 46. Peut-être la confusion était-elle le fait de Martin qui, évoquant son passé de missionnaire après son retour à Rome, associa le miracle au catéchiste qu’il connaissait le mieux. Il est aussi possible que cette version erronée – dans laquelle le jeune Mariyatācaṉ devient le protagoniste de ce premier miracle et le véritable récipiendaire de l’héritage spirituel de Brito – soit celle qui ait circulé à l’époque.

Lignées de catéchistes

Le rôle central progressivement acquis par Mariyatācaṉ apparaît clairement dans des sources plus tardives et, en particulier, dans les procès-verbaux de la deuxième enquête menée à Mylapore en 1726, soit une trentaine d’années après la mort de Brito, à l’initiative de l’évêque local João PinheiroFootnote 47. Contrairement à celle de 1695, centrée sur le martyre de Brito, l’enquête de 1726 portait sur la renommée du jésuite et les miracles opérés par son intercession, une preuve cruciale de sainteté. Cette nouvelle orientation explique la composition du groupe des témoins : à la différence des précédentes enquêtes, ceux-ci devaient tous avoir été bénéficiaires des miracles de Brito ou y avoir assisté, et un nombre étonnant de femmes figurait parmi eux. Il est possible qu’au xviiie siècle, comme cela est le cas aujourd’hui, les miracles et les possessions aient été des moyens pour les femmes de négocier leur position vis-à-vis de l’autorité familiale et religieuseFootnote 48. En outre, beaucoup des hommes qui avaient accompagné Brito lors de son séjour en prison et qui avaient témoigné en 1695 étaient alors morts ou désormais trop vieux pour se déplacer. Parmi les plus anciens fidèles de Brito, le seul encore en vie à cette époque, Kastūri Paṇikkaṉ, ne témoigna pas en 1726 mais fut employé comme scribe (scriptor deputatus) pour les besoins de l’enquête – détail mineur peut-être, mais qui montre à quel point son nom et son rôle sont restés liés à la sainteté de Brito, et donc à la vie de la mission, au cours des annéesFootnote 49. Le fait qu’il puisse remplir la fonction de scriptor indique également que Kastūri Paṇikkaṉ maîtrisait les deux langues de l’enquête, le tamoul et le portugais, compétence qui lui a permis de faire accéder ses propres souvenirs au statut de mémoire collective.

Si Ciluvai Nāyakkaṉ, décédé à cette date, ne figurait pas non plus sur la liste des témoins de 1726, son fils Mariyatācaṉ était alors un homme mûr employé comme catéchiste dans le Maravar. Bien que son emprisonnement avec Brito soit plus éloigné dans le temps, son témoignage de 1726 est beaucoup plus long et détaillé que celui qu’il avait produit en 1695, alors qu’il n’était qu’un adolescentFootnote 50. Trente ans plus tard, il s’était approprié l’histoire de Brito et pouvait s’en prévaloir de différentes manières, notamment en raison de sa profession et du prestige social acquis depuis la première enquête. Mariyatācaṉ commence ainsi son témoignage de 1726 en déclarant qu’il est catéchiste comme son père et qu’il a « les moyens de vivre de manière honorableFootnote 51 ». Et de continuer en affirmant pouvoir parler de Brito parce qu’il « avait vu [le jésuite], avait eu affaire à lui, l’avait connu et avait été à son serviceFootnote 52 ». La facilité avec laquelle Mariyatācaṉ incarne et mobilise son rôle de compagnon et de témoin de la vie et de la mort de Brito contraste avec son bref premier témoignage.

Dans son second témoignage, Mariyatācaṉ fait également sienne l’histoire de son père, qu’il relate de manière plus détaillée, évoquant à la fois son rôle lors du premier séjour de Brito en prison en 1686 et le miracle opéré pour sauver son œil. Il décrit ainsi la manière dont Brito « écartant la paupière [de son père], a remis en place l’œil qui était sorti et qui pendait, en faisant le signe de croixFootnote 53 ». Détail important, il place ces épisodes avant l’histoire de son propre emprisonnement, qu’il relate dans les mêmes termes que la première fois. Mariyatācaṉ fait ainsi de la captivité de son père une préfiguration de son parcours, qui comporte également un séjour en prison aux côtés de Brito. Par ailleurs, en 1726, il était lui-même devenu le bénéficiaire d’un miracle d’une grande importance. Si Brito avait sauvé l’œil de Ciluvai Nāyakkaṉ de son vivant, Mariayatācaṉ fut l’un des premiers fidèles à avoir bénéficié d’un miracle attribuable à l’intercession posthume de Brito. Cinq mois après le martyre, le jeune homme, affligé d’une grave tumeur de la peau qui le faisait beaucoup souffrir et le défigurait complètement, fut sauvé grâce aux prières adressées par son père à son ancien maître Brito.

Bien qu’il n’ait pas été mentionné dans l’enquête de 1695, le miracle de Mariyatācaṉ devint rapidement l’une des pierres angulaires du processus de canonisation de Brito. Aujourd’hui encore, l’une des principales vertus attribuées au sable rouge d’Oriyur est de pouvoir, frotté sur le corps, guérir les maladies de peau. En 1726, le miracle était déjà l’un des sujets essentiels d’interrogation lors des audiences : tous les témoins devaient attester qu’ils en avaient entendu parler et Mariyatācaṉ lui-même compléta l’histoireFootnote 54. La nuit où son père avait demandé à Brito de le soigner, lui-même avait eu une vision de la Sainte Vierge avec le vénérable Père Brito à ses côtés. Ce dernier l’avait appelé par son nom et, tout en faisant le signe de croix sur lui, l’avait déclaré guériFootnote 55. La capacité de perception est une métaphore clef qui traverse le témoignage de Mariyatācaṉ et laisse entendre que la guérison miraculeuse est à la fois réfléchie (elle s’inscrit dans une relation à l’autre ; ici, le pouvoir de Brito se réfléchit sur l’adolescent) et réflexive (l’adolescent reconfigure sa relation à lui-même). Ciluvai Nāyakkaṉ, qui avait foi en le pouvoir de Brito, a été guéri en étant le témoin oculaire – si l’on ose dire – de sa propre guérison. Pour son fils Mariyatācaṉ, le rapport au martyr n’est pas aussi direct, puisqu’il doit sa guérison au truchement de son père qui a intercédé par ses prières auprès du jésuite martyrisé ; cependant, lui-même a été interpellé en rêve par Brito, qui le reconnaît donc également comme digne de foi – et de guérison. Par cette construction complexe, Mariyatācaṉ témoigne non seulement du martyre et des miracles de Brito, mais aussi du rôle de témoin de son père et, partant, du sien en tant qu’héritier du charisme spirituel et social des deux hommes.

D’autres raisons rendent le témoignage de Mariyatācaṉ en 1726 remarquable. Tout d’abord, il a été fait et consigné en portugais. Hormis quelques déclarations des catéchistes dans cette langue, tous les autres témoignages de cette enquête ont été faits et enregistrés en tamoul avant d’être traduits en latin. De plus, parmi 38 témoins laïcs, seuls 4 d’entre eux ont signé leur déposition de leur nom en tamoul, quand les autres, ne sachant pas écrire, se sont contentés d’une croix ou d’un autre symbole ; Mariyatācaṉ figure parmi les premiersFootnote 56. Tout cela atteste une éducation auprès des missionnaires. Outre son travail aux côtés de Brito, il pourrait avoir passé du temps dans les collèges jésuites de Manapad ou de Nagapattinam, sur la côte des pêcheurs de perles. À son retour au sein de la mission de Madurai, il travailla comme catéchiste pour les convertis tamouls et comme interprète, puisque le portugais était encore une lingua franca le long de la côte de Coromandel au xviiie siècleFootnote 57. En d’autres termes, le témoignage de Mariyatācaṉ révèle non seulement sa proximité avec les missionnaires, mais aussi son bagage culturel et social le prédisposant – malgré son âge relativement jeune – à tenir un rôle d’autorité parmi les convertis catholiques locaux.

Comment Mariyatācaṉ en est-il arrivé là ? Sa trajectoire s’explique principalement par le lien qu’il a entretenu avec l’histoire de son père. Lorsqu’il racontait sa vie, marquée par sa relation étroite avec Brito, Mariyatācaṉ éprouvait également le besoin de narrer celle de son père et ses expériences très similaires. Son récit laisse donc entendre que le fait d’être catéchiste, témoin du martyre de Brito et bénéficiaire de ses miracles était en quelque sorte une affaire de famille, ce qui leur conférait l’autorité spirituelle et sociale nécessaire pour assumer le rôle d’intermédiaire entre les convertis locaux et les institutions de la mission et de l’Église dans son ensemble. Nous allons le voir, les missionnaires ont utilisé le martyre de Brito pour montrer que les œuvres de Dieu en Inde du Sud s’intégraient dans l’Église universelle, constituée des nouveaux saints qui apparaissaient partout où les Jésuites portaient son message. En s’inscrivant dans une généalogie spirituelle, Ciluvai Nāyakkaṉ et Mariyatācaṉ créèrent un lien entre cette dimension globale et l’autorité locale dont ils jouissaient en tant que catéchistes, ce qui leur permit de penser leurs propres vies sur les deux échelles et de négocier entre les deux.

Martyre et témoignage

Les documents analysés jusqu’à maintenant apportent un éclairage sur les différentes manières dont la mort de Brito a été appréhendée au niveau local. Ceux-ci sont pourtant conservés à Rome, à des milliers de kilomètres de l’Inde du Sud, les manuscrits originaux aux Archives apostoliques du Vatican (parmi les documents relatifs à la Congrégation des rites) et des copies à l’Archivum romanum societatis Iesu (ARSI). Comment ces documents, et les récits polyphoniques qu’ils contiennent, ont-ils pu avoir un écho dans les villages isolés et brûlés par le soleil du Tamil Nadu, où les personnages de cette histoire vivaient et travaillaient ? Au-delà de leur intervention en tant que témoins, qu’ont saisie les catéchistes locaux de la mort de Brito et, au-delà, du processus de canonisation et des textes qu’il a produits ? En d’autres termes, quel effet les enquêtes sur le martyre de Brito ont-elles produit localement ? L’analyse des œuvres en prose tamoule du missionnaire jésuite Costanzo Giuseppe Beschi (1680-1747), également connu sous le titre de Vīramāmuṉivar (« Grand héros-ascète »), apporte quelques éléments de réponse. Elle montre ainsi que les jésuites ont cherché à contrôler la circulation locale de l’histoire de Brito de la même manière qu’ils avaient contrôlé sa diffusion mondiale.

Il est important de préciser que Beschi avait été désigné comme traducteur et interprète pour l’enquête de 1726 et qu’il a à ce titre traduit tous les témoignages tamouls en latin. En effet, dans la lettre accompagnant les documents relatifs à l’enquête, il explique que si une transcription des témoignages originaux lui avait été demandée, la décision fut prise de les assortir systématiquement d’une traduction latine : la plupart des témoins ne parlaient en effet que le tamoul (à l’exception de Mariyatācaṉ et de quelques autres) et il était difficile, voire impossible de trouver à Rome quelqu’un capable de le comprendre ou même de le lire. Beschi ajoute être certain de la bonne foi des témoins, des gens simples terrifiés à l’idée du parjureFootnote 58.

Grâce à son travail de traducteur, Beschi avait une connaissance approfondie de l’histoire du martyre de Brito telle que racontée par ses témoins. Il l’évoque dans son Vētaviḷakkam (« Explication de [la vraie] religion »), un traité composé aux alentours de 1730 qui définit les caractéristiques de la véritable Église catholique à l’intention d’un public tamoul, principalement constitué de catéchistes, et vise à contrer les idées protestantes qui commencent à circuler depuis l’installation d’une mission luthérienne dans la ville côtière de Tranquebar (ou Tharangambadi) (fig. 6)Footnote 59. Pour prouver l’existence des saints et des miracles, Beschi ne pouvait trouver meilleurs exemples que les miracles attribuables à l’intercession de Brito qui se produisaient alors à Oriyur et dans toute la mission de Madurai. Cette courte section du traité s’ouvre sur une analogie entre logique du martyre et logique du témoignage :

De nombreuses personnes dans le monde ont sacrifié leur vie pour montrer [eṇpikka] que notre religion est la vraie religion et sont devenues des martyrs [cāṭci]. Mais il n’est pas nécessaire de chercher ces témoins [cāṭci] dans d’autres pays, car ici et maintenant [iṅkētāṉe] dans ce pays, le Seigneur a choisi Aruḷāṉanta swami pour vous en apporter la preuve [eṇpikkum poruṭṭāka]Footnote 60.

Ce passage s’articule autour du mot tamoul pour « martyr », cāṭci, que Beschi utilise précisément parce qu’il signifie « témoin oculaire ». Au cours des siècles, cet usage chrétien du mot cāṭci a influencé son sens de manière plus large, au moins dans certains contextes. Il a ainsi désigné les soldats qui mouraient en « martyrs tamouls » pendant la guerre civile du Sri Lanka (1983-2009)Footnote 61. Néanmoins, à la différence de ses équivalents en anglais et dans la plupart des langues européennes, cāṭci conserve comme sens principal en tamoul sa connotation étymologique de témoin. Au xviiie siècle, il s’agissait probablement de la seule signification que les lecteurs du Vētaviḷakkam rattachaient naturellement à ce terme. Dans cet extrait, Beschi propose donc à ses lecteurs une brève théorie du martyre comme témoignage. Il associe le fait d’être un cāṭci avec l’acte de montrer (enpikka) la vraie foi, c’est-à-dire de la reconnaître et d’en témoigner en allant jusqu’à mourir pour elle. Après ce court précis de théologie (les deux premières lignes du chapitre), Beschi opère un changement d’échelle radical et passe du vaste monde (ulakam eṅkum), dans lequel ces témoignages ont eu lieu et continuent d’avoir lieu, à l’échelle locale, le « ici et maintenant » (iṅkētāṉe) qui correspond au pays tamoul. Pour Beschi, Brito est la preuve locale de la vérité de ce témoignage (ou, en tant que cāṭci, le témoin local de cette vérité).

Figure 6 Figure 6 – Manuscrit du Vētaviḷakkam (composé aux alentours de 1730)

Dans les paragraphes qui suivent, Beschi passe rapidement sur la vie et la mort de Brito, puis donne plusieurs exemples des miracles opérés par son intercession. Les miracles sont d’ailleurs l’objet principal de cette section. Le texte fourmille de détails et contient de nombreux récits de vie des fidèles catholiques guéris de différentes manières par la sainte intervention du jésuite. La trame de ces histoires se révèle légèrement différente de l’habituelle prose raffinée de Beschi, qui emploie ici un style plus familier, simple sur le plan syntaxique et particulièrement vivant. C’est qu’il ne s’exprime pas avec ses propres mots mais prête sa voix, tel un ventriloque, aux témoignages qu’il a recueillis lors des audiences de 1726. Une comparaison avec les dépositions originales en tamoul montre que les récits vivants d’Aṭippaṉ, de Pūvāy et des autres femmes et hommes guéris par Brito sont repris mot pour mot, avec très peu d’écartFootnote 62. Au-delà d’un intérêt purement linguistique, le point essentiel de l’exercice est qu’il a permis aux témoins des enquêtes sur Brito d’avoir accès à leurs propres mots, en les lisant ou en les entendant prononcés lors de lectures à voix haute du texte de Beschi. Quatre ans à peine après l’enquête, leurs dépositions avaient trouvé leur place dans un texte en tamoul écrit par un missionnaire – et pas des moindres puisqu’il s’agissait d’un écrit visant à délimiter la vraie foi et la véritable Église.

Par le truchement de son écriture en langue tamoule pour un public local, Beschi a conféré à ces voix l’autorité de composer la narration de leur nouvelle foi catholique et de l’Église, au sein de laquelle il les a inscrites. Ce faisant, les catéchistes de Brito et les autres témoins de l’enquête de 1726 deviennent le public de leurs propres récits de vie. La lecture, individuelle ou collective, du Vētaviḷakkam (et donc de leurs propres mots), ou le simple écho de ce texte, a pu permettre une prise de conscience de leur propre rôle dans l’expansion de la mission et de l’Église catholique à travers le monde. Le Vētaviḷakkam fut largement diffusé, notamment comme manuel de référence dans le contexte des débats animés entre catéchistes catholiques et protestants qui eurent lieu dans le royaume de Thanjavur dans les années 1730 et 1740Footnote 63. Ainsi, même s’il s’est, d’une certaine manière, approprié leurs paroles, Beschi a également permis à ses hommes et à ses femmes de se découvrir sous un jour plus militant. Le fait que le missionnaire se soit senti autorisé à agir de la sorte s’explique une fois de plus par la logique du témoignage. Beschi déclare s’être adressé directement aux personnes guéries et avoir pu vérifier les miracles qu’il relate dans le Vētaviḷakkam :

J’ai rencontré les personnes guéries par les miracles que j’ai évoqués et leur ai parlé en personne. Dans l’intention de vérifier ce qu’ils m’avaient dit, j’ai convoqué une par une de nombreuses personnes qui se trouvaient également là en tant que témoins [cāṭci], je les ai interrogées de manière approfondie et, à dire vrai, puisque chacun […] a précisé quand, où et comment ces miracles s’étaient produits sans aucune discordance dans leurs récits, je les ai écoutés faire leurs témoignages [cāṭci] concordantsFootnote 64.

Dans ce passage, qui conclut la section du Vētaviḷakkam consacrée à Brito, Beschi revendique le rôle de témoin de la véracité de ces miracles – « j’ai vu de mes propres yeux [nāmē kaṇṭu] leurs effets ». La langue tamoule le contraint cependant à reconnaître que les femmes et les hommes qui lui ont confié leurs histoires étaient également des témoins (cāṭci), puisqu’il les a convoqués dans le cadre juridique de l’enquête de 1726. La puissance étymologique du terme cāṭci en tamoul provoque un « court-circuit » linguistique, et le chapitre du Vētaviḷakkam qui s’ouvrait en définissant Brito comme un cāṭci (un témoin du fait de son martyre) se termine en qualifiant de la même façon ceux qui ont assisté à sa mort et à ses miracles (cāṭci dans le sens de témoins dans une enquête). Dès lors, une question sous-jacente émerge : dans quelle mesure la nouvelle acception chrétienne du terme s’appliquait-elle également à ces hommes et à ces femmes ? En d’autres termes, sont-ils restés de simples témoins dans une procédure juridique ou leurs actions ont-elles pris les dimensions d’un martyre symbolique ? Dans ce cas, ont-ils pu se l’approprier et en faire une source d’autorité spirituelle et sociale ? Paradoxalement, c’est dans une œuvre moins connue, une vie de Brito en tamoul, que l’on peut trouver des éléments de réponses aux questions soulevées par le texte de Beschi.

Témoignage et écriture (de soi)

La BNF conserve un manuscrit sur ôles contenant une courte vie en prose de Brito sur 44 feuillets, rédigée en tamoul et dans laquelle le jésuite est désigné par son nom tamoul, Aruḷāṉanta swami (fig. 7)Footnote 65. Il s’agit de la seule copie du texte que nous connaissons, bien que Julien Vinson affirme dans le catalogue de la collection tamoule de la BNF que cette vie a été imprimée à Pondichéry au xixe siècle. Le linguiste commet quelques erreurs dans ce catalogue et nous n’avons pas trouvé trace d’une version imprimée de ce manuscrit. Pourtant, le texte a dû circuler au xixe siècle et au début du xxe siècle, sous forme manuscrite ou imprimée, car il semble être la source de la plupart des détails concernant les déplacements de Brito dans la région tamoule entre 1683 et 1693. Pour sa vie de Brito, Saulière disposait ainsi d’informations qui – autant que nous puissions en juger – ne se trouvent que dans ce texteFootnote 66. Cette vie de Brito est exceptionnelle car son auteur a travaillé aux côtés du jésuite durant son second séjour dans le Maravar, a été informé de ses déplacements quotidiens et l’a accompagné lors de son dernier séjour en prison.

Figure 7 Figure 7 – Manuscrit de la vie de João de Brito par son disciple Aruḷāṉantaṉ

La préface désigne en effet l’auteur comme étant Aruḷāṉantaṉ, l’un des deux adolescents (l’autre étant Mariyatācaṉ) arrêtés avec Brito en 1693. Aruḷāṉantaṉ a témoigné lors de l’enquête de 1695. Âgé de 15 ans à l’époque, il avait – comme Mariyatācaṉ – accompagné Brito depuis l’âge de 8 ans. Alors que sa déposition, relativement courte, s’attardait surtout sur la description des vertus curatives du sable rouge d’Oriyur et ne permettait guère de comprendre sa relation avec Brito et son rôle dans les événements qui ont abouti à sa mort, ces informations sont présentées de manière plus claire dans la préface de la vie de Brito, qu’Aruḷāṉantaṉ a dû rédiger quelque temps après son témoignage et dans laquelle il reprend le récit à la première personne.

Cette préface, qui mérite d’être citée in extenso, présente une mise en abyme de la vie de Brito. Si les événements de sa vie sont brièvement rappelés, le cadre d’exposition est très différent. La vie du saint est ainsi insérée dans et présentée en relation avec celle d’un autre personnage, le témoin et narrateur Aruḷāṉantaṉ, qui devient à la fois sujet et objet de l’énonciation :

Que Jésus et Marie nous protègent ! Moi, Aruḷāṉantaṉ, j’écrirai l’histoire du martyr et grand sage Aruḷāṉanta swami, qui a été arrêté et a souffert dans le district du Maravar au nom de la divine révélation, pour que Dieu puisse être loué et que tous les chrétiens, qui sont l’Église, le sachent et soient ainsi renforcés dans leur foi, leur dévotion et leur confiance en Dieu. Le huitième jour après ma naissance, ce grand maître qui est devenu un martyr m’a donné mon nom, m’a baptisé et, se considérant comme un vrai père, m’a élevé et éduqué. Puis, à cause de l’Église, il a quitté le royaume d’Inde et a voyagé à bord d’un bateau pour rentrer dans son pays, dans la ville de Rome. À peine avait-il, avec l’aide de Dieu, regagné le royaume d’Inde que mon père, qui lui était reconnaissant, m’appela et m’ordonna de l’accompagner pour lui laver les pieds [c’est-à-dire être à son service]. À partir de ce jour, j’ai été à ses pieds, je l’ai aidé à dire la messe, j’ai fait tous les autres services qu’il m’ordonnait de faire et je ne l’ai plus quitté. Alors que la vie s’écoulait ainsi dans le pays de Maravar, Rakunāta Tēvaṉ, le souverain de ce pays, l’a arrêté pour hostilité à l’égard de la révélation divine. J’ai moi aussi été arrêté à cette occasion et, me trouvant en prison à ses côtés, j’ai connu la même détresse, la même affliction, la même humiliation, les mêmes coups et autres souffrances terribles que lui, et j’ai été [iruntēṉ] avec lui à la fin alors que sa conduite [carittiram] était véritablement celle d’un martyr [vētacāṭci, littéralement, « témoin de la foi »]. J’ai vu [kaṇṭēṉ] cela de mes propres yeux, et j’ai su [aṟintēṉ]. Maintenant, je vais écrire [eḻutikiṟēṉ] ce qui s’est passé [carittiram] au nom de la louange de DieuFootnote 67.

Nous avons ici affaire à une version plus courte de la vie et du martyre de Brito, ou Aruḷāṉanta swami, racontée au prisme de la vie du jeune Aruḷāṉantaṉ. Deux aspects sont essentiels pour comprendre ce passage et les dynamiques spirituelles et sociales complexes qu’il reflète. Tout d’abord, Aruḷāṉantaṉ souligne son lien filial avec Brito, qui se considérait « comme un vrai père » pour son jeune disciple. Aruḷāṉantaṉ fait allusion à sa généalogie spirituelle de différentes façons. Brito est celui qui l’a baptisé, lui ouvrant dès lors accès à la vie éternelle et lui transmettant son charisme. Il porte d’ailleurs un nom de baptême identique à celui de Brito en tamoul : afin de distinguer les deux, Aruḷāṉantaṉ désigne l’adolescent, tandis qu’« Aruḷāṉanta swami (cuvāmi) » se réfère à Brito. Cette homonymie est à la fois frappante et intentionnelle – c’était une façon bien connue de manifester une filiation spirituelle en Inde du Sud, y compris en contexte missionnaire. Un siècle plus tôt, lorsque le disciple le plus proche de Roberto de Nobili, fondateur de la mission de Madurai, fut contraint d’abandonner sa ville natale de Madurai pour s’installer à Goa, il changea également son nom. Appelé Śivadharma à la naissance avant de recevoir le nom de baptême de Bonifacio, il prit le surnom de Nobre (= Nobili) après son départ, revendiquant ainsi une filiation spirituelle avec son premier maîtreFootnote 68.

Le deuxième élément marquant est la façon dont Aruḷāṉantaṉ entremêle, à la toute fin du passage, le fait de partager le martyre de Brito, d’en être le témoin, d’en avoir une connaissance intime et de le relater par écrit : cette intrication se noue dans une séquence de trois verbes à la première personne et au passé qui culmine avec un verbe au présent. Aruḷāṉantaṉ déclare tout d’abord qu’il était avec lui (aṉupavittu […] kūṭa iruntēṉ) quand il a eu une conduite (carittiram) véritablement digne de celle d’un témoin de la foi (vētacāṭci). Les termes employés dans cette phrase pour « comportement » et « témoin de la foi » sont d’une grande richesse sémantique : carittiram désigne littéralement « le déroulement d’une série d’événements », souvent employé en référence à un récit de vie. Ce terme peut également renvoyer à la nature (ou à la qualité) d’une personne, dans la mesure où elle se reflète dans son comportement, comme dans le cas d’un martyr. Traduit ici par « témoin de la foi », vētacāṭci a aussi de multiples résonances : ce nom composé associe au terme cāṭci, dont nous avons déjà discuté, le mot vēta[m], lui-même fort polysémique : désignant à l’origine les écritures hindoues et l’autorité des Écritures comme moyen de connaissance, il peut également se référer – à partir du xviiie siècle et dans un contexte chrétien – à la Bible et, de manière plus générale, à la révélation et à la foi chrétienne. Combinés, ces deux mots évoquent à la fois le martyre en tant que témoignage de la vérité de la révélation catholique (vētacāṭci) et une trajectoire individuelle (carittiram).

Non content d’être avec Brito au moment de son martyre, Aruḷāṉantaṉ affirme avoir tout vu (kaṇṭēṉ) de ses propres yeux, ce qui lui permet de revendiquer le statut de témoin oculaire et de dire « j’ai su » (aṟintēṉ), un autre verbe au passé et à la première personne. Parce qu’il a vu, Aruḷāṉantaṉ a su et continue de savoir, puisque la connaissance a un effet transformatif, qui s’étend au-delà du moment où elle a été acquise pour envahir le présent. Et, de fait, le dernier verbe de la séquence est au présent : Aruḷāṉantaṉ a été témoin du martyre de Brito dans le passé et sait d’une façon qui l’a transformé à jamais, ce qui se traduit dans le présent par l’acte d’écrire. Je suis sur le point d’écrire, dit-il, ce que j’ai partagé, ce dont j’ai été témoin et ce que j’ai su, et c’est précisément pour ces raisons que je vais le faire. L’écriture est l’aboutissement d’une chaîne d’événements et de transformations que le statut de témoin d’Aruḷāṉantaṉ rend à la fois possible et nécessaire. Ce texte, qui sort du cadre des enquêtes officielles, permet donc de comprendre comment le fait d’avoir assisté à la mort de Brito a pu signifier partager son martyre et conférer à ses disciples tamouls une investiture spirituelle, une connaissance transformative et une autorité suffisante pour écrire leur propre histoire dans le cadre de filiations religieuses qui avaient aussi une portée sociale.

Examinons maintenant plus précisément le texte écrit par Aruḷāṉantaṉ dans la mesure où celle-ci éclaire la façon dont la vie de Brito a été le lieu d’émergence de l’autorité spirituelle et sociale des catéchistes. Écrit dans une prose familière, un registre rarement utilisé à l’époque, ce récit ne rentre pas dans les canons de la « littérature » tamoule. La narration conserve ainsi des accents de témoignage oral et se déroule dans le même cadre chronologique et géographique que les témoignages des catéchistes de Brito recueillis lors des enquêtes de canonisation. Le texte ne consacre que deux phrases à la naissance et à la vie de Brito au Portugal et ne fait aucune allusion au temps qu’il a passé à Goa ou ailleurs en Inde. Lorsqu’il évoque le voyage en bateau de Brito vers l’Inde, c’est en pays tamoul qu’il arrive, dans la mission de Madurai, et c’est là que toute l’histoire, décrite avec force de détails, se déroule. Racontée du point de vue de quelqu’un qui a connu Brito personnellement, elle commence au moment où le témoin rencontre Brito (ou qu’il en entend parler pour la première fois). Par ailleurs, le texte recense avec précision les déplacements de Brito lors de son second séjour dans le Maravar, juste avant son martyre, dessinant ainsi les contours d’une géographie sacrée, encore prégnante aujourd’hui, des lieux qui lui sont liésFootnote 69.

Le manuscrit utilise le discours direct pour rapporter aussi bien les conversations de Brito avec ses amis et ses ennemis que celles entre ses catéchistes et les personnes qu’ils ont guéries et converties. C’est le cas du dialogue entre le catéchiste dépêché par Brito et Taṭiya Tēvaṉ, le jeune prince souhaitant être guéri par le pouvoir du « gourou » chrétien – ainsi que Brito est désigné tout au long du texteFootnote 70. L’auteur souligne que le prince était lié à Rakunāta Tēvaṉ, sans préciser pourtant ce que nous savons par d’autres sources, à savoir qu’il avait également été un prétendant au trône de Ramnad. Aruḷāṉantaṉ se contente de nous apprendre que Taṭiya Tēvaṉ s’est converti au christianisme après sa guérison et qu’il n’a gardé que sa première épouse, renonçant à toutes les autres, parmi lesquelles l’une des nièces de Rakunāta Tēvaṉ : son oncle en fut, on le sait, fort courroucé. En montrant le rôle actif des catéchistes dans cette conversion, la vie de Brito écrite par Aruḷāṉantaṉ place indirectement ces hommes au centre des événements politiques et sociaux du royaume de Ramnad.

Cette version de l’histoire met également en lumière la façon dont la vie de Brito et surtout son martyre croisent les logiques de pouvoir et d’autorité à l’échelle locale. Si, à l’instar de Laines, Aruḷāṉantaṉ décrit la décapitation de Brito et la mutilation de son corps le jour suivant, le texte tamoul explique les raisons d’un tel traitement sanguinaire, contrairement au récit du missionnaire. On lit ainsi que Brito :

[…] a offert sa tête au Maṟavaṉ [Rakunāta Tēvaṉ], et atteint avec grâce la libération en tant que martyr [vētacāṭci]. Le jour suivant, on a coupé ses deux mains et ses deux pieds. Si vous voulez connaître la raison, les gens pensaient qu’un tel sorcier [pillikkāṟaṉ] pouvait ressusciter et s’envoler et c’est pourquoi ils lui ont coupé les mains et les piedsFootnote 71.

Il apparaît clairement que les habitants du Maravar voyaient le martyr comme une figure puissante capable d’accomplir des actes magiques (ou des miracles, selon la logique de Brito). Le terme utilisé pour qualifier Brito de sorcier, pillikkāṟaṉ, littéralement « celui qui réalise des tours de magie [pilli] », est employé à la même époque par les chrétiens pour désigner les tours joués par les divinités des villages locaux via leurs intermédiaires. Dans une ballade composée par un auteur tamoul anonyme de confession chrétienne, ces dieux sont identifiés comme la source des « mensonges de la sorcellerie » (pilli vañcaṉai)Footnote 72.

Ce chevauchement sémantique suggère qu’aux yeux des villageois ordinaires, habitués au commerce avec les esprits et leurs pouvoirs, la chrétienté ne fonctionnait de façon guère différente des autres systèmes de croyance. Ainsi, alors que les missionnaires s’efforçaient de mettre en avant les similitudes entre leur rôle et celui des érudits et des chefs religieux locaux (d’où leur revendication du titre de paṇṭāram), les populations autochtones développaient leurs propres analogiesFootnote 73. La croyance locale en l’efficacité de la prière catholique et en la capacité de guérison des prêtres catholiques a déjà été soulignée par des historiens et des anthropologuesFootnote 74. Les sources suggèrent que cette même croyance s’attachait aux catéchistes et autres laïcs attachés à la mission : ce transfert de sacralité était souvent assuré par un missionnaire dans un cadre particulièrement ritualisé, comme les performances publiques des Exercices spirituels d’Ignace de Loyola qui commencèrent en 1718Footnote 75. Dans le cas de Brito, son pouvoir s’est enraciné au niveau local et les fidèles chrétiens ont pu l’utiliser même après son martyre.

Grâce aux efforts de ses confrères jésuites, Brito fut déclaré vénérable peu après sa mort. La campagne pour sa canonisation fut interrompue au moment de la controverse des rites malabares et de la suppression de la Compagnie en 1773, mais reprit dès son rétablissement en 1814. Brito fut déclaré bienheureux en 1853 et saint en 1947. Son martyre et sa sainteté sont aujourd’hui reconnus par les fidèles indiens comme par l’Église catholique. L’histoire de son culte officiel, faite de continuités et de ruptures, constitue un prisme intéressant pour observer l’histoire de l’Église en Inde, ses conflits internes et ses liens avec l’Église mondialeFootnote 76. Le martyre, la béatification et la canonisation de Brito correspondent à des moments de transition politique. À la fin du xviie siècle, comme nous l’avons vu, son martyre fut étroitement lié au contexte politique du royaume émergent de Ramnad et à ses relations avec la mission. Au début du xviiie siècle, sa béatification constitua un enjeu stratégique dans le contexte de la controverse des rites malabares. Au xixe siècle, son culte fut promu par les jésuites de retour au Tamil Nadu en 1836, après le rétablissement de la Compagnie : ils cherchaient à mobiliser la figure de Brito comme symbole de leur rôle historique dans la région afin de se démarquer des prêtres de Goa qui les avaient remplacés après la dissolution. Au xxe siècle, la canonisation de Brito, l’année même de l’indépendance de l’Inde, semble correspondre à une tentative de l’Église catholique pour marquer symboliquement sa longue histoire dans le pays et pour rappeler aux fidèles que du sang catholique avait été versé sur le sous-continent bien avant la conquête coloniale britannique.

Pourtant, aucun de ces moments « officiels » ne suffit à expliquer pourquoi le culte de Brito prit une telle importance à Oriyur. Les pistes suivies dans cet article montrent que si son pouvoir a été exploité de manière si efficace à l’échelle locale, c’est grâce aux catéchistes et aux laïcs qui ont été témoins de son martyre et en ont fait un moment d’investiture spirituelle et sociale. L’importance de Brito dans les généalogies locales d’autorité sociale est encore manifeste lorsque le jésuite S. Ponnad se rend dans la région du Maravar en 1960 pour un travail ethnographique. Ponnad constate que les familles les plus importantes de la région, qu’elles soient catholiques ou hindoues, font remonter leurs généalogies à des ancêtres convertis par BritoFootnote 77. Lors d’un entretien avec un descendant de la première femme convertie par le jésuite à Muni (le village où le missionnaire travaillait le jour de son arrestation), il constate que ce dernier est resté fidèle à la foi catholique de son aïeule et qu’il souhaite être inhumé à l’endroit même où Brito avait prêché et vécu.

Ponnad rencontre également Cokku Tēvaṉ, un descendant du « petit roi » (pāḷayakkārar) de la région où se situe Muni, dont les ancêtres avaient accueilli Brito avant d’être convertis par le jésuite. Sa famille s’était plus tard reconvertie à l’hindouisme et était toujours de confession hindoue dans les années 1960, au moment de l’enquête. À première vue, ce revirement pourrait suggérer que le catholicisme a cessé, après la mort de Brito, d’être une religion attractive aux yeux de la classe dirigeante du Maravar. Pourtant, lorsqu’il fait la liste de ses ancêtres, Cokku Tēvaṉ commence tout de même par Brito : la filiation spirituelle avec le saint reste une source d’autorité pour sa famille, comme pour les catéchistes que nous avons évoqués dans cet article. Cette généalogie d’autorité et les dimensions anthropologiques qui entourent le sang qui a été versé constituent des clefs importantes pour comprendre pourquoi les hindous locaux continuent à reconnaître les pouvoirs magiques attribués à Brito, notamment ceux liés à la guérisonFootnote 78. Des références disséminées dans les sources suggèrent également que, pour les catholiques tamouls, être témoin est devenu une manière de s’approprier les pouvoirs du martyr tout en s’inscrivant dans une histoire globale du salut. Au fil du temps, ce qui n’était qu’une tactique improvisée s’est mué en une stratégie bien rodée.

Lors des interrogatoires, les catéchistes de Brito ont dû réagir sur le vif et dans des conditions d’intense pression, en utilisant tous les leviers disponibles pour revendiquer leur position aux côtés de leur maître : non seulement leur statut social, leur caste et leur éducation, mais aussi des conceptions de l’identité chrétienne centrées sur la dévotion, l’abnégation et l’auto-sanctification – autant de valeurs incorporées par ces laïcs qui avaient travaillé en étroite collaboration avec les missionnairesFootnote 79. Ils considéraient probablement Brito comme un puissant gourou spirituel dont le charisme leur avait été transmis par le biais de leur relation maître-disciple. Cette forme ancienne et importante de transmission en Inde du Sud s’est enrichie de nouvelles significations au début de la période moderne : ces généalogies, en tant que réseaux spirituels, intellectuels et affectifs, permettaient désormais à certains acteurs brahmaniques, par exemple, de se définir en tant qu’individus dotés d’une subjectivité propreFootnote 80. Au xviie siècle, d’autres généalogies ont commencé à se développer, avec l’arrivée de groupes, non brahmaniques, sur la scène religieuse, intellectuelle et politique. Ainsi, les lignées de Vēḷāḷar dans les monastères (maṭam) nouvellement établis du delta du Kaveri ont probablement offert un exemple convaincant à des générations de chrétiens ambitionnant de devenir des gourous, à l’instar de MariyatācaṉFootnote 81.

Ce type de dynamiques dépasse le martyre de Brito. Au cours des décennies suivantes, les laïcs qui l’avaient connu, leurs collègues et leurs successeurs ont continué à accroître leur autorité en exploitant de façon créative leurs liens avec le saint. L’histoire du converti et martyr saint Tēvacakāyam Piḷḷai, emprisonné par le roi de Travancore en 1749 et exécuté en 1752 à Kattadimalai, à l’extérieur de Nagercoil, en est une bonne illustrationFootnote 82. À la différence de Brito, Tēvacakāyam était un soldat indien dont la conversion au catholicisme, peu avant sa mort, résultait des efforts conjoints de trois personnages : Eustache de Lannoy (1715-1777), un Français chargé de l’entraînement de l’armée du roi de Travancore, Mārthānda Varma ; le missionnaire jésuite Giovanni Battista Buttari (1707-1759), demeurant à Vadakkankulam, le plus important village catholique à l’extrémité sud du pays tamoul, qui le baptisa ; et le catéchiste tamoul Ñāṉappirakācam Piḷḷai (c. 1685-1757). Chacun d’entre eux interpréta et tira profit de la conversion et du martyre de Tēvacakāyam de manière différente. Ñāṉappirakācam Piḷḷai, le cas qui nous intéresse le plus, a construit son histoire personnelle et établi sa lignée familiale en étroite relation avec Tēvacakāyam, à la manière dont les catéchistes de Brito ont raconté leurs propres vies en lien avec son martyre.

Plusieurs écrits sur cette famille de caste vēlala ont été conservés, notamment une généalogie composée au début du xxe siècle et le journal intime en tamoul de l’un de ses membres, Cavarirāya Piḷḷai, qui allait se convertir plus tard à l’anglicanismeFootnote 83. La famille était au centre de la vie sociale du village de Vadakkankulam jusque dans le courant du xixe siècle, époque à laquelle elle commença à écrire son histoire et à mobiliser ses relations avec Tēvacakāyam de plusieurs manières – une façon de renégocier sa place dans les bouleversements politiques et sociaux de l’époque coloniale. Selon la tradition, Ñāṉappirakācam enseigna le catéchisme au martyr à Vadakkankulam, jouant ainsi un rôle actif dans sa conversion. Par la suite, il brava la colère du roi de Travancore qui avait fait exécuter Tēvacakāyam et rapatria la dépouille du martyr – principalement ses os, plus tard enterrés dans la cathédrale du diocèse de KottarFootnote 84. Ñāṉappirakācam alla également chercher le turban du martyr et le ramena dans son village, Vadakkankulam, où il est toujours conservé. La ressemblance avec la mission de sauvetage organisée par Ciluvai Nāyakkan pour récupérer les restes de la dépouille de Brito est pour le moins frappante. Dans le cas de Ñāṉappirakācam, nous savons que son association avec Tēvacakāyam et sa participation à la geste du martyr lui ont conféré un prestige suffisant pour fonder une dynastie de catéchistes qui perdura jusqu’au début du xxe siècle.

Cet aperçu de l’histoire de Tēvacakāyam et du catéchiste Ñāṉappirakācam semble indiquer qu’après la mort de Brito, la vie d’un témoin du martyre en Inde du Sud suivait une trajectoire bien précise, voire un véritable script, dont la mise en scène pouvait être adaptée à d’autres époques et dans différents contextes. Cette possibilité se manifeste pour la première fois dans les sources relatives à la canonisation de Brito, notamment dans la manière dont Mariyatācaṉ modèle sa vie sur l’histoire de son père. Si les lacunes documentaires ne permettent pas de suivre la destinée d’une famille donnée sur la longue durée, une chose est certaine : encore aujourd’hui, les catéchistes catholiques du Maravar continuent de faire remonter leurs lignées jusqu’à Brito. Au xviiie siècle, ces généalogies étaient un moyen essentiel pour les catéchistes tamouls de négocier leur place au sein de leurs communautés ainsi que dans l’Église universelle mondiale. En effet, comment pouvaient-ils affirmer leur autorité alors qu’ils ne pouvaient pas être prêtres ? Il ne faut pas oublier que, dans le territoire de la mission de Madurai, les Indiens convertis n’étaient que rarement ordonnés et ne pouvaient intégrer la Compagnie de Jésus. Bien que censés être des chefs de file de leur peuple, leur conversion ne permettait pas d’enraciner localement leur autorité, dans la mesure où la véritable source du pouvoir spirituel se trouvait ailleurs, à Goa ou à Rome. Être témoin d’un martyre, et, ce faisant, se l’approprier, devint dès lors un moyen efficace d’accéder à cette autorité et de la manifester localement.

L’exécution de Brito à Oriyur le 4 février 1693 représente et articule donc au moins trois dimensions de l’acte d’être témoin, dont la portée se déploie selon des échelles décalées mais imbriquées. C’est tout d’abord le martyre d’un noble portugais et missionnaire jésuite, adepte de la stratégie de l’accommodation, qui symbolise le témoignage ultime de sa foi aux yeux de l’Église catholique dans le monde. Ce sont ensuite plusieurs enquêtes judiciaires au cours desquelles des témoins sous serment, en Inde du Sud et en Europe, ont attesté l’authenticité de ce martyre. C’est enfin l’événement qui a permis aux catholiques indiens les plus impliqués de capter les pouvoirs spirituels du jésuite pour les transmettre au sein de lignées spirituelles et sociales nouvellement forgées en pays tamoul.

References

1 Les noms de personnes sont transcrits selon l’orthographe de la langue d’origine ou selon celle que l’on trouve dans les sources des xviie-xviiie siècles ; quant aux toponymes, l’orthographe française est privilégiée.

2 Ces groupes ont fait l’objet de nombreuses études anthropologiques. Louis Dumont a réalisé sa première enquête ethnographique auprès d’une sous-caste des Kaḷḷar : Louis Dumont, Une sous-caste de l’Inde du Sud. Organisation sociale et religion des Pramalai Kallar, La Haye, Mouton, 1957. Sur le même groupe, voir également le récent travail de Zoé E. Headley, « Of Dangerous Guardians and Contested Hierarchies: An Ethnographic Reading of a South Indian Copper Plate », in A. Murugaiyan (dir.), New Dimensions in Tamil Epigraphy: Select Papers from the Symposia Held at EPHE-SHP, Paris in 2005, 2006 and a Few Invited Papers, Madras, Cre-A Publishers, 2012, p. 253-281.

3 Selva J. Raj, « Transgressing Boundaries, Transcending Turner: The Pilgrimage Tradition at the Shrine of St. John de Britto », in S. J. Raj et C. G. Dempsey (dir.), Popular Christianity in India: Riting between the Lines, Albany, SUNY Press, 2002, p. 85-111, ici p. 87.

4 La logique a été décrite par David Dean Shulman, Tamil Temple Myths: Sacrifice and Divine Marriage in the South Indian Śaiva Tradition, Princeton, Princeton University Press, 1980. Elle a été appliquée aux divinités villageoises et, par analogie, aux pirs musulmans d’Inde du Sud et aux saints chrétiens comme Brito par Susan Bayly dans Saints, Goddesses and Kings: Muslims and Christians in South Indian Society, 1700-1900, Cambridge, Cambridge University Press, 1989, et par David Mosse dans « Catholic Saints and the Hindu Village Pantheon in Rural Tamil Nadu, India », Man, 29-2, 1994, p. 301-332.

5 Comme nous avons pu l’observer lors d’un travail de terrain à Oriyur en février 2017, accompagnée de P. Anand Amaladass SJ.

6 Cette approche a été développée par Ines G. Županov, « Le repli du religieux. Les missionnaires jésuites du xviie siècle entre la théologie chrétienne et une éthique païenne », Annales HSS, 51-6, 1996, p. 1201-1223.

7 S. Bayly, Saints, Goddesses and Kings, op. cit.

8 Je reprends ici une expression de E. Valentine Daniel, Fluid Signs: Being a Person the Tamil Way, Berkeley, University of California Press, 1984. Les travaux d’Ā. Civacuppiramaṇiaṉ, longtemps associés au Department of Folklore du St. Xavier’s College de Palayamkottai, ont étudié avec finesse la culture villageoise tamoule et en particulier les rituels chrétiens.

9 L’autrice a découvert ce manuscrit (BNF, Indien 469, sur lequel l’article reviendra plus en détail) dans le contexte du projet « Texts Surrounding Texts » (TST, FRAL 2018, ANR & DFG).

10 Les témoignages des enquêtes de canonisation n’ont jusqu’à maintenant pas fait l’objet d’une grande attention, contrairement à ceux enregistrés dans d’autres types de procès de droit canonique tels que les procès d’Inquisition. Ces derniers ont suscité un débat historiographique portant notamment sur la possibilité de lire les dépositions des personnes interrogées (bien qu’elles soient biaisées par le processus inquisitoire en lui-même) à contre-courant du discours officiel de l’Église, afin de comprendre et de réintégrer dans le récit historique la vie de ces acteurs subalternes, comme dans le cas célèbre du meunier Domenico Scandella, dit Menocchio, étudié par Carlo Ginzburg dans Le fromage et les vers. L’univers d’un meunier du xvie siècle (Il formaggio e i vermi. Il cosmo di un mugnaio del ’500, Torino, Einaudi, 1976). Voir aussi Andrea Del Col (éd.), Domenico Scandella detto Menocchio : i processi dell’Inquisizione, 1583-1599, Pordenone, Ed. Biblioteca dell’Immagine, 1990.

11 Pascal Marin, « Penser la croyance à la lumière du témoignage. Lorsque l’adhésion à la parole d’un autre permet de devenir soi-même », Revue française d’éthique appliquée, 2-8, 2019, p. 77-89.

12 Christian Renoux, « Une source de l’histoire de la mystique moderne revisitée : les procès de canonisation », Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée, 105-1, 1993, p. 177-217.

13 Pour les aspects narratifs de la vie de Brito, s’agissant en particulier de ses jeunes années, nous empruntons à Augustin Saulière SJ, Red Sand: A Life of St. John de Britto, S.J., Martyr of the Madura Mission, Madurai, De Nobili Press, 1947, et à Albert M. Nevett SJ, John de Britto and His Times, Anand, Gujarat Sahitya Prakash, 1980, ainsi qu’aux sources primaires présentées ci-après dans l’article.

14 Pour une synthèse des informations dont on dispose sur la famille de João de Brito, voir Marquês de São Payo, « A ascendência de S. João de Brito », Brotéria, XLIV, 6, 1947, p. 634-639.

15 Lennart Bes, « The Setupatis, the Dutch, and Other Bandits in Eighteenth-Century Ramnad (South India) », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 44-4, 2001, p. 540-574.

16 Rakunāta Tēvaṉ, mieux connu dans l’historiographie sous le nom de Rakunāta Kiḻavaṉ, prit le titre de Cētupati, « le Seigneur du Pont d’Adam », et fonda un petit royaume à Ramnad ; voir S. Khadhirvel, A History of the Maravas, 1700-1802, Madurai, Madurai Publishing House, 1977, p. 33-50. Il n’encourageait pas les missionnaires jésuites, à la différence des Nāyaks du Madurai, qui se montraient relativement accommodants vis-à-vis de la mission : voir à ce propos Margherita Trento, Writing Tamil Catholicism: Literature, Persuasion and Devotion in the Eighteenth Century, Leyde, Brill, 2022, p. 77-81.

17 C’est le cas, par exemple, d’Antonio Criminali (1520-1549), dont la mort en Inde du Sud pourrait s’expliquer par un pessimisme systématique (voire un état dépressif). Voir Gian Carlo Roscioni, Il desiderio delle Indie. Storie, sogni e fughe di giovani gesuiti italiani, Turin, Einaudi, 2001, p. 39-40.

18 Pour une analyse de la conversion de Taṭiya Tēvaṉ et du rôle de Brito dans le contexte politique du Maravar, voir S. Bayly, Saints, Goddesses and Kings, op. cit., p. 397-404.

19 La situation exacte de ce village, entouré par la forêt, n’est pas claire ; pour une localisation possible, voir S. Ponnad SJ, « Through Marava in the Footsteps of St. John de Britto », Caritas, 45-1, 1961, p. 58-65.

20 En dépit de sa nature hagiographique, Red Sand, le roman écrit par Augustin Saulière à l’époque de la canonisation de Brito, comporte un récit précis et bien documenté de sa vie, y compris de ses jeunes années.

21 Lettre de Francisco Laines aux Pères de la Compagnie de Jésus (Madurai, 11 fév. 1693), in Frederico Gavazzo Perry Vidal (éd.), Um original do beato João de Brito conservado inédito na Biblioteca da Ajuda, agora dado à estampa e seguido da publicação de outras espécies respeitantes a éste Missionário-Mártir existentes na dita biblioteca, Lisbonne, Divisão de publicações e biblioteca, Agência geral das colónias, 1944, p. 69-70. La lettre originale est conservée à Lisbonne, bibliothèque de Ajuda (BAL), Cod. 51-VI-34, fol. 73r-85r, ici fol. 84v (nous traduisons du portugais) : « Le jour même où j’appris que notre glorieux Confesseur [Brito] avait été emprisonné, je me mis immédiatement en route pour le Maravar pour faire ce qui était nécessaire. Après avoir marché plusieurs jours, en grande hâte et dans des souffrances incroyables, je reçus la nouvelle certaine de son martyre. Je voulais continuer mais les Chrétiens qui m’accompagnaient, et les Gentils présents, m’expliquèrent que si je continuais de marcher, j’exposerais cette pauvre Chrétienté à une nouvelle persécution sans l’espoir d’une issue favorable. Je dus donc me raviser et me retirer dans un petit village où je pouvais plus commodément aider ceux qui étaient encore en prison et recueillir les saintes reliques du martyr ou les enterrer de manière décente. »

22 Pierre-Antoine Fabre, « Vocation et martyre dans les Vocationes illustres », Rivista storica italiana, 132-3, 2020, p. 1032-1048, ici p. 1035.

23 Pour une liste des vies de Brito, voir Auguste Carayon, Bibliographie historique de la Compagnie de Jésus ou catalogue des ouvrages relatifs à l’histoire des Jésuites depuis leur origine jusqu’à nos jours, Paris, Auguste Durand, 1864, p. 233-236.

24 La famille a pu tirer profit du martyre de Brito, comme l’attestent deux lettres de recommandations signées de la main du roi du Portugal Pierre II pour faire obtenir une charge à un membre de la famille du jésuite, notamment au titre de son lien avec le martyr. Ces documents sont publiés dans Gavazzo Perry Vidal (dir.), Um original do beato João de Brito , op. cit., p. 106-110.

25 Sur Jean-Baptiste Maldonado, voir Stefan Halikowski-Smith, « Tempestatem, Quæ cum Adventuro D. Francisco Pallu Timero Potest: Jean-Baptiste Maldonado SJ, a Missionary Caught between Loyalties to the Portuguese Padroado and the Political Ascendancy of the Missions Étrangères de Paris in the Siam Mission », Revista de Cultura-Review of Culture (International Edition), 34, 2010, p. 34-51.

26 Lettres édifiantes et curieuses, écrites des missions étrangères par quelques missionnaires de la Compagnie de Jésus, vol. 2, Paris, Nicolas Le Clerc, 1707, p. 1-56.

27 Sur les Lettres édifiantes et curieuses, voir Sylvia Murr, « Les conditions d’émergence du discours sur l’Inde au siècle des Lumières », in M.-C. Porcher (dir.), Inde et littératures, Paris, Éd. de l’EHESS, 1983, p. 233-284.

28 Sur la controverse des rites malabares, le travail de Paolo Aranha fait autorité. Voir en particulier Paolo Aranha, « Sacramenti o saṃskārāḥ ? L’illusione dell’accommodatio nella controversia dei riti malabarici », Cristianesimo nella storia, 31, 2010, p. 621-646 ; id., « The Social and Physical Spaces of the Malabar Rites Controversy », in G. Marcocci et al. (dir.), Space and Conversion in Global Perspective, Leyde, Brill, 2014, p. 214-232.

29 Francisco Laines SJ, Defensio indicarum missionum: Madurensis, nempe Maysurensis, & Carnatensis, edita, occasione decreti ab Ill.mo D. Patriarcha Antiocheno D. Carolo Maillard de Tournon visitatore apostolico in Indiis Orientalibus lati ; & suscepta a Francisco Laineze Societate Jesu electo Episcopo Meliaporensi […] Superiorum permissu, Rome, Ex Typographia reverendæ cameræ apostolicæ, 1707.

30 Ibid., p. 83 (nous traduisons du latin) : « En effet, après m’être rendu dans la région du Maravar, et l’avoir trouvée merveilleusement fertile grâce au sang du Vénérable Père João de Brito, je fis une récolte extrêmement abondante, puisqu’au cours des deux années que j’y passai, je purifiai plus de 13 600 [âmes] à la fontaine sacrée [fonts baptismaux], aussi vrai que je célébrai 550 baptêmes en un seul jour. Non seulement mes bras ne pouvaient presque plus supporter la charge, mais mon corps tout entier était proche de mourir en raison de la si douce fatigue du Ministère saint. »

31 Voir Vincenzo Criscuolo, « Prospero Lambertini (Benedetto XIV) Promotore della Fede presso la Congregazione dei Riti », in N. U. Buhlmann et P. Styra (dir.), Signum in bonum : Festschrift für Wilhelm Imkamp zum 60. Geburtstag, Regensburg, Verlag Friedrich Pustet, 2011, p. 125-217. Prospero Lambertini (1675-1758) a été une figure centrale pour la redéfinition de la sainteté moderne avec son traité De servorum Dei beatificatione et beatorum canonizatione. La version de ce traité qui fait autorité a été publiée dans les huit premiers volumes des œuvres complètes de Lambertini éditées par Emmanuel de Azevedo (dir.), S.S.D.N. Benedicti XIV opera in duodecim tomos distribuita, Rome, Nicolaus et Marcus Palearini academiæ liturgicæ conimbricensis typographi, 1747-1751.

32 Pour une description de ce tournant historique, voir Sabina Pavone, « Propaganda, diffamazione e opinione pubblica. I gesuiti e la querelle sui riti malabarici », in M. Donattini, G. Marcocci et S. Pastore (dir.), L’Europa divisa e i nuovi mondi. Per Adriano Prosperi, vol. 2, Pise, Edizioni della Normale, 2011, p. 203-216.

33 Sur la tension entre collectivité et individualité dans le martyre, voir Pierre-Antoine Fabre, « Les quarante ‘martyrs du Brésil’ (1570) et leur procès en béatification (1854) : historiographie et hagiographie dans la longue Compagnie de Jésus », Rivista di storia del cristianesimo, 15-2, 2018, p. 321-340.

34 Les documents originaux de l’enquête de 1695, rédigés en portugais, sont conservés dans les Archives apostoliques du Vatican (ci-après AAV, anciennement Archives privées apostoliques du Vatican), Cong. Rit., Proc. 1699. Une traduction en italien de ces documents est conservée dans l’Archivum Romanum Societatis Iesu (ci-après ARSI), APG-SJ 717, Processus super Martyrio (Mylapore, 1695).

35 AAV, Cong. Rit., Proc. 1699 : « […] acompanhou ao dito P[adre] do primeiro dia da sua prizão, athe a ultima hora do seu martyrio, e foy hum dos que furtarão suas reliquias, e o viram tambem com seus olhos o Bramane Arlapâ cazado e morador em Madurey, q[ue] a occasião de sua prizão se achava com o dito P[adr]e ; e fou co’ elle prezo ; o cathequista Mutû, Arlandren, e Mariadasso todos tres servidores do dito Padre, q[ue] selhe ajuntarão vindo prezos de Canddamaniquam aldea do dito Maravâ, onde assistião em huã igreja, que tinha a aly o dito Padre, Xilvenaiquem, e Arlapâ, q[u]e furtarão co’ elle testemunha suas reliquas ; Cheganadâ, Chinapen, Anddi, Arlapa Cottegarâ todos moradores nas terras do Maravâ, que incubertos seguiã de longe ao dito Padre, e os sois ultimos vendo ai Padre ja posto de joelhos no lugar do martyrio por não poder incubrirse mais, se forão abraçar come elle, e a hum lhe cortarão o narij, e as orelhas, e a outro as orelhas só. »

36 Par exemple, le titre de Nāyakkaṉ, accolé au nom de Ciluvai, fait référence à une caste d’origine télougu, parfois appelé « les Nordiques » (vaṭukar), qui s’est installée dans la région tamoule à l’époque de Vijayanagara. Ciluvai Nāyakkaṉ et son fil Mariyatācaṉ appartenaient donc à cette caste. Quant à Aruḷ Paṟaiyaṉ, l’un des hommes qui demanda à accompagner Brito en prison la veille de son exécution, il appartenait probablement à une caste dalit (paṟaiyar). Malheureusement, seuls quelques témoins de 1695 ont précisé à quelle caste ils appartenaient lors des audiences, alors que cette information a été plus systématiquement enregistrée dans les enquêtes ultérieures (comme celle de 1726, voir ci-après).

37 La liste des catéchistes qui ont soutenu le point de vue de Laines sur les rites malabars, fournie en annexe de son traité, comprend de nombreux catéchistes de Brito qui avaient entre-temps quitté le Marava pour s’installer dans d’autres régions ; voir F. Laines SJ, Defensio indicarum missionum, op. cit., p. 605-628.

38 La seule exception était Pero Luís Bramane. Le court article qui lui est consacré constitue toujours une analyse intéressante du choix de ne pas admettre les convertis indiens au sein de la Compagnie ; voir Joseph Wicki, « Pedro Luis, Brahmane und erster indischer Jesuit (c. 1532-1596) », Neue Zeitschrift fur Missionswissenschaft, 6, 1950, p. 115-126.

39 Carlos Mercês De Melo, The Recruitment and Formation of Native Clergy in India (16th-19th Century): An Historico-Canonical Study, Lisbonne, Agência Geral do Ultramar Divisão de Publicações e Biblioteca, 1955.

40 Pour une explication et une analyse du terme, voir Fr. Perroquin SJ, The History of Vadakkankulam Christianity [1908], Shenbaganur, Archives jésuites de la province de Madurai (ci-après JEMPARC), 217/459.

41 Le catéchiste résident (vācal upatēciyar) figure parmi les fonctions administratives locales dans un manuscrit sur l’histoire du village de Sarugani, compilé par le prêtre d’une paroisse jésuite à la fin du xixe siècle ; voir Anonyme, Crâmam de Sarougany [c. 1882], JEMPARC, 217/278.

42 Alors que la fonction paraliturgique des catéchistes n’est souvent qu’insinuée dans beaucoup de documents catholiques de l’époque, elle est décrite (de manière péjorative) dans des textes luthériens ; voir Johann Lucas Niekamp, Histoire de la mission danoise dans les Indes orientales, Qui renferme en abrégé les relations que les missionnaires évangéliques en ont données, depuis l’an 1705 jusqu’à la fin de l’année 1736, vol. 1, Genève, Henri-Albert Gosse & Comp., Libraires & Imprimeurs, 1745, p. 234 : « Dans certains lieux du Royaume de Madure où il n’y a point de Missionnaires, les Catéchistes en font les fonctions, qui consistent à lire quelques lambeaux de livres de dévotion, à réciter les prières de la Messe & à chanter une Litanie. »

43 Gianbattista Buttari à son frère (Madurai, 4 sept. 1740), Archivio della Pontificia Università Gregoriana (APUG), Miscellanea 292, p. 655-667, ici p. 663-664 : « Ciascun missionario nella sua Residenza elegge otto, ò più Catechisti divisi in varie Popolazioni, dove sono i Cristiani. […] Or due di questi debbono sempre stare dove in quel tempo risiede il missionario, mentre p[e]r alcuni mesi stà in una Chiesa, e poi si porta in un altra, per commodo de’ Cristiani. Ciò presupposto, quando vengono li Cristiani per confessarsi, dato il segno, e radunati tutti in Chiesa, ciascuno (nemine excepto) viene esaminato, o dal missionario, o dalli Catechisti di quella residenza, se sà la Dottrina Cristiana, e l’orazioni : e ne’ giorni di grande concorso si radunano tutti i Catechisti di quella residenza, e ciascuno viene con li Cristiani delle Popolazioni a lui soggette, e tutti esaminano li penitenti sopra la Dottrina &c. […] Così preparatisi si da loro un pezzetto di foglia di palma scritto quale essi in andare a confessarsi devono dare al missionario in contrasegno che sanno la dottrina Cristiana, gli atti delle virtù Teologali, e che si sono preparati per la Confessione. »

44 La traduction en italien du témoignage de Ciluvai Nāyakkaṉ (Xilue Naiquen) est conservée dans l’ARSI, APG-SJ 717, fol. 42v-46r.

45 ARSI, APG-SJ 717, fol. 44r : « […] anche fù carcerato con esso lui esso testimonio, e dando ad esso testimonio un soldato diversi colpi con una corda, et havendolo colto uno sopra l’occhio destro gli saltò fuori, il quale dal detto Padre gli fu messo di nuovo dentro colle sue mani et havendoglielo Benedetto, rimase esso testimonio immediatamente sano, e che viddero questo Vedapà, e Canagapà nativi di Maissur, et habitanti di Tanjaor, che erano anche catechisti del detto Padre. »

46 Témoignage de Pierre Martin, recueilli les 17 et 18 déc. 1715, AAV, Cong. Rit., Proc. 1694, fol. 124r (nous traduisons de l’italien) : « Car on m’informa que, quelques jours avant qu’il [Brito] soit mis à mort, le fils d’un de ses catéchistes ayant été battu par ces barbares et frappé à l’œil, au point que son œil était sorti de son orbite, le serviteur de Dieu – le consolant de ses propres mains – lui avait remis l’œil en place en faisant le signe de croix, comme il me semble l’avoir entendu dire, si bien que le fils du catéchiste n’a gardé aucune cicatrice ni aucune séquelle, et je l’ai vu plusieurs fois puisqu’il est plus tard devenu mon catéchiste à la mission du Madurai, dans la région du Marava. »

47 Les procès-verbaux originaux des séances de l’enquête de 1726, rédigés en tamoul et en portugais, sont conservés dans les AAV, Cong. Rit., Proc. 1697. Une traduction en italien de ces documents est conservée dans l’ARSI, APG-SJ 726, Processus super Martyrio (Mylapore, 1726).

48 Voir Kristin C. Bloomer, Possessed by the Virgin: Hinduism, Roman Catholicism, and Marian Possession in South India, New York, Oxford University Press, 2018.

49 AAV, Congr. Rit., Proc. 1697, fol. 224v.

50 ARSI, APG-SJ 717, Processus super Martyrio (Mylapore, 1695), fol. 39r-43v. Si Mariyatācaṉ évoque bien l’histoire de son père dans cette première déclaration, il ne le fait que brièvement. Il était en effet inutile d’entrer dans les détails puisque Ciluvai Nāyakkaṉ lui-même devait être interrogé immédiatement après son fils.

51 Le témoignage original de Mariyatācaṉ en portugais est conservé dans les AAV, Cong. Rit., Proc. 1697, fol. 172r-178v, ici fol. 172r. La traduction en italien est conservée à l’ARSI, APG-SJ 726, fol. 664r-694v.

52 AAV, Cong. Rit., Proc. 1697, fol. 172v.

53 AAV, Cong. Rit., Proc. 1697, fol. 173r.

54 Le miracle de Mariadagen/Mariyatācaṉ, guéri d’une tumeur de la peau, est déjà raconté dans une lettre de Carlo Colano à João da Costa (14 septembre 1696), AAV, Cong. Rit., Proc. 1698, fol. 104r-109r, en particulier fol. 108r. Le même miracle apparaît dans l’un des articles interrogatoires de l’enquête de 1726 de la manière suivante dans AAV, Cong. Rit., Proc. 1697, fol. 20v-21r (nous traduisons du latin) : « 43. Comme il était, et il est vrai [qualiter veritas fuit, et est] que dans la ville de Vaipur sur la côte malabare il y avait un garçon appelé Mariyatācaṉ, souffrant d’une telle maladie pustuleuse et à l’article de la mort, […] si défiguré par la tumeur que son corps n’avait plus forme humaine, selon les dires de témoins informés, cela était et est de notoriété publique, &c. [prout testes informati deponunt fuit et est publicum &c.] 44. Comme il était, et il est vrai que les parents de ce Mariyatācaṉ, dépourvus de toute assistance de leur prochain, implorèrent l’aide de la Sainte Vierge Marie et l’intercession du Vénérable Père João de Brito, le père de l’enfant ayant été son catéchiste. Ils récitaient des litanies avec les passants, lorsque l’enfant malade, qui avait depuis longtemps perdu l’usage de la parole, se tournant immédiatement vers son père avec une mine réjouie, lui dit que la Sainte Vierge lui était apparue au milieu d’une nuée d’anges, avec le Vénérable Martyr João de Brito à sa droite, et avait obtenu de Dieu une bonne santé [pour lui], et après une heure, la boursouflure disparut entièrement, et l’enfant fut complètement débarrassé de toutes les humeurs qui s’écoulaient, selon les dires de témoins informés, cela était et est de notoriété publique, &c. »

55 AAV, Cong. Rit., Proc. 1697, fol. 176r.

56 Voir AAV, Cong. Rit., Proc. 1697, fol. 52r. Pour cette enquête, les catéchistes ont fait leurs dépositions en portugais mais ont signé en tamoul, tandis que l’instituteur Āṭippaṉ a témoigné et signé en tamoul.

57 Comme le montre, par exemple, le fait que le missionnaire luthérien Bartholomäus Ziegenbalg (1682-1719) ait commencé par traduire la doctrine luthérienne pour les communautés de pécheurs de Tranquebar (Tharangambadi) en portugais et qu’il n’ait travaillé que plus tard à une version en tamoul. Voir également le bref article de Julien Vinson, « La langue portugaise dans l’Inde », Revue de linguistique et de philologie comparée, 41, 1908, p. 292.

58 La lettre originale en latin de Beschi est conservée dans les AAV, Cong. Rit, Proc. 1697 (page non numérotée au début) ; une transcription est conservée dans l’ARSI, APG-SJ 726, fol. 9r-12v.

59 Il existe plusieurs manuscrits et éditions imprimées de ce texte. Dans cet article, nous faisons référence à Costanzo Giuseppe Beschi, Vīramāmuṉivar, Vētaviḷakkam : iḥtu mikunta kīrttip peyarpeṟṟa meymmaṟai pōtaka vīramāmuṉivar eṉṉuñ cecucapaik kuruvākiya irājariṣi tairiyanāta cuvāmiyār avarkaḷāl aruḷicceyyappaṭṭatu, Putuvai, Mātākkōyil accukkūṭam, 1936.

60 C. G. Beschi, Vētaviḷakkam, op. cit., p. 222 : « nammuṭaiya cattiya vētattai eṇpikka ulakameṅkum ataṟkāka valiyap pirāṇaṉait tantu, kōṭākōṭi pērkaḷ cāṭci colliyirukka, nīṅkaḷ antac cāṭcikaḷait tēṭi puṟa nāṭṭiṟkup pōkāmal iṅkētāṉē ataṟkuc cāṭciyaic colli uṅkalukku eṇpikkum poruṭṭāka āṇṭavar aruḷānanta cuvamiyait terintukoṇṭār. »

61 Peter Schalk, « Images of Martyrdom among Tamils », in Oxford Handbooks Online, Oxford, Oxford University Press, 2016, 10.1093/oxfordhb/9780199935420.013.45.

62 M. Trento, Writing Tamil Catholicism, op. cit., p. 118-121.

63 V.M. Gnanapragasam, « Contribution of Fr. Beschi to Tamil », thèse de doctorat, University of Madras, 1965, p. 49-50.

64 C. G. Beschi, Vētaviḷakkam, op. cit., p. 230-231 : « coṉṉa putumaikaḷāl ārōkkiyam aṭainta pērkaḷ ellāraiyum nāmē kaṇṭu pēciṉōm. avarkaḷ coṉṉatai ārāya vēṇtum eṉṟu cāṭciyāyk kūṭa niṉra anēkam pērkaḷai vevvēṟē aḻaittu, nuṇukkamāyc cōtittu, cattiyamuṅ koṇṭu kēṭṭa iṭattil ellārum antap putumaikaḷ campavitta nēramum iṭamum vakaiyuñ coṉṉatilē caṟṟum vēṟṟumaiyiṉṟi otta cāṭciyai colla kēṭṭom. »

65 Ce manuscrit, intitulé Vētacāṭciyar rācariṣi aruḷāṉantacuvāmi tivviya vētattukkāka maṟavaṉ cīrmaiyil piṭipaṭṭup pāṭuppaṭṭa avaruṭaiya carittiram que l’on peut traduire par « Vie du martyr João de Brito, arrêté et torturé dans le Maravar au nom de la vraie foi », est conservé à la BNF, Indien 469.

66 Ce texte semble en particulier constituer la base des chapitres 23 et 24 de l’ouvrage d’A. Saulière, Red Sand, op. cit.

67 BNF, Indien 469, fol. 1r-2r : « Icēcumariyē tuṇai. Vētacāṭciyāṉa rācariṣi aruḷāṉantacuvāmi tivviyavētattukkāka maṟavaṉ cīrmaiyil piṭipaṭṭup pāṭupaṭṭa avaruṭaiya carittiram caṟuvēcuraṉukku sttōttiramuṇṭākavum tirucapaiyākiya kiṟīsttuvarkaḷ yāvarum aṟintu tēvavicuvācapattinampikkaiyil ttiṭapaṭavum aruḷāṉantaṉ yeḻutikiṟēṉ. Nāṉ piṟanta eṭṭāṉāḷ yinta vētacāṭciyāṉa kuruvāṉavar tammuṭaiya pēriṭṭu ñāṉasnāṉaṅ kuṭuttu petta[sic, peṟṟa]takappaṉaip pōlē vicārittu yeṉṉai vaḷattār paṭippittār. Piṟapāṭu ttiruccapaik kāriyamāka cintu rāṭciya viṭṭu ṟōmāpurikkup payaṇam āy kappaleṟu cīrmaikkup pōy, maṟupaṭi tēvavutaviyāl ccinturāṭciyattukku vantu cēntavuṭaṉē, yentakappaṉ naṉṟi yaṟintavaṉāy yeṉṉai yaḻaittuk koṇṭu pōy avar pātattil tūyam paṇṇaccolli kkaṭṭaḷai yiṭṭoppivittar. Anta ṉāḷ mutal koṇṭu, avaruṭaiya pātattil avarukkup pūcaikk’ utavi ceytu koṇṭu, kaṭṭaḷai yiṭṭa maṟṟavūḻiyamuñ ceyt’, avarai viṭṭup piṟiyāmal iruntēṉ. Ippaṭi yirukkiṟa pōtu maṟavaṉcīrmaiyil anta cīrmaikk’ uṭaiya rekuṉātatēvaṉ tivviyavētattukku virōtiyāy iruntatiṉālē avaraip piṭikkiṟa pōtu ṉāṉ kūṭap piṭipaṭṭ’, avarōṭē kūṭa ciṟaicālaiyilē yiruntapaṭiyiṉālē avar aṉupavitta kasttina vātai yavamāṉam aṭi niṟpantam itu mutalāṉa turitaṅkaḷai yaṉupavittu, kaṭaciyāy avar vētacāṭciyāṉa carittira meyākavē kūṭa yiruntēṉ, kaṇṇāka kaṇṭēṉ aṟintēṉ: ippō naṭanta carittiram caṟuvēcuraṉukku stōttiramuṇṭāka yeḻutikiṟēṉ. »

68 Ines G. Županov, Disputed Mission: Jesuit Experiments and Brahmanical Knowledge in Seventeenth-Century India, New Delhi, Oxford University Press, 1999, p. 244 ; Margherita Trento, « Śivadharma or Bonifacio? Behind the Scenes of the Madura Mission Controversy (1608-1619) », in I. G. Županov et P.-A. Fabre (dir.), The Rites Controversies in the Early Modern World, Leyde, Brill, 2018, p. 91-121.

69 Voir Selva J. Raj, « Transgressing Boundaries, Transcending Turner », art. cit.

70 Les titres attribués aux missionnaires jésuites à partir du début du xviie siècle incluent plusieurs termes associés à l’origine à la spiritualité hindoue : swami (cuvāmi), gourou (kuru), raja-rishi (rājariṣi).

71 BNF, Indien 469, fol. 41v-42r : « […] tamatu ciracai maṟavaṉukkuk koṭuttu vētacāṭciyāy mokṣattukk’ eḻunt’ aruḷiṉār. Tiṉapiṟak’ avaruṭaiya iraṇṭu kaikaḷaiyuṅ kālkaḷaiyun tarittārkaḷ. At’ eṉ eṉṟāl eḻunt’ iruntu paṟantu pōvāṉ pillikkāṟaṉ eṉṟu kālkaḷaiyuṅ kaikaḷaiyun tarittuppoṭṭārkaḷ ».

72 Pour des éléments complémentaires concernant cette ballade anonyme sur la vie de sainte Marguerite, probablement composée au xviiie siècle, voir l’introduction de K. Jayakumar, R. Jayalakshmi et R. Rajarathinam (dir), The Defender of the Faith. Arc. Marikarutammāḷ ammāṉai, Madras, Institute of Asian studies, 1996. L’expression dont il est ici question (pilli vañcaṉai) se trouve à la page 30 dans la même édition du texte.

73 L’histoire de ce titre à l’époque médiévale n’est pas clairement établie : il désigne probablement des groupes (castes) non brahmaniques chargés des pratiques dévotionnelles dans les temples. À partir de la période moderne, le terme paṇṭāram est utilisé pour désigner les membres d’institutions monastiques (maṭam) non brahmaniques. Voir Margherita Trento, « Translating the Dharma of Śiva in Sixteenth-Century Chidambaram: Maṟaiñāṉa Campantar’s Civatarumōttaram with Preliminary List of the Surviving Manuscripts », in F. De Simini et C. Kiss (dir.), Śivadharmāmṛta: Essays on the Śivadharma and its Network, vol. 2, Studies on the History of Śaivism, Naples, UniOr, 2021, p. 101-144, ici p. 131. Par imitation, à partir du début du xviiie siècle, les Jésuites endossèrent le rôle de missionnaires paṇṭāram non brahmaniques.

74 Ines G. Županov, « Conversion, Illness and Possession: Catholic Missionary Healing In Early Modern South Asia », in I. G. Županov et C. Guenzi (dir.), Divins remèdes. Médecine et religion en Asie du Sud, Paris, Éd. de l’EHESS, p. 263-300.

75 M. Trento, Writing Tamil Catholicism, op. cit., p. 60-68.

76 J. Pujo SJ, « The Cult of St. J. de Britto », Caritas, 57-2, 1973, p. 73-81.

77 S. Ponnad SJ, « Through Marava in the Footsteps of St. John de Britto », art. cit.

78 Ce qui place Brito dans le cercle restreint des saints chrétiens dont les pouvoirs de guérison sont également invoqués par les hindous et les musulmans. Pour une étude du cas de saint Antoine, qui en est un autre exemple, voir Brigitte Sébastia, Les rondes de saint Antoine. Culte, affliction et possession en Inde du Sud, Paris, Aux lieux d’être, 2004.

79 Sur la littérature chrétienne et la formation des catéchistes au tournant du xviiie siècle, voir M. Trento, Writing Tamil Catholicism, op. cit., en particulier les chapitres 1 et 2.

80 Talia Ariav, « Intimately Cosmopolitan: Genealogical Poets and Orchestrated Selves in 17th-18th Century Sanskrit Literature from South India », thèse de doctorat, University of Chicago, 2022, p. 12-24.

81 Sur ces monastères shivaïtes, voir Kathleen Iva Koppedrayer, « The Sacred Presence of the Guru: The Velala Lineages of Tiruvavatuturai, Dharmapuram, and Tiruppanantal », thèse de doctorat., McMaster University, 1990 ; et M. Trento, « Translating the Dharma of Śiva… », art. cit.

82 Tēvacakāyam Piḷḷai a été canonisé le 15 mai 2022.

83 La principale source sur cette famille, sur laquelle nous préparons un autre article, est : Fr. Arpudam SJ, A Genealogical Study of the Catholic Vellala Families at Vadakankulam [1915], JEMPARC 217/463 ; le journal intime de Cavarirāya Piḷḷai et l’histoire de sa famille ont été publiés pour la première fois par Yōvāṉ Tēvacakāyaṉ Cavarirāyaṉ (dir.), Cavarirāya Piḷḷai vamca varalāṟu: The ancestors of Savariraya Pillai; A catechist of the Church Missionary Society, Palayamkottai, Sri Vijaya Laksmi Vilasam press, 1899 ; id., Cavarirāya Piḷḷai carittiram: The life od Savariraya Pillai; A catechist of the Church Missionary Society, vol. 1, From 1801 to 1836, Palayamkottai, Sri Vijaya Laksmi Vilasam press, 1900. Les deux ouvrages ont été réédités par Ā. Civacuppiramaṇiyaṉ (dir.), Upatēciyar Cavarirāyapiḷḷai (1801-1874), Nākarkōyil, Kālaccuvaṭu patippakam, 2006.

84 An., Vētacāṭciyāṉa tēvacakāyam piḷḷai carittiram : iẖtu cēcucapaikkurucuvāmiyārkaḷil oruvarāṟ ceyyappaṭṭatu, Putuvai, Caṉmavirākkiṉi mātākkōyilaic cērnta accukkūṭam, 1892, p. 77.

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Figure 1 Figure 1 – Le sanctuaire de João de Brito à Oriyur (2017)

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Figure 2 Figure 2 – Carte de la mission de Madurai auxviiie siècle

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Figure 3 Figure 3 – Statue de saint João de Brito à Oriyur (2017)

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Figure 4 Figure 4 – João de Brito habillé en missionnaire de Madurai

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Figure 5 Figure 5 – Première page de la lettre de Francisco Laines aux Pères de laCompagnie de Jésus

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Figure 6 Figure 6 – Manuscrit du Vētaviḷakkam (composé aux alentoursde 1730)

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Figure 7 Figure 7 – Manuscrit de la vie de João de Brito par son discipleAruḷāṉantaṉ