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Critique d'une systématisation : les Lois de Platon et la réalité

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Paul Veyne*
Affiliation:
Collège de France

Extract

Non, les Lois de Platon ne sont pas une utopie ni même une demi-utopie et Platon n'est pas Thomas Morus ou Fourier ; on a montré combien il s'inspirait des législations authentiques. Platon espérait voir quelque fondateur de cité lui emprunter son projet de constitution et cet espoir n'avait rien d'insensé ; Platon n'a rien fait pour le ruiner : il a développé un programme extrême, mais admissible. Platon n'a rien du penseur totalitaire que l'on a dit, ou alors, s'il mérite ce qualificatif et que le totalitarisme soit un invariant que l'on peut promener sans le déformer à travers les siècles, en ce cas une bonne partie de la réalité politique gréco-romaine sera totalitaire, car Platon n'a fait que systématiser celle-ci. Les Lois, en effet, comparables en cela à la Cité de Dieu, sont une de ces œuvres monumentales qui résument une société ou une civilisation en une image saisissante parce qu'elle est plus vraie que la vérité ; d'où leur fausseté, leur profondeur et leur beauté : la vérité, vue mais corrigée et se voyant conférer de force l'unité irréelle qui est celle des œuvres d'art.

Summary

Summary

Plato 's Laws are not so much a utopia as a systematization aimed at forcing the Greeks to live in accordance with their ideology. Plato systematized three phenomena whose cœxistence in Greece was purely coincidental (1) The importance of festivals and contests: this role was determined by fashion, and it would be wrong to attribute it to the practical and affective significance assumed by these festivals after they were instituted. (2) The ideology of leisure: the rich were not supposed to work, or at least their activity did not qualify as "work". Such a life of leisure was the highest human ideal. This ideology was nothing other than an ideology of rationality suited to a patrimonial—and not an autarkic!— economy. (3) Lastly, Plato systematized the underlying presupposition in Graeco- Roman political thought, namely, the militancy of the citizen, who was regarded as an instrument of government rather than a subject. This notion—like liberty or human rights in our age—dominated political thought, at times even shaping policy-, it gave such a distinct character to Greek "democracy" that the latter resembles in name only what modems call democracy. Indeed, the political ethnology of antiquity is still an uncharted field. The principle of civic activism, which prompted the young Marx to assert that the State in antiquity was only political, accounts in particular for the theme of luxury as the factor that causes States to fall from greatness into decadence.

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Nouvelles Archives
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Copyright © Copyright © École des hautes études en sciences sociales Paris 1983

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References

Notes

1. Selon une formule de V. Ehrenberg, L'état grec, trad., Maspero, 1976, p. 169. Sur les sources juridiques de Platon, sur son sens des réalités, voir L. Gernet, Introduction juridique à l'édition Budé des Lois, vol. I, particulièrement pp. ccm-rcvl

2. Meier, Ch., Die Entstehung des Politischen beiden Ghechen, Suhrkamp Verlag, 1980, p. 255.Google Scholar

3. Thucydide, II, 40, 2. ; cf. Meier, p. 248 ss. Ce que Meier appelle « identité politique » d'une société est la même chose que ce que nous appelons ici présupposés ou « discours » (au sens de Foucault). Sur la politisation, pp. 289-292.

4. Xénophon, , Mémorables, I, 2, 41.Google Scholar

5. Sur la Loi, voir une belle page d'Ehrenberg, L'état grec, p. 164.

6. Xénophon, , Mémorables, IV, 4, 2.Google Scholar

7. Meier, Entstehung, pp. 42 ss, 86, 151, 213, 216 avec la note 196.

8. H. Rehm, Geschichte der Staatsrechtswissenschaft, p. 78.

9. Car le gubernator, ou pilote, Était en même temps capitaine du navire, comme l'a montré Jean Rougé, dans Studi in onore di Edoardo Volterra, vol. 3, p. 174.

10. La métaphore du politicien comme gubernator a Été Étudiée par C. M. Moschetti, Gubernare rem publicam, Contributo alla storia del diritto maritimo e del diritto pubblico romano, Milan, Giuffrè, 1966.

