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«Le plus éloquent philosophe des derniers temps». Les stratégies d'auteur de René Descartes

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Jean-Pierre Cavaillé*
Affiliation:
Université de Toulouse-Le Mirail

Extract

” Mr Descartes est estimé par tous nos docteurs le plus éloquent philosophe des derniers temps ». C'est en ces termes que Jean Chapelain, dans une lettre à Guez de Balzac datée du 27 décembre 1637, rend compte des premiers succès du Discours de la méthode.

Ce jugement pourra surprendre le lecteur auquel on a enseigné que toute la grandeur de Descartes est d'avoir élaboré une « philosophie sans rhétorique » où l'argumentation se confond strictement avec « l'ordre des raisons ». Il nous paraît cependant mériter toute notre attention.

Summary

Summary

The article offers analytic elements for the study of the relation which links the destination of Descartes’ work to its first “field of reception” and pays particular attention to the strategies Descartes employed to communicate his thoughts and to promote himself socially and intellectually as the author of a new philosophy. As it can be seen in The Discourse on Method and its “perigraphy”, Descartes very consciously addressed a dual public: learned scholars who alone could assure him institutional recognition, but also, and perhaps above all, the curious, the amateurs of literature who insured the success of Balzac's Letters and the triumph of the Cid. Thus Descartes’ intervention in 1628 in the quarrel raised by Balzac's eloquence seems to be an attempt to impose himself upon the literary milieu and to carve out a place for himself on the future among the public of fine literature. We can thus understand what Chapelain's praise following the publication of the Discourse represented to its author: “Mr. Descartes is esteemed by ail our scholars as the most eloquent philosopher of recent times. ”

Type
Littérature et Histoire
Copyright
Copyright © École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 1994

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References

1. Chapelain, Jean, Lettres, Paris, Édition Tamisey de Larroque, 2 vols, 1800-1883, t.1, p. 189 (par la suite : TL, I, p. 189).Google Scholar

2. Cf. Gouhier, H., La pensée métaphysique de Descartes, Paris, 1962 Google Scholar, chap. III. Au fil de son analyse, H. Gouhier est cependant amené à reconnaître que Descartes, tout en rejetant la rhétorique hors de la science, et par là hors de la philosophie, se montre soucieux au plus haut point, de « persuasion ». Dès lors que l'on accepte d'approfondir cette apparente contradiction, plusieurs questions ne manquent pas de se poser : Descartes accomplit-il véritablement le rejet théorique de toute rhétorique hors de la science et de la philosophie ? Ne reconnaît-il pas un statut philosophique à une autre rhétorique, différente de celle qu'il condamne chez ces adversaires (les héritiers du lullisme et des arts de mémoire, les scolastiques, mais encore chez un promoteur moderne de l'érudition comme Gassendi) ? Si oui, comment définir la rhétorique cartésienne ? Enfin, la dénégation de la rhétorique (qui est de toute façon loin d'être systématique dans les textes cartésiens) n'est-elle pas elle-même un argument rhétorique, en même temps qu'une revendication philosophique fondée en raison ? Quoi qu'il en soit, ces questions, que nous n'affronterons pas ici, tout comme celle que nous cherchons à instruire dans les pages qui suivent, sont largement redevables aux travaux de H. Gouhier, qui est le premier interprète à avoir prêté une aussi grande attention aux problèmes tout à la fois historiques et philosophiques de la « communication » par Descartes de sa philosophie. Cf. op. cit., chap. III, et surtout, La pensée religieuse de Descartes, Paris, 1972 (2), chap. II, IV, V. Cf. France, également P., Rhetoric and Truth in France — Descartes to Diderot, Oxford, 1972, chap. 2.Google Scholar

3. Cf. Guéroult, M., Descartes suivant l'ordre des raisons, 2 vols, Paris, 1968 Google Scholar, rééd. 1991. L'unique considération des « structures » conceptuelles permet à M. Guéroult de n'avoir aucune considération pour une quelconque dimension rhétorique (et bien sûr historique) de l'oeuvre cartésienne.

4. Cf. Mesnard, Jean, « Langage littéraire et philosophie au xvne siècle », Le langage littéraire au XVIIe siècle. De la rhétorique à la littérature, Tubingen, Gunter Narr, 1991, pp. 241264.Google Scholar

5. Pour une histoire des représentations successives du philosophe de la méthode depuis la seconde moitié du xvne jusqu'au début du xxe siècle, et sa progressive identification à « l'esprit français », cf. l'excellente recherche de François Azouvi, « Descartes », dans Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1993, t. VI, pp. 735-783.

6. Comme il est stipulé dans le contrat d'édition avec Jean Maire, Descartes a reçu deux cents exemplaires de l'ouvrage (le contrat est reproduit par Cohen, G., Écrivains français en Hollande dans la première moitié du XVIIe siècle, Paris, 1920, pp. 503504 Google Scholar). « Je serais bien aise que le tout fût imprimé en fort beau caractère et de fort beau papier, et que le libraire me donnât du moins deux cents exemplaires, à cause que j'ai envie d'en distribuer à quantité de personnes », A Mersenne, mars 1636, OEuvres de Descartes, publiées par Charles Adam et Paul Tannery, nouvelle présentation, en coédition avec le CNRS, Paris, Vrin, 12 vols, 1964- 1972, 1.1, p. 339, par la suite abrégé AT, I, p. 339. Sur la destination de ces exemplaires, cf. Baillet, Adrien, La vie de Monsieur Descartes, 2 vols, 1691, reprint New York, 1987, I, pp. 299305.Google Scholar

7. J. Chapelain n'avait pas attendu l'avis des docteurs pour se faire une opinion, comme en témoigne la lettre que Balzac lui adresse dès le 22 avril 1637 (voir infra, n. 12).

8. J. Chapelain doit, semble-t-il, une partie importante, sinon déterminante de son succès d'homme de lettres et de critique à son rôle d'intermédiaire entre les différentes sphères de la production culturelle et du pouvoir politique et religieux, dans la diffusion et la répercussion d'appréciations et plus généralement d'informations d'abord littéraires, mais en fait de tous ordres. C'est là un paradoxe intéressant : Chapelain acquiert son autorité en se faisant l'écho des diverses personnalités et instances qui font autorité en tel ou tel domaine (” nos docteurs », l'Académie, Balzac — en sa qualité à'unico éloquente). Cf. l'article de Chr. Jouhaud dans ce même numéro et Viala, A., La naissance de l'écrivain, Paris, 1985 Google Scholar, passim. Cela n'enlève rien à la qualité et à l'importance de ses écrits de théorie littéraire, mais oblige sans aucun doute à les aborder d'un nouveau biais. Descartes adopte bien sûr une stratégie littéralement opposée : il conquiert sa notoriété dans l'affirmation d'une différence radicale, et d'une indifférence souveraine (souverainement feinte) à l'égard de toute autorité étrangère à sa propre identité d'auteur, par la pratique d'une stratégie (tout à la fois sociale et intellectuelle) de l'écart par rapport aux lieux (communs) de l'autorité.

9. « Sa Dioptrique et sa Géométrie sont deux chefs-d'oeuvre au jugement des maîtres », ibid. (nous soulignons). Il faut insister sur le fait que cet éloge, qui envisage la philosophie contenue dans le Discours à partir de sa rhétorique, n'est pas du tout isolé. La première appréciation à laquelle donne lieu l'ouvrage est bien souvent, de la part de ses premiers lecteurs, d'ordre stylistique. Constantin Huygens, par exemple, le secrétaire du prince d'Orange félicite Descartes en ces termes : C'est « la pièce la piû saporita que j'ai jamais vue », « vous vous expliquez avec le plus de clarté, de force, de grâce et vivacité qui soit imaginable » (le 24 mars 1637 ; AT, I, p. 626). Cf. Huebner à Hartlib, le 21 juin/1 “juillet 1637 : « … Wie seind die Essays des René Franzois ein kôstlich Buch, und gleichsamb eine Schatzkammer der exquisitesten Franzôsichen Sprache ». Et Huebner qui, tout comme son correspondant, est l'un des propagateurs de l'oeuvre encyclopédique et pédagogique de Comenius, propose aussitôt de prendre l'ouvrage de Descartes comme modèle pour réaliser le projet d'amplification de la Janua linguarum reserata sive seminarium linguarum et scientiarum omnium…, oeuvre de Comenius, qui présentait une « méthode » (le terme figure dans le titre) d'enseignement de toutes les langues et de toutes les sciences, publiée en 1631 et qui connaissait un succès important (Correspondance du P. Marin Mersenne, Religieux Minime, Mme P. Tannery, C. De Waard, R. Pintard, R. Lenoble, B. Rochot, J. Bernhardt, A. Beaulieu éds, 17 vols, Paris, Beauchesne-CNRS, 1933-1988, vol. VI, pp. 292-293, par la suite CM, VII, pp. 292-293).

10. Après sa publication Beaugrand attaquera violemment la Géométrie. Cela montre bien l'importance d'une distinction rigoureuse entre l'approbation formelle d'un ouvrage (dans le cadre par exemple de l'octroi d'un privilège), la reconnaissance intellectuelle de son auteur et évidemment l'adhésion éventuelle aux idées qu'il exprime. Sur le régime de l'édition en France entre 1639 et 1643, cf. H. Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris (1596-1702), 2 vols, Genève, 1969, t.1, p. 440 ss.

11. Selon les termes de Mersenne, qui ajoute : «Jamais on ne fut plus exact qu'à présent pour l'examen des livres, car Monsieur le Chancelier a des agents affidés pour juger de ce qui est pour la théologie, d'autres pour la politique, l'Académie de Paris pour les pièces d'éloquence tant en vers qu'en prose, et des mathématiciens pour le reste », Mersenne à Descartes, le 15 février 1637, AT, I, p. 661. Il faut remarquer que dans cette taxinomie, ne figure pas la philosophie (au sens où nous l'entendons, finalement, à partir de Descartes), laquelle avait ainsi à se distribuer entre la théologie, la politique, l'éloquence et les sciences. Sur toute l'affaire des deux privilèges, hollandais et français, obtenus par Descartes pour la diffusion du Discours, cf. la correspondance du philosophe pour l'année 1637 et Armogathe, J. R., « La publication du Discours et des Essais », Descartes : il Metodo e i Saggi, Rome, 1990, 2 vols, t.1, pp. 1925.Google Scholar

12. Suggestions de J. R. Armogathe, qui se fonde très judicieusement sur une lettre de Chapelain, datée du 1er avril 1637, informant Balzac de ses démarches en vue de l'obtention d'un privilège pour le Recueil de nouvelles lettres que s'apprêtait à publier Vunico eloquente, art. cit., pp. 22-23. Le 22 avril, Balzac écrit à Chapelain : « Je suis bien aise que le livre de M. Descartes vous ait plu, et je ne doute plus de la solidité de sa doctrine puisqu'elle a eu votre approbation », OEuvres de Monsieur de Balzac, 2 vols, Paris, 1665, t.1, p. 745. Comme le relève J. R. Armogathe, cette « approbation » pourrait bien être celle dont dépendait l'octroi du privilège, ibid., p. 22.

13. AT, VI, p. 4.

14. Le mot qui apparaît plusieurs fois dans le Discours est rendu dans la traduction d'Etienne de Courcelles (1644) par « Respublica literaria » : « Il s'agit bien d'un anachronisme. Car du fait même de sa publication, le Discours crée une communauté scientifique d'un type nouveau, rompant en extention et en compréhension avec l'ancienne Respublica literarum », M. Fumaroli, « Ego scriptor : rhétorique et philosophie dans le Discours de la méthode », Problématique et réception du Discours de la méthode et des Essais, textes réunis par H. Méchoulan, Paris, 1988, p. 45. Sur l'antagonisme des deux modèles (Public/République des lettres), cf. Merlin, H., Le public au XVIIe siècle, entre corps mystique et personne fictive, thèse de doctorat EHESS, 1990, t.1, p. 364 ss.Google Scholar

15. La querelle du Cid, dont la question fondamentale, indissociable des problèmes esthétiques et éthiques soulevés par le contenu du texte de Corneille, est sans doute celle que pose le succès d'une oeuvre et d'un auteur, contre et surtout en dehors des institutions officielles de consécration, mobilisera, aux côtés de beaucoup d'autres, Chapelain et Balzac.

16. C'est « aux artisans » que s'adresse explicitement le Discours Dixième de la Dioptrique (De la façon de tailler les verres). Il se termine par une distinction entre le commun des artisans, et une aristocratie de techniciens habiles et entreprenants, seuls capables d'exécuter les instructions de Descartes : « Je ne me règle pas sur la portée moyenne des artisans, mais je veux espérer que les inventions que j'ai mises en ce Traité seront estimées assez belles et assez importantes pour obliger quelques-uns des plus curieux et des plus industrieux de notre siècle à en entreprendre l'exécution », AT, VI (cf. également l'avertissement de la sixième partie du Discours, AT, VI, p. 77).

17. Les groupes sociaux-culturels interpellés directement ou indirectement dans le Discours et les Essais sont en effet très nombreux : certains peuvent se recouvrir, d'autres, au contraire sont infiniment éloignés les uns des autres. Ainsi se trouvent par exemple sollicités les gentilshommes ayant comme l'auteur fait leur apprentissage dans les collèges jésuites (première partie), les amateurs de théâtre et de roman (ibid.), les membres des académies savantes, dont la toute petite secte de mathématiciens seuls capables de lire la Géométrie, les hommes de pouvoir qui pourraient accorder les subsides dont Descartes a besoin pour mener ses expériences et assurer sa protection (sixième partie), mais aussi, comme on vient de le voir, les artisans susceptibles de réaliser les appareils d'optique longuement décrits dans la Dioptrique, etc.

18. Cf. H. Gouhier, La pensée métaphysique, op. cit., pp. 71-84.

19. Cf. notre article « Descartes stratège de la destination », XVIIe Siècle, octobre-décembre 1992, n° 177, pp. 551-559.

20. Descartes est l'auteur d'une « comédie pastorale », ou « fable bocagère », « poussée jusqu'au quatrième acte ». Rédigée en 1649, à Stockholm, elle est aujourd'hui perdue. Suivant son biographe, Descartes semble « avoir voulu envelopper l'amour de la sagesse, la recherche de la vérité et l'étude de la philosophie sous les discours figurés de ses personnages », Adrien Baillet, La vie de Monsieur Descartes, cité dans AT, XI, pp. 661-662.

21. Cf. Beck, L., The Metaphysics of Descartes. A study of Méditations, Clarendon, Oxford University Press, 1965, pp. 3137 Google Scholar et Thomson, A., « Ignace de Loyola et Descartes. L'influence des Exercices spirituels sur les oeuvres philosophiques de Descartes », Archives de Philosophie, 35, 1972, pp. 6185.Google Scholar

22. Ainsi des Principes écrits en latin sous la forme d'une somme ordonnée par articles afin que l'ouvrage « s'introduise plus aisément dans la conversation des gens de l'Ecole », A Huygens, 31 janvier 1642, AT, III, p. 523. Cf. A Mersenne, décembre 1640, AT, III, p. 276 et Lettre à Dinet, AT, VII, p. 577.

23. Lettre-préface de l'édition française des Principes, AT, IX-II, p. 11. Toutefois, dans les Réponses aux secondes objections, Descartes reproche à ses contradicteurs (pourtant « théologiens et philosophes ») d'avoir lu les Méditations « comme un roman, pour se désennuyer », sans prendre la peine de « méditer » avec lui, AT, IX-I, p. 107. Dans la Lettre-préface, la référence au roman se justifie bien sûr par le changement de statut et de destinataire des Principes traduits en français, et littérarisés sous de nombreux aspects : Descartes arrachait ainsi délibérément l'ouvrage des mains des docteurs et des régents, qui l'avaient dédaigné, pour le confier effectivement au grand public des lecteurs de romans. Cf. AT, IX-II, p. 1 ss.

24. A Desargues, 19 juin 1639, AT, II, pp. 554-555.

25. AT, II, p. 554.

26. AT, II, p. 255. Ce texte est commenté par H. Gouhier, La pensée métaphysique…, op. cit., pp. 87-88.

27. « Je n'ai point trouvé de style plus commode, que celui de ces conversations honnêtes, où chacun découvre familièrement à ses amis ce qu'il a de meilleur en sa pensée », AT, X, p. 498.

28. L'argument de Descartes met cependant en avant une réelle qualité didactique de sa géométrie analytique : « Il me semble que pour rendre vos démonstrations plus triviales, il ne serait pas hors de propos d'user des termes et du calcul de l'Arithmétique, ainsi que j'ai fait en ma Géométrie : car il y a bien plus de gens qui savent ce que c'est que multiplication, qu'il y en a qui savent ce que c'est que compositions de raisons, etc. », ibid. Toutefois, bien conscient de la difficulté du troisième et dernier Essai de la méthode, il le fait précéder de l'« avertissement » suivant : « Jusqu'ici j'ai tâché de me rendre intelligible à tout le monde, mais pour ce traité je crains qu'il ne pourra être lu que par ceux qui savent déjà ce qui est dans les livres de Géométrie », AT, VI, p. 368.

29. « L'amour de la brièveté lui a quelquefois fait étrangler ses raisonnements en sorte qu'ils paraissent imparfaits », TL, I, p. 189. Cf. également Rivet à Mersenne, le 29 avril 1638, CM, VII, pp. 185-186. Mersenne à Rivet, le 23 mai 1638, ibid., p. 212.

30. Cf. A Vatier, le 22 février 1638, AT, I, p. 560 ; A Mersenne, le 27 février 1637 ( ?), OEuvres philosophiques de Descartes par Ferdinand Alquié, 3 vols, Paris, 1963-1973,1.1, p. 522. Par la suite abrégé FA, I, p. 522 (AT, I, mars 1637), et A ***, fin mai 1637, FA, I, pp. 537-538 (AT, I, mars 1637).

31. Certains, « trompés par la netteté et la facilité de votre style, que vous savez rabaisser pour le rendre intelligible au vulgaire, croient que vous n'entendez point la philosophie scolastique », le 1er août 1638, AT, II, p. 287. L'emploi de termes étrangers au jargon scolastique, qui attire la bienveillance des curieux et détourne la colère des docteurs, est ainsi doublement stratégique, mais aussi doublement trompeur. C'est ainsi que Descartes répond à Morin, avec une mauvaise foi éhontée : « Bien que je ne me sois guère servi en mes essais des termes qui ne sont connus que par les doctes, ce n'est pas que je les désapprouve, mais seulement que j'ai désiré de me faire entendre aussi par les autres», le 13 juillet 1638, AT, II, p. 202. Mersenne, dans la lettre à peine citée, applaudit : « Vous avez fait un grand coup dans la réponse à M. Morin de montrer que vous ne méprisez pas, ou du moins que vous n'ignorez pas la philosophie d'Aristote », ibid.

32. Extrait du premier titre proposé pour le Discours (A Mersenne, mars 1636, FA, I, p. 516). « Ceux qui ont commencé par l'ancienne philosophie […], d'autant qu'ils y ont plus étudié, d'autant ils ont coutume d'être moins propres à bien apprendre la vraie », Lettre-préface des Principes de la philosophie, AT, IX-II, p. 7. Cf. Adrien Baillet, op. cit., I, p. 297.

33. A Vatier, le 22 février 1638, AT, I, p. 560. Sur sa recherche d'un auditoire féminin, cf. A Huygens, 3 mars 1637, AT, I, p. 623 et surtout toute la correspondance avec Elisabeth, de 1643 à 1649.

34. Cf. par exemple, A Huygens, le 9 mars 1638 (brouillon non maintenu dans la lettre effectivement envoyée) : « Pour mon livre, je ne sais quelle opinion auront de lui les gens du monde, mais pour ceux de l'École, j'entends qu'ils se taisent… », AT, II, p. 48 (nous soulignons).

35. Cf. l'importante contribution d'E. Lojacono, « Descartes curioso », Descartes : il Metodo e i Saggi, op. cit., 1.1, pp. 77-104. Les académies, cercles et cabinets fréquentés par Descartes demeurent relativement mal connus. Cf. cependant H. Brown, Scientific Organization in Seventeenth-Century France, Baltimore, 1934, A. Pintard, op. cit. et Mandrou, R., Des humanistes aux hommes de sciences, Paris, 1973, pp. 132166.Google Scholar

36. « Ceux qui ne l'ont pas suivi [Aristote] […], n'ont pas laissé d'avoir été imbus de ses opinions en leur jeunesse, parce que ce sont les seules qu'on enseigne dans les écoles », Lettrepréface des Principes, AT, IX-II, p. 7.

37. Voir cependant sa critique détaillée de l'enseignement reçu à La Flèche (première partie) et surtout sa violente satire des disciples d'Aristote, assortie de la menace de publier ses propres « principes », AT, VI, pp. 69-71).

38. Comme il le confesse dans la lettre à Huygens du 9 mars 1638, Descartes craint cependant que les docteurs ne comprennent que trop vite la vraie portée de sa physique : « … fâchés de n'y trouver pas assez de prise pour exercer leurs arguments, ils se contentent de dire que, si ce qu'il contient était vrai, il faudrait que toute leur philosophie fût fausse » (brouillon non maintenu) AT, II, p. 48. Cette stratégie à la fois d'esquive et de conversion subreptice est tout particulièrement bien exposée dans une lettre à Mersenne du 28 janvier 1641, à propos des Méditations : « J'espère que ceux qui les liront, s'accoutumeront insensiblement à mes principes et en reconnaîtront la vérité avant de s'apercevoir qu'ils détruisent ceux d'Aristote », AT, III, pp. 297-298. Le lecteur doit devenir cartésien avant de se découvrir, du même coup, anti-aristotélicien…

39. A ***, fin mai 1637, FA, I, p. 539 (AT, I, p. 370 à la date du 27 avril 1637).

40. Ceux-ci ne se feront pas attendre. Entre autres Jean-Maximilien De l'Angle, pasteur à Rouen, écrit à André Rivet, théologien protestant que connaît Descartes, et qui assure la prestigieuse fonction de gouverneur du jeune prince d'Orange : « … il devrait mettre en lumière son traité de ses Principes. Aussi me persuadé-je que si on lui prie bien fort, qu'il s'y laissera emporter, surtout s'il est induit à cela par quelque homme d'autorité et de savoir comme vous », le 24 octobre 1637, CM, VI, p. 313 (nous soulignons). Et surtout cette lettre de Mersenne au même Rivet, du 20 janvier 1638 : « Ce livre de Mr de Cartes […] nous a donné des sujets très grands de sentiment fort différents […]. Car bien qu'il n'y ait aucun qui ne voie bien par ses écrits qu'il a un esprit très subtil, néanmoins tous se fâchent de ce qu'il a tout supposé, sans donner éclaircissements de pas un de ses principes […]. Nous faisons ce que nous pouvons par lettres et raisons pour l'obliger à cela de par deçà ; je voudrais que vous autres, Messieurs, quipouvez lui faire dire ou écrire un mot de la part de son Excellence, afin de le combler d'ailleurs, vous voulussiez nous y aider, car s'il donne ce qu'il promet, il faut fermer les livres de philosophie », CM, VII, pp. 27-28 (nous soulignons). Les messieurs sont probablement, outre Rivet, Constantin Huygens, secrétaire du prince Frédéric Henry, et son beau-frère David de Wilhem.

41. « Pour le Traité de Physique dont vous me faites la faveur de me demander la publication, je n'aurais pas été si imprudent que d'en parler en la façon que j'ai fait, si je n'avais envie de le mettre au jour, en cas que le monde le désire, et que j'y trouve mon compte et mes sûretés », A***, fin mai 1637, FA, I, p. 539. « Je n'ai parlé comme j'ai fait de ma Physique qu'afin de convier ceux qui la désireront à faire changer les causes qui m'empêchent de la publier », A Mersenne, fin mai 1637, FA, I, p. 536 (AT, I, p. 368, à la date du 27 avril).

42. A l'occasion de l'envoi du Discours, Descartes écrit à Balzac, qui avait pratiqué lui aussi ce que l'on pourrait nommer le pseudo-anonymat pour la publication de son premier recueil de lettres en 1624, « d'autant que je ne lui ai point fait porter mon nom, je pense le pouvoir encore désavouer, s'il le mérite », le 14 juin 1637, AT, I, p. 380. Cf. aussi, A Mersenne, le 27 février 1637, FA, I, p. 523 ; A ***, fin mai 1637, FA, I, p. 539 (AT, I, 27 avril 1637) ; A Mersenne entre le 8 et le 12 juin 1637, FA, I, p. 543 (AT, 27 mai 1637).

43. AT, VI, p. 43. Il réitère cette décision de « ne point rompre la paix avec les philosophes » dans les Météores, AT, VI, p. 239 ; cf. également, A Plempius pour Fromondus, le 3 octobre 1637, AT, I, pp. 415-441 ; A Vatier, le 22 février 1638, AT, I, p. 563 ; A Regius, janvier 1642, AT, III, p. 492 ; Recherche de la vérité, FA, III, p. 1125.

44. AT, VI, pp. 40-41.

45. On peut avancer bien sûr le nom de Chapelain, mais plus certainement celui de Jean Silhon, relation commune de Descartes et de Balzac, auteur bien en cour d'ouvrages de philosophie chrétienne (Les deux vérités, l'une de Dieu et de sa Providence, l'autre de l'immortalité de VAme, 1626) et de politique (Le ministre d'État, 1634). Il présente en 1630 la 8e édition du premier recueil des lettres de Balzac par une épître à Richelieu.

46. Descartes est l'ami de Constantin Huygens, secrétaire du prince d'Orange, poète, intellectuel aux intérêts multiples en relation avec Chapelain et Mersenne, et il connaît le théologien réformé André Rivet (cf. ci-dessus n. 40).

47. Descartes était entré en relation avec Bagni lors de sa nonciature à Paris, entre 1625 et 1627. Fin diplomate, il était considéré comme un successeur possible d'Urbain VIII. On sait par Naudé, qui en était le secrétaire après son retour à Rome en 1630, qu'il tenait Descartes en très grande estime. Cf. Naudé à Dal Pozzo, le 7 décembre 1638, cité par Pintard, R., Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, Paris, 1943, pp. 208 et 607.Google Scholar

48. Dans le Discours même, Descartes lance un appel général pour l'envoi d'objections, directement « au libraire », en dehors donc des réseaux épistoliers de la République des Lettres, AT, VI, p. 75. En ce qui concerne sa première attitude envers les aristotéliciens, après la parution du Discours, cf. sa réponse à Jean-Baptiste Morin, professeur au Collège royal, alors que celui-ci s'inquiète de la réputation d'ennemi de l'École que Descartes s'est acquise : « Quant au mépris qu'on vous a dit que je faisais de l'École, il ne peut avoir été imaginé que par des personnes qui ne connaissent ni mes moeurs, ni mon humeur », le 13 juillet 1638, AT, II, p. 202.

49. Cf. Mersenne à Rivet, 20 janvier 1638, CM, VII, pp. 27-28 ; Descartes à Mersenne, 1er mars 1638, AT, II, p. 25 ; A Huygens, 9 mars 1638, AT, II, p. 661.

50. Cf. H. Gouhier, La pensée religieuse…, op. cit. ; T. Verbeek, présentation et notes de René Descartes et Schoock, Martin, La querelle d'Utrecht, Paris, 1988 Google Scholar et Dibon, P., La philosophie néerlandaise au siècle d'or, Amsterdam, 1954.Google Scholar

51. Cf. par exemple, Monde, AT, XI, pp. 31 et 39 ; Discours, AT, VI, pp. 42 et 70-71 ; Lettrepréface des Principes, passim.

52. TL, I, p. 107 (nous soulignons). « Le beau travail que ce serait, Mr, de chercher cette Raison et de découvrir l'antre où elle se retire, de la désigner au genre humain par ses véritables marques et de la mettre dans l'usage commun. Dieu veuille que Mr Descartes soit celui qui doit faire toutes ces merveilles et que nous ne mourrions pas sans avoir vu ce Soleil éclos qui ne dissiperait pas seulement les ténèbres de l'Ignorance, mais suffirait seul pour toutes les sciences ou pour les acquérir sans instruction », Chapelain à Balzac, le 28 octobre 1640, lettre ms, Bibliothèque nationale, NAF, 1886, f. 528. Après la mort de Descartes, Chapelain deviendra beaucoup plus réservé et même franchement critique à l'égard de cette philosophie dont il semble avoir tant attendu. Cf. A Heinsius, le 6 février 1659, TL, II, p. 17 et A Carrel de Sainte Garde, le 15 décembre 1663, dans Jean Chapelain, Opuscules critiques, Paris, 1937, p. 478.

53. « Il suffit au philosophe de considérer l'homme tel qu'il est […] dans sa condition naturelle, et, pour ma part, j'ai écrit ma philosophie de manière qu'elle puisse être reçue partout, et jusque chez les Turcs », Entretien avec Burman, AT, V, p. 159, trad. J. M. Beyssade, Paris, 1981, p. 68.

54. Il suffit de confronter les premières lignes de La recherche de la vérité (” Un honnête homme n'est pas obligé d'avoir vu tous les livres, ni d'avoir appris soigneusement tout ce qui s'enseigne dans les écoles… », AT, X, p. 495) à l'Honnête homme ou l'art de plaire à la cour de Nicolas Faret (l'honnête homme préférera « étudier dans le grand livre du monde que dans Aristote. C'est assez qu'il ait une médiocre teinture de plus agréables questions qui s'agitent quelques fois dans les bonnes compagnies », éd. 1630, p. 49).

55. Sur la rhétorique balzacienne, voir Jehasse, J., Guez de Balzac et le génie romain, Paris, 1976 Google Scholar et M. Fumaroli, L'âge de l'éloquence, Genève, 1980 (fin de l'ouvrage et passim).

56. Censura quarundam Epistolarum Domini Balzacii, AT, I, pp. 7-13 (traduction de Clerselier dans Descartes, R., Correspondance, Paris, Adam et Millaud éds, , 1936-1963, t.1, pp. 3038 Google Scholar). Il s'agit d'une épître adressée à un correspondant anonyme, qui pourrait être Jean Silhon (cf. AT, I, p. 11).

57. Balzac à Descartes, 30 mars 1628, AT, I, p. 569. Sur Gersan (François Du Soucy), cf. R. Pintard, op. cit., pp. 205 et 607.

58. E. Gilson, Commentaire historique du Discours de la méthode.

59. Balzac à Descartes, le 25 avril 1631, AT, I, p. 200.

60. Cf. Beaugrand à Mersenne, mars 1638 (CM, VII, pp. 87-103) et l'écrit anonyme latin d'inspiration hermétiste dirigé contre le Discours, édité à La Haye en 1640, le Pentalogos, où Descartes est nommé Naturalista gloriosus, en référence au miles gloriosus, le soldat fanfaron de la comédie latine. Cf. encore Martin Schoock, L'admirable méthode dans La querelle d'Utrecht, op. cit.

61. Cf. par exemple Bannius à Huygens, le 15 octobre 1639, cité dans G. Cohen, op. cit., p. 517 ; Sorbière à Mersenne, 25 août 1642, CM, XI, p. 241.

62. Cf. par exemple Jean-Pierre Camus, qui écrit dans sa Conférence académique : « On mit sur le tapis ces belles lettres qui avaient alors tant de vogue que depuis un long temps on n'avait vu un si petit livre faire un si grand nom, c'était l'entretien de toutes les compagnies et non l'approbation seulement, mais l'applaudissement de toute la cour qui est le plus éclatant et le plus résonnant théâtre de l'Etat… C'était le bréviaire des amoureux et des dames, on ne parlaitde cet ouvrage qu'avec que des termes d'admiration et de ravissement, les moindres mots qui retentissaient étaient ceux de merveille et de miracle, de royauté de beaux esprits, de divinité d'Éloquence, c'était le Bragadin qui avait trouvé la pierre philosophale du bien dire… », Paris, 1630, p. 93. Descartes, suivant son premier biographe, Pierre Borel, repris ensuite par Baillet, aurait défendu Balzac contre Goulu dès 1625 devant le cardinal-légat Francesco Barberini (cf. A. Baillet, op. cit., t.1, p. 141).

63. Sur les querelles suscitées par les écrits de Balzac, cf. Sutcliffe, F. E., Guez de Balzac et son temps, Paris, 1959 Google Scholar et Youssef, Z., Polémique et littérature chez Guez de Balzac, Paris, 1972.Google Scholar

64. La huitième édition (Les OEuvres de M. de B., première partie…, Paris, Toussaint du Bray, 1630), sera en fait précédée d'une épître à Richelieu de Jean Silhon et accompagnée, en fin de volume, d'une lettre latine d'un ancien maître de Balzac, Nicolas Bourbon, professeur de latin et de grec au Collège royal.

65. Pour une analyse plus complète, cf. M. W. Croll, « Juste Lipse et le mouvement anticicéronien », dans Croll, M. W., Style, Rhetoric and Rhythm, Princeton University Press, 1966, p. 38 CrossRefGoogle Scholar ss ; H. Gouhier, La pensée métaphysique de Descartes, op. cit., pp. 102-104 et surtout M. Fumaroli, art. cit., pp. 35-38.

66. AM, I, pp. 32-33. Ces quatre écueils renvoient sans doute respectivement, comme l'ont montré M. W. Croll et M. Fumaroli (art. cités), au cicéronianisme si violemment critiqué par Érasme et Montaigne, au sénéquisme d'un Juste Lipse, au style sans ornement des érudits, et enfin au concettisme des poètes pétrarquistes et marinistes. Mais, ainsi que le souligne M. W. Croll, il est très révélateur que Descartes ne cite aucun de ces mouvements, et surtout aucun des auteurs de référence : c'est que pour lui, le problème de la bonne éloquence n'est certes pas le problème du choix du meilleur modèle, et toute sa modernité réside dans ce refus de considérer la rhétorique sous l'angle de l'imitation.

67. Ibid., pp. 33 et 35.

68. Vie de Monsieur Descartes, t. I, p. 141.

69. Ibid., p. 35. On trouve là une première esquisse de la morale de la doctrine de la générosité. Cf. l'art. 153 des Passions de l'Ame : « La vraie générosité, qui fait qu'un homme s'estime au plus haut point qu'il se peut légitimement estimer consiste seulement partie en ce qu'il connaît qu'il n'y a rien qui véritablement lui appartienne que cette libre disposition de ses volontés […] et partie en ce qu'il sent en soi-même une ferme et constante résolution d'en bien user, c'est-à-dire de ne manquer jamais de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu'il jugera être les meilleures… », AT, XI, pp. 445-446.

70. Ibid., pp. 36-37.

71. « Ne proposant cet écrit que comme une histoire […], j'espère qu'il sera utile à quelquesuns, sans être nuisible à personne, et que tous me sauront gré de ma franchise », AT, VI, p. 4.

72. Le sophiste chicaneur, Le chicaneur convaincu de faux, La dernière objection d'un chicaneur réfutée. Cf. Balzac à Descartes, le 30 mars 1628, AT, I, p. 569. Ces trois textes ne seront publiés qu'en 1652, à la suite du Socrate chrétien.

73. Descartes à Balzac, le 14 juin 1637, AT, I, p. 380. La suite, et conclusion de cette lettre, est très intéressante, parce que Descartes, avec sa désinvolture habituelle, y tient pour un fait établi que l'échange épistolaire participe avant tout d'un échange de « services » : « … je ne vous faispoint d'excuses du silence que j'ai gardé pendant quelques années [six ans probablement] ; car, ayant vécu de telle sorte que je ne pouvais espérer d'être utile à aucun de ceux à qui j'ai voué du service, il me semblait que mes compliments eussent dû être comptés pour autant de paroles perdues… ».

74. Le 22 avril 1637, dans Balzac, OEuvres, 1665, I, p. 745.

75. Chapelain à Balzac, 31 mai 1637, TL, I, p. 189.

76. M. Fumaroli montre les affinités du latin de Descartes et de la doctrine qu'il expose, avec l'ouvrage du jésuite Nicolas Caussin, Eloquentiae sacrae et humanae parallela, publié en 1619 (art. cit., p. 37), et H. Gouhier avec celui du père Cyprien Soarez, De arte rhetorica libri très…, paru à Lyon en 1599, réédité à La Flèche en 1607 (La pensée métaphysique, op. cit., pp. 98-99). Cette éloquence latine de la Compagnie de Jésus passait auprès des nouveaux littérateurs pour peu élégante, qui leur préféraient la tradition gallicane dont Nicolas Bourbon était l'un des plus célèbres représentants. Il est un fait que Balzac, dans sa réédition de 1630, publiera Bourbon et non Descartes. Cf. M. Fumaroli, ibid.

77. A Balzac, 31 mai 1637, TL, I, p. 189.

78. Voir cependant le jugement globalement critique que Balzac ferait du Discours à un nommé Berville dans une lettre latine de 1637, selon l'hypothèse de Jean Jehasse et Bernard Yon ( de Balzac, Jean-Louis Guez, Épîtres latines, Université de Saint-Etienne, pp. 8990 Google Scholar). Mais Berville est indiqué par Balzac comme « un ami » de l'auteur et le style de celui-ci est jugé se ressentir des fougues de la « jeunesse ». Surtout Balzac reproche à l'ouvrage la trop grande abondance du style, ses nombreuses répétitions, son manque de maîtrise, son imprudence. Il pourrait plutôt s'agir de La conduite du jugement naturel de Jacques Forton (Le Sieur de Saint-Ange), paru la même année que le Discours, et qui nous semble mieux correspondre à la critique balzacienne.

79. Sorbière, philosophiquement plus proche de Hobbes et surtout de Gassendi, réitère en 1660 ces réserves sur le latin pour les oeuvres de la maturité, mais son éloge du « style français », peu après la parution de la première édition de la correspondance (1657), est encore plus inconditionnel. Le texte, peu connu, mérite d'être largement cité : « … je ne puis m'empêcher en cet endroit de louer le style de M. Descartes ; je veux dire le style français, qui est celui dans lequel il concevait, à mon avis, tout ce qu'il a écrit ; le latin me paraissant une traduction de sa pensée, où il y a quelque déchet […]. Je ne lis rien de plus charmant, de plus fort, et de plus pressé en notre langue que tout ce que M. Descartes écrit, et, peu s'en faut que ses lettres ne m'aient dégoûté de celles de quelques auteurs célèbres, que je viens de trouver presque puériles […]. Je ne laisse pas d'admirer l'élocution en laquelle sont exprimées ses pensées où j'entre le moins, et je dis toujours lorsqu'il me semble qu'il s'égare, que j'aimerais mieux m'égarer avec lui, que marcher dans le bon chemin avec quelques autres ; si doucement il m'entraîne, et si harmonieusement il exprime ce que je n'approuve point », A Petit, le 20 février 1657, Sorbière, , Lettres et Discours sur diverses matières curieuses, Paris, 1660, pp. 691692.Google Scholar Cf. également Sorberiana, Paris, 1695, pp. 58 et 92-95.