Hostname: page-component-77c89778f8-cnmwb Total loading time: 0 Render date: 2024-07-17T04:40:15.294Z Has data issue: false hasContentIssue false

L'Éthique et la Statistique. A Propos du Renouvellement du Sénat Romain (Ier-IIIe siècles de L'Empire)

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

François Jacques*
Affiliation:
Université de Lille III

Extract

Les réformes d'Auguste, puis la politique de ses successeurs immédiats, aboutirent à la création de l'ordre sénatorial désormais séparé de l'ordre équestre. Un statut privilégié fut garanti aux femmes des six cents sénateurs ainsi qu'à leurs descendants en ligne masculine jusqu'à la troisième génération, même à ceux n'entrant pas au Sénat ; courant sur les inscriptions à partir du 11e siècle, le titre de clarissime traduisait l'appartenance à l'ordre sénatorial. Dès le début de l'Empire, furent donc posées les conditions pour favoriser une transmission héréditaire du rang sénatorial ainsi que des magistratures et des fonctions réservées aux sénateurs, mais sans que fût jamais instauré un système de stricte hérédité : l'entrée au Sénat demeurait subordonnée à l'exercice de la questure (magistrature élective) ou à l'agrégation dans l'assemblée par décision impériale (adlection). Une concurrence pour les magistratures s'exerçait entre les clarissimes de naissance et les « hommes nouveaux », intégrés par l'empereur dans l'ordre sénatorial ou adlectés ; particulièrement le consulat demeura toujours réservé à une minorité.

Summary

Summary

A new theory has recently been proposed to explain the rather rapid turnover in the Early Roman Empire senate, sustaining that the majority of senators's sons chose not to pursue political careers. But the arguments usually put forward (e.g. involving demographic factors, or the perils and risks of political life) could suffice here. In particular, senators’ sons had to compete with new men who were the Emperor's protégés in the race for the consulate and in order to become part of the Senatorial elite; nothing contradicts the notion that some ofthem may have simply accepted less illustrious positions out of necessity. Aside from the absence of supporting documentation, the main hurdle for this theory comes from the system of family values which pressured the inheritor to maintain the luster of the family name and, when possible, to increase it.

Type
La Parenté Romaine
Copyright
Copyright © Copyright © École des hautes études en sciences sociales Paris 1987

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

Notes

* Ce texte a été rédigé pour la table ronde « Parenté et stratégies dans l'Antiquité romaine » organisée en octobre 1986 par le CNRS et la Maison des Sciences de l'Homme et dont les actes sont à paraître. Nous remercions les organisateurs d'en avoir accepté la prépublication.

1. Outre les travaux essentiels d'A. Chastagnol (en particulier MEFRA, 85, 1973, pp. 583- 607), voir S. Demougin, « Uterque ordo. Les rapports entre l'ordre sénatorial et l'ordre équestre sous les Julio-Claudiens »,OS, I,pp. 73-104 et L'ordre équestre sous les Julio-Claudiens, thèse de doctorat inédite, Paris, 1985.

2. Digesta, 1, 9, 8, et 10 ; 23,2, 44 ; 50, 1, 22 paragr. 5 et le sénatus-consulte de 19, dit de Larino (AE, 1978, 145).

3. R. J. A. Talbert, 1984, pp. 16-21, et infra.

4. Chap. 3, « Ambition and Withdrawal : the Sénatorial Aristocracy under the Emperors », pp. 120-200 (en collaboration avec G. Burton).

5. Outre G. Alfôldy, 1977, voir les bilans des clarissimes en fonction de leur origine dans OS, II. Ainsi, pour l'Afrique proconsulaire, on a une moyenne de 2,3 personnages connus par famille, et de 2,15 pour la Cisalpine (pour le détail, F. Jacques, 1986, p. 97).

6. L'unique exemple pris p. 191 n'est guère convaincant. P. Aelius Hilarianus, consulaire, serait père d'un centurion primipile et grand-père d'un chevalier homonyme. Avec Halfmann, OS, II, p. 634, on peut penser que le sénateur était, en fait, le fils du chevalier. Admettrait-on la généalogie fournie par les inscriptions (W. ECK, ZPE, 42, 1981, p. 235 ss), la thèse de K. Hopkins n'en serait pas renforcée : la fonction de primipile n'avait rien d'une sinécure et le supposé fils de sénateur n'aurait pas cherché à jouir des avantages du clarissimat dans sa patrie.

7. Je tiens à noter que K. Hopkins envisage la plupart des objections qui sont faites ici ; mais selon lui, aucune ne peut remettre en cause la valeur des statistiques ou des conclusions qui, selon lui, en découlent impérativement.

8. G. Alfôldy, 1977, particulièrement p. 43 ss. Adlecté à 45 ans, le futur empereur Pertinax ne fut consul qu'à 49 ans (G. Alfôldy, p. 189).

9. On ne peut évaluer la proportion de clarissimes qui obtenaient la questure puis les autres magistratures à l'âge minimum ; en tout cas, on ne peut admettre que c'était le cas le plus courant. AE, 1967, 56 fait connaître un clarissime décédé à plus de 27 ans sans avoir obtenu la questure, alors que ses débuts montrent son désir de faire carrière. Septime Sévère ne fut préteur qu'à 33 ans.

10. Un intervalle de 14-15 ans entre consulat et proconsulat d'Asie ou d'Afrique était courant (G. Alfôldy, 1977, pp. 111-112) ; étaient donc, de fait, privilégiés les sénateurs ayant obtenu tôt le consulat. 11. Sont donc privilégiés les sénateurs atteignant un âge avancé ; de plus, seulement une partie des consuls obtenaient des fonctions consulaires : la valeur d'échantillon de nos sources en est d'autant réduite.

12. Dietz, K., Senatus contraprincipem. Untersuchungen zur senatorischen Opposition gegen Kaiser Maximinus Thrax, Munich, 1980, pp. 39-258.Google Scholar

13. Pour la représentativité de notre documentation sur les titulaires de diverses fonctions, voir les bilans de W. Eck, Chiron, 3, 1973, pp. 375-394 et Anrw, II, 1, pp. 158-228 (essentiellement pour la période 69-138) ; G. Alfôldy, 1977, pp. 21-32 (années 138-180) ; F. Jacques, 1984, pp. 203-209 (fin de l'époque antonine, époque sévérienne). Rappelons quelques ordres de grandeur. Les titulaires de fonctions antérieures à la préture ne sont pas plus de 5 % à être connus. Pour les fonctions prétoriennes, on a une représentativité d'environ 10 à 25 % pour les postes de début ou les proconsulats ; la proportion atteint de 25 à 50 % pour les postes proches du consulat, et même de 70 à 80 % pour les gouvernements de province où stationne une légion. Les gouverneurs de provinces militaires sont donc mieux connus que les consulaires titulaires de curatelles romaines (30-40 %, parfois moins, à être attestés). Pour les légations des provinces consulaires et les grands proconsulats, on atteint, selon les époques, des taux de 50 à 95 %.

14. La plupart des fonctions ne sont attestées que par des cursus sur des dédicaces funéraires ou honorifiques. L'éclat d'un personnage augmentait les occasions de l'honorer ; en revanche, les sénateurs faisant des carrières à dominante civile sont les moins bien représentés, alors qu'ils se recrutaient de préférence dans les milieux relevés. Bien des personnages de grande famille ne sont connus que comme prêtres, ou par des inscriptions qui nous laissent ignorer leur cursus.

15. Récemment, R. J. A. Talbert, 1984, pp. 47-66 et 495-497 (qui sous-estime probablement le niveau courant des fortunes).

16. CIL, II, 112 = AE, 1967, 130. Ses fils moururent à 20 et à 21 ans ; qu'ils aient été vigintivirs prouve le désir d'entrer ensuite au Sénat (PIR 2, I, 266 ; 424 ; 439).

17. Tenter d'évaluer précisément les chances de connaître les sénateurs en fonction de divers niveaux de dignitas atteints est une gageure, puisqu'on doit partir des taux de représentativité des fonctions, fort approximatifs et fluctuants. Donnons seulement quelques ordres de grandeur, qui me paraissent plutôt des optimum : pour les simples clarissimes et les sénateurs ne dépassant pas la préture, assurément moins de 10 % ; pour les prétoriens exerçant peu de fonctions, et surtout civiles, peut-être jusqu'à 25 % ; pour les prétoriens plus sollicités, les consuls sans véritable carrière consulaire, 60 °/o ; jusqu'à 95 % des consulaires au service de l'empereur ou atteignant les grands proconsulats. Si trois représentants successifs atteignent la dernière catégorie, la chance de les connaître dépasse 80 % ; en revanche, il suffit qu'un des membres de la famille décède vers 30- 35 ans pour que la probabilité de connaître les trois générations ne dépasse pas 10 %. Dans une famille qui obtiendrait le consulat sur trois générations sans que les personnages aient un éclat particulier, le taux ne dépasse pas 22 %. On arrive à des proportions dérisoires si on envisage des cas de figure où une famille est présente au Sénat sur plusieurs générations sans que ses membres atteignent le consulat.

18. La carrière du premier Caesonius (homme nouveau, sans doute) s'étend de 175 environ à 232 ; celle de son fils (fait patricien) entre 211-213 environ et 240-250. Le troisième, né vers 225, est encore en activité en 282-283, époque où son fils exerce des fonctions consulaires. Le dernier représentant connu, à la cinquième génération, n'est attesté que comme consul, en 317 (cf. Jacques, 1986, p. 168, avec la bibliographie). Pour apprécier la part du hasard, notons que les carrières de deux des Caesonii ne sont connues que depuis 1964 et 1968.

19. Connu depuis peu, L. Valerius Messala Poplicola Helvidius Priscus, décédé jeune au début du iie siècle, permet de relier aux Valerii du premier siècle des Valerii attestés de la fin du ne siècle à la fin du Ve siècle (S. Priuli, OS, I, pp. 620-625). Jusqu'à 1982, seul le consulat ordinaireobtenu en 196 permettait d'estimer que L. Valerius Messala Thrasea Priscus (dont la carrière est inconnue) était de noble ascendance (F. Jacques, 1986, p. 215).

20. G. Alfôldy, 1977, pp. 323-326. Après une évaluation du même type que celle qui suit, K. Hopkins, p. 200, conclut « However, overall we think that our main propositions stand in spire of the gaps in our data ».

21. G. Alfoldy, 1977, pp. 10-21 ; R. J. A. Talbert, 1984, p. 21. Si le nombre moyen de consuls annuels a tendance à s'élever, d'importantes oscillations apparaissent dans le détail, surtout sous les Flaviens et les premiers Antonins. Pour le me siècle, F. Jacques, 1986, p. 88.

22. Aux effets bien réels des éliminations par des empereurs « tyrans » s'ajoute le rôle, à toutes les époques, de la faveur ou de l'indifférence impériales, déterminantes pour le profil de la carrière et la dignitas de toute la famille.

23. R. J. A. Talbert, 1984, pp. 47-80.

24. Pline LE Jeune, Ep., VI, 19.

25. Ainsi quand il veut convaincre Bruttius Praesens de revenir à Rome et de participer à la vie politique (Ep., VII, 3).

26. F. Jacques, 1986, pp. 119-121.

27. Pour être une véritable évergésie, le don doit être proportionné à la dignité et à la fortune de l'évergète ( Veyne, P., Le pain et le cirque. Sociologie historique d'un pluralisme politique, Paris, Éditions du Seuil, « L'univers historique », 1979, 799 p . , p . 228 ssGoogle Scholar). Le cas de la riche veuve d'Oea Pudentilla montre bien les nombreuses dépenses inévitables, même en dehors de tout contexte de carrière : pour le mariage de son fils, elle avait dû distribuer 50 000 sesterces et Apulée justifia qu'elle ait été cacher son mariage à la campagne par le souci d'échapper à de nouveaux frais de ce type (Apologie, 87, 10).

28. Voir la mise au point récente de Yan Thomas, dans A. Burguière, Ch. Klapisch-Zuber, M. Seoalen, F. Zonabend (sous la dir.), Histoire de la famille, I, Paris, Armand Colin, 1986, p. 395 ss. Pour le rôle des exempta dans la conduite des notables, F. Jacques, 1984, p. 687 ss.

29. Cicéron, / / Verr., 5, 180, à propos de Caton. Sur le comportement des hommes nouveaux sous l'Empire, M. Dondin-Payre, « L'expression de la nouitas dans l'épigraphie du Haut- Empire », OS, I, pp. 105-136.

30. S. Demougin, op. cit., p. 2.

31. Au Haut-Empire, le droit lie les exemptions et les immunités aux services effectivement rendus, spécifiant l'exclusion de ceux qui prétendent à des privilèges abusifs (fils de vétérans, membres honoraires de corporations) ; légalement, les immunités sont précaires (F. Jacques, 1984, pp. 618-647). Au ive siècle, les empereurs s'efforcent de traquer les uacantes, qui n'assument pas les devoirs liés à leur position sociale (F. Jacques, RHD, 63, 1985, pp. 303-328). L'immunité des elarissimes descendants de sénateurs a donc un caractère exceptionnel ; allant à rencontre du reste du droit, elle ne concernait très certainement qu'un groupe restreint.

32. Parmi les vigintivirs destinés à la carrière sénatoriale, les triumvirs capitaux et bon nombre de quattuorvirs uiarum curandarum sont des hommes nouveaux. Par ailleurs, le maintien d'une famille au-delà de trois générations traduit une longévité importante, sinon exceptionnelle. J. Scheid m'a indiqué que le sacerdoce arvale se transmettait rarement plus de trois générations dans la même famille.

33. Pour le me siècle, F. Jacques, 1986 (cf. les Catii, p. 169 ; les Fonteii, p. 184). K. Hopkins, 1983, p. 144 admet une « considérable persistance by some aristocratie families in the political élite » ; mais (outre que some est vague et restrictif) elles n'appartenaient qu'à l'élite supérieure de l'ordre (p. 173).

34. E. g., le rameau patricien des Neratii s'éteint avec le cos. II ord. 129, mais la famille est attestée jusqu'au vc siècle (F. Jacques, 1986, pp. 198-200).

35. Préfets de la Ville en 271 et en 305, deux Flavii Postumii se disent pronepos et sectator de Postumius Festus, cos. suf. 160 : intellectuel renommé, cet ancêtre maternel leur avait dicté son goût pour les lettres (F. Jacques, 1986, pp. 132 ; 207).

36. Homme nouveau originaire d'Ephèse, Claudius Cleobulus épousa une Acilia, dont le père, consul ordinaire, se prétendait descendant d'Énée. Leurs fils portent le double gentilice Claudius Acilius et une petite-fille n'est connue que sous le nom d'Acilia (F. Jacques, 1986, p. 173).

37. Ainsi, au ive siècle, le cognomen Sabinus rappelle chez les Caecinae une alliance avec des Octavii qui remontait au début du me siècle (F. Jacques, 1986, p. 167).

38. Le nom de L. Valerius Messala Thrasea Helvidius Priscus (cf. n. 19) renvoie à deux héros de l'opposition sénatoriale du i “ siècle, Clodius Thrasea Paetus et Helvidius Priscus ; Thrasea et Priscus se retrouvent chez le consul de 196.

39. Des noms de membres de la dynastie valentiniano-théodosienne (Gratianus, Galla Placidia, Iusta Grata Honoria…) s'expliquent par le mariage de Valentinien Ier (364-375) avec Justine, qui transmit des cognomina usuels chez les Neratii, les Vettii, les Aurelii Galli et, probablement, les Memmii, familles devenues clarissimes avant la fin du ne siècle (F. Jacques, 1986, pp. 134-135).

40. Voir n. 36, l'exemple de Claudii Cleobuli.

41. De nombreux bénéficiaires A'alimenta devant être dans cette tranche d'âge.

42. D'après B. Frier, art. cit., p. 245.

43. Ibid. AA. D'après B. Frier, /. c, sur la base d'un groupe de cent personnes à l'âge d'un an. On voit que les chiffres obtenus impliquent que la forma n'ait pas totalement négligé l'importance de la mortalité post-natale.

45. D'après K. Hopkins, 1983, p. 72.

46. L'albo senatorio da Settimio Severo a Carino (193-285), Rome, 1952.

47. Op. cit., pp. 11-124. De 1150 à 1200 sénateurs environ durent siéger durant cette période.

48. Les vigintivirs et les tribuns militaires se destinaient à la carrière sénatoriale ; les prêtres étaient sénateurs ou appelés à le devenir.

49. Cos. suf. II ord. : le consulat, suffect, a été suivi d'un deuxième, ordinaire cette fois, en général au moins 18 ans après le premier.