11. Ainsi Platon, République, 488 A, et Aristote, Politique, 1276 B 20.

12. Note de Tricot à Politique, 1276 B 20.

13. Sur la méthode, cf. Oswald Ducrot, Dire et ne pas dire, 2e Éd., p. 13 : « On peut chercher dans tout texte le reflet implicite des croyances profondes de l'époque : on entendra par là que le texte n'est cohérent que si on le complète avec ces croyances. Et cela, bien qu'on sache qu'il ne se présente pas comme leur affirmation. »

14. Lois, 758 A 5 : « Une cité se gouverne en se dirigeant à travers la houle des autres cités » ; Polybe, VI, 44.

15. Aristote, Pol., 1254 B 30 et 1333 A 30 ; XéNophon, Mémorables, II, 1, 6.

16. Vidal-Naquet, P., Le chasseur noir, Maspero, 1981, p. 149;Google Scholar Ch. Meier, Entstehung, p. 66, à propos d'Aristote, Pol., 1297 B 20.

17. Meier, , « Clisthène et le problème politique de la polis grecque », Revue internationale des droits de l'Antiquité, XX, 1973, pp. 115159.Google Scholar

18. On fait ou on ne fait pas partie de la cité ; certains se sentent « tenus en dehors de la cité » (Lois, 768 B) et ils en souffrent.

19. « En si bon chemin, on en viendrait à titulariser dans la cité des mendiants et des esclaves », s'écrie l'Athénien Théramène (XéNophon, Helléniques, II, 3, 48) ; ce texte ne trahit pas la moindre hésitation sur l'esclavagisme ; tout au contraire, Théramène veut faire sentir à son adversaire le ridicule de la démocratie extrême et il recourt à une hyperbole que l'adversaire lui-même trouve hyperbolique ; c'est comme si, chez nous, on voulait faire voter les enfants qui ont à peine l'âge de raison. Ou donner la citoyenneté aux bœufs de labour. Il va sans dire que personne n'avait jamais songé à ouvrir la cité aux esclaves. Ni même aux métèques !

20. Cf. Veyne, Le pain et le cirque, pp. 205-207.

21. Defourny, M., Aristote, Études sur la « Politique », Paris, 1932, p. 383.Google Scholar

22. Voir en particulier Lois, 704 A-C ; 707 E-708 D ; 735 E-737 B ; 744 BC.

23. Lois, 806 DE ; je traduis « la vie bien réglée » (et non pas « belle », ni « modérée, peu dépensière ») d'après 807 A 3, où l'expression reparaît ; il s'agit du mode de vie idéal, dont Platon règle l'emploi du temps dans le dernier détail ; ceux qui suivent son règlement mèneront « la bonne façon de vivre », la « vie (moralement) belle », selon la façon de parler ordinaire des Lois. Sur la justification de l'esclavage (il est « inévitable », dit Platon), voir 777 B ; sur la manière de traiter les esclaves et d'en être respecté, voir 776 B-778 A et 808 AB.

24. Ce sera donc une chose Étrange que la vie des jeunes gens pendant leur service militaire : il leur sera interdit d'emmener leurs esclaves avec eux pendant les expéditions, si bien qu'ils devront s'acquitter eux-mêmes des soins de leur personne, « en vivant comme s'ils Étaient leurs propres esclaves » (763 A).

25. Aristote, Politique, 1328 B 35 ; le mot d'arétè se traduit bien mieux par « qualité » que par « vertu », qui fausse la nuance et rend bien des textes païens incompréhensibles. La « vertu » oppose la seule valeur morale aux autres avantages, vrais ou faux ; la « qualité » désigne aussi bien une vertu que le titre nobiliaire d'un « homme de qualité » ; être riche Était une qualité.

26. Le problème de la dévalorisation du « travail » dans l'Antiquité n'est pas simple ; cette dévalorisation varie selon les classes sociales, comme De Robertis n'a pas eu de peine à le montrer ; cette variation elle-même s'explique par quatre variables: l°ce qui Était travail aux yeux des Anciens, c'est-à-dire le fait de dépendre d'un autre ou des choses, n'est pas ce que nous entendons par travail ; 2° la place du travail dans la définition antique de l'individu social n'est pas la même qu'à notre Époque : un armateur noble Était noble et non armateur (il se contentait d'armer des navires) ; un armateur non noble se définissait, au contraire, comme armateur ; car les gens de peu se définissent par leur métier : c'est pourquoi le travail Était estimé dans les classes populaires ; 3° un cas à part est la dévalorisation toute spéciale du négoce et des métiers manuels ; 4° si un notable ne se définit pas par ses activités Économiques, en revanche il est fier d'être habile en affaires ou en agriculture : c'était un talent apprécié, une qualité de plus. En ce qui concerne la superstition qui valorisait l'agriculture et dévalorisait le commerce et l'artisanat, voir les arguments plaisants par lesquels Xénophon tente de rationaliser cette valorisation de l'agriculture (économique, IV, 2 et V, 4). Sur la double attitude des Grecs et de Platon devant l'artisanat, sur l'hésitation entre deux modèles (” le plan politique sépare ce que le plan technique réunit »), voir P. Vidal-Naquet, Le chasseur noir, p. 289 : « Étude d'une ambiguïté, les artisans dans la cité platonicienne ».

27. A. Gun.lEMiN, Le pouvoir et l'innovation : les notables de la Manche et le développement de l'agriculture, 1830-1875, Centre de sociologie rurale, 1980, vol. I, pp. 251-257. Comme l'écrit quelque part M. Godelier (je cite de mémoire) : « La rationalité intentionnelle du comportement Économique n'est pas un absolu, mais dépend de la hiérarchie des rapports sociaux. »

28. Il en sera de même à Rome, où les artes libérales ne conservent leur caractère libéral que si elles sont exercées par un homme libre ; exercées par un esclave ou un affranchi, elles n'ont plus rien de libéral. Après les travaux de De Robertis et D. Nôrr, voir maintenant Christes, J., Bildung und Gesellschaft : die Einschdtzung der Bildung und ihrer Vermiltler in der Antike, Darmstadt, 1975.Google Scholar

29. C'était un proverbe (Aristote, Pol., 1334 A 20).

30. Lois, 846 D ; plus généralement, les Lois sont de part en part un programme qui abîme les riches dans une sorte de vie contemplative civique, où ils n'auront aucun loisir pour se mêler de leurs affaires d'argent.

31. Christes, p. 25 : « Le dédain du travail venait de l'idéal de vie politique, celui qui doit gagner sa vie n'a pas le loisir de remplir sa vocation d'homme politique. » Euripide, Suppliantes, 419 : le héraut d'une cité oligarchique déclare : « Même si un pauvre paysan n'est pas un ignorant, son travail l'empêchera de s'occuper des affaires communes. »

32. Pour Platon, voir la fin de cet article ; pour Aristote, Pol., 1286 B 13.

33. Parole de « Périclès » chez Thucydide, II, XL, 2.

34. Aristote, Politique, 1318 B 10 et 1319 A 30 ; cf. Polybe, IV, 73, 7-8.

35. Sur la justice distributive en politique, voir Lois, 744 BC et 757 B-E ; Aristote, Politique, 1280 A 10, 1282 B 20, 1301 A 25 ; éthique à Nicomaque, 1131 A 25 ; Isocrate, Aréopagitique, 21.

36. Quant à dire que l'idéologie sert à justifier aux yeux de tiers, c'est une supposition fonctionnelle, finaliste, que les faits démentent souvent (on peut faire son propre Éloge par morgue, par défi ; on peut affirmer sa force, au lieu de se justifier ; souvent aussi l'idéologie n'est lue et connue que de ses propres bénéficiaires ; on peut aussi se taire et se raidir dans sa morgue, etc.).

37. Ceux qui la subissent peuvent réagir contre la puissance, sous forme de colère et révolte ; ils peuvent aussi la « ressentir » (la surcompenser) en affirmant la supériorité de l'humilité et l'éminente dignité des humbles, qui auront leur récompense quand les derniers deviendront les premiers.

38. Cf. Le pain et le cirque, p. 117, développant une idée de Robert Dahl.

39. Sur la liberté comme droit de dire son mot, cf. Meier, Entstehung, p. 294, et dans les Geschichtliche Grundbegriffe de Brunner, Conze et Kosel Leck, vol. II, p. 427, s. v. « Freiheit ». L'isègoria est le droit de donner son avis sur la politique, sans devoir se taire pour laisser parler les seuls puissants ; la parresia est le droit au franc-parler en politique, ou le courage d'avoir ce francparler, sans craindre les puissants ; voir par exemple, pour parresia, Eschine, Contre Ctésiphon, 6 ; pour isègoria, Polybe, II, 38, 6 ; IV, 31, 4 ; V, 26, 6 ; VI, 8, 4 et 9, 4 ; VII, 10, I ; Xxiii, 12, 9, où le mot est souvent associé à parresia.

40. Meier, Entstehung, p. 259.

41. Entstehung, p. 256.

42. Aristophane, Guêpes, 575.

43. L'Ion ou le livre Viii, où Thucydide parle en son nom propre, rendent un autre son que les Suppliantes ou que le discours de Périclès au Livre II de Thucydide.

44. Aristophane, Cavaliers, 1111-1150.

45. Sur la couronne, 10 et 256-258.

46. Ou du moins il n'en existait guère. Il existait bien le sens de la solidarité civique, qui amènera à poser, comme conduite fraternelle qui n'attende pas aux droits de la propriété, le prêt d'argent entre citoyens… D'Isocrate à Cicéron, cette fraternité est très vantée. Il existait aussi (Isocrate, Aréopagitique, 44 ; Aristophane, Ploutos) des Éloges du travail (agricole, et aussi commercial) de ton hésiodique ; « Les gens d'une condition inférieure, on les dirigeait, au bon vieux temps, vers l'agriculture et le commerce, car on savait que l'indigence naît de la paresse et que la criminalité naît de l'indigence » (Isocrate). Plutôt que de se demander ce que les Anciens pensaient du travail, mieux vaut se demander ce qu'ils pensaient des travailleurs : ils les méprisent parce qu'ils sont socialement inférieurs ; le travail n'en est pas moins une bonne chose. Une bonne chose pour les petites gens, sinon pour la classe privilégiée.

47. C'est avec Aristote que la citoyenneté cesse d'être une fonction pour devenir un statut ; il existe alors des gouvernés, par opposition aux gouvernants. Voir C. Mossé, « Citoyens actifs et citoyens “ passifs “ dans les cités grecques : une approche théorique du problème », Revue des Études anciennes, LXXXI, 1979, p. 241. Même durant le siècle et demi de démocratie, Athènes a eu son clan d'oligarques qui se tenait en marge et guettait les gestes de la démocratie ; « Que deviendrait le peuple, sans nous?», répètent-ils (Pseudo-XéNophon, République des Athéniens); «N'ayons rien en commun avec ces gens-là » (THéOphraste, Caractères, XXVI, L'oligarque, 3). On voit combien cette attitude est particulière : ces oligarques se sentent Étrangers à Athènes. Cela se comprend ; le patriotisme hellénique Était un patriotisme de bande, de groupe concret ; on reste dans la bande démocratique ou on la boude : mais, cité et corps civique Étant la même chose, on ne pouvait pas rêver à une Athènes Éternelle, au-delà des errements de la démocratie, à la manière de l'Action Française servant la France Éternelle et haïssant la République, ou de De Gaulle préférant la France aux Français. La carrière d'Alcibiade est un bel exemple de ce patriotisme de groupe concret : Athènes, ce sont les Athéniens, c'est-à-dire des hommes avec qui Alcibiade se brouille pour une autre cité, puis avec lesquels il se réconcilie… Cela se passe d'homme à homme. Après la défaite d'Athènes en 405, les oligarques font détruire les remparts d'Athènes au son des flûtes, comme pour une fête : ils ne se sentent pas enveloppés dans la défaite d'une Athènes Éternelle ; ils l'ont emporté sur une bande rivale.

48. Aristote. Politique, 1283 A 14 et passim.

49. Politique, 1280 A 25 et 1316 B I ; voir aussi 1328 B 37-1329 A 3. « Les riches ont le devoir de servir la cité : ils sont ses esclaves », dit Isocrate ﹛Aréopagitique, 26).

50. Appien, , Guerres civiles, I, 79, 26-37.Google Scholar

51. Piotin, , Ennéades, II, 9 Google Scholar, Contre les gnostiques, 9.

52. On serait tenté d'opposer l'attitude de Platon à l'universalisme des stoïciens, qui titularisent le pauvre et l'esclave. Encore faut-il voir les raisons de cet universalisme ; il naît moins d'une prise en considération du pauvre et de l'esclave comme tels, que d'une méfiance devant les richesses comme devant tous les faux avantages, qui n'assurent pas la sécurité, l'autarcie. Le riche et le puissant peuvent se ruiner ou être réduits en esclavage : ils n'auront l'autarcie contre ces coups du sort que s'ils apprennent à mépriser la richesse et la liberté. En somme, les vrais destinataires de l'universalisme stoïcien sont les privilégiés…

53. D'après la Septième Lettre, 334 BC, la force d'une cité est faite par cinq pour mille du corps civique, à savoir les citoyens âgés de naissance noble, qui ont une fortune suffisante.

54. Lois, 831 C. Les oisifs cupides et travailleurs sont peints dans la République comme des sortes de puritains obsédés et refoulés, qui ne songent qu'à amasser et Épargner.

55. Lois, 846 D. Il ne faut pas comprendre que le citoyen « maintient, sauvegarde l'ordre public » ; comme le latin seruare, le verbe sôzein veut souvent dire « ne pas détruire, ne pas altérer, laisser subsister », au lieu de « faire subsister » ou « sauver ». On demande au bon citoyen de ne rien changer à la constitution idéale et de ne pas en rendre vaines les dispositions en n'y obéissant pas. Pour le sens de kosmos, voir note 23. Ne pas obéir à une loi, c'est la détruire (Criton, 50 AB).

56. Aristote, Politique, 1327 A 30, texte que nous avons retraduit à notre manière dans Annales ESC, 1979, p. 230 et n. 70. Dans cet article, nous avons cherché à montrer qu'il y avait un curieux contraste entre l'idéal d'autarcie et les réalités, qui Étaient fort peu autarciques ; ce contraste, nous n'arrivions pas à l'expliquer. C'est que nous n'avions pas compris quelle Était l'étendue, dans le subconscient antique, de ce continent englouti que nous avons baptisé tant bien que mal présupposé de militantisme : l'idéal autarcique, la prohibition théorique du commerce et des trafics internationaux, est un morceau de ce continent. La réalité, elle, Était fort différente ;cf. par exemple L. Gernet, L'approvisionnement d'Athènes en blé, p. 375 ss.

57. Pour Solon, voir son fragment 3, vers 5-10. Sur la vacuité du thème de la décadence des mœurs à Rome, à la fin de la République, voir F. Hampe, « Das Problem des “ Sittenverfalls “ », Historische Zeitschrift, 1959, p. 497.

58. Voir note L

59. Un excès de richesse rend difficile la soumission à la raison et à l'autorité publique (Aristote, Politique, 1295 B 5-20); seule la pauvreté engendre la retenue, tandis que la richesse produit l'indiscipline (Isocrate, Aréopagitique, 4). Pour les Anciens, être riche, c'est se croire tout permis (tel sera le double sens de luxuriu en latin).

60. Platon, Aristote, Polybe (VI, 57)…

61. Polybe, VI, 9 et 57. Comme l'humanité subsiste, après chaque décadence tout recommence et les constitutions Évoluent, au total, cycliquement.

62. Voir une page capitale des Lois, 875 A-D.

63. L'homme est fait pour peiner : s'il se relâche, il y a danger (Lois, 779 A) ; le manque de maîtrise de soi est la source de tout manque de discipline et de tout excès (734 B) ; seule la maîtrise de soi permet de triompher des plaisirs (840 C). Partout la vie politique est opposée au plaisir (parmi cent textes, je cite au hasard CICéRON, Pro Sestio, LXVI, 138-139). Ce qui affaiblit une cité, déclare Romulus, ce sont les efféminés, les lâches et aussi les cupides (Denys D'Haucarnasse, Antiquités, II, 3, 5).

64. Sur la virilité dans l'éducation, voir QuintilIEN, I, 2, 6 ; I, 8, 9 ; I, 10, 31 ; VI, praef., I 1.

65. Dès le Criton, Platon attribue à Socrate l'idée qui est à la base des Lois : la constitution de Sparte et celles des cités Cretoises sont les meilleures (53 A).

66. C. LéVI-Strauss, Le totémisme aujourd'hui, pp. 98-103.

67. En Grèce et à Rome, quand on abattait un animal pour le manger, on faisait volontiers de cela un sacrifice, si bien que les marchands de viande se fournissaient auprès des prêtres et sacrificateurs ; le sacrifice est comme un repas en commun du dieu (qui a surtout les os et l'odeur) et de ses fidèles, qui mangent de la viande ce jour-là.

68. 834 E. Et non pas tous les trois ou cinq ans, comme le disent les traductions françaises ; un concours « pentétérique » a lieu tous les quatre ans.

69. Quand Platon décide que la police des marchés sera assurée par des prêtres (953 B), il a sans doute à l'esprit les marchés qui se déroulaient pendant les fêtes dans la Grèce de son temps.

70. Niisson, M., Geschichte der griechische Religion, vol. e, 2 e Éd., p. 831.Google Scholar

71. 738 D, 759 B, 771 DE ; les classes sociales entre lesquelles se partagent les citoyens se mêleront à ces fêtes et apprendront à s'estimer (759 B).

72. 795 E ; Niisson, Geschichte…, vol. I, p. 160.

73. Polybe, IV, 20-21.

74. 828 B ; l'emploi du temps de chaque citoyen sera réglé par le législateur dans le dernier détail (807 DE).

75. Georg Jelunek, Allgemeine Staatslehre, 3e Éd., 1921, p. 307.

76. Adolf Menzel, Hellenika, Vienne, 1938, p. 59. Sur la liberté grecque, voir l'analyse historique approfondie de Hans Schaeffer, « Politische Ordnung und individuelle Freiheit im Griechentum », Historische Zeitschrift, CLXXXIII, 1957, pp. 5-22.

77. Isocrate, Aréopagitique, 39-41.

78. Aristote, Politique, 1288 B 20, trad. Tricot.

79. Sur le fondement juridique de l'accusation de corrompre la jeunesse, voir Menzel, p. 26. Il faut supposer, à mon avis, que la corruption se jugeait, non à ses effets matériels (les actes qualifiés des adolescents corrompus), mais au contenu de l'enseignement ; la corruption Était donc ce que nous appellerions un délit d'opinion (mais cette expression n'aurait pas de sens pour un Grec).

80. « Socrate ne pratique pas les mêmes dieux que la cité ». Sur theous nomizein, voir Menzel, p. 17, et W. Fahr, « Theous nomizein », zum Problème der Anfànge desAtheismus bei den Griechen, Hildesheim, 1969, qui montre, p. 156, que Platon a modifié le sens de cette expression, conformément à ses propres vues religieuses. Pour les Grecs, la religion se définit, non sur le critère d'une profession de foi où on confesse « croire » à des dieux, mais sur celui des pratiques cultuelles. Il va sans dire que la pratique supposait la croyance, comme l'action suppose l'intention.

81. ATHéNéE, XIII, 566 F. C'est-à-dire HYPéRide, fr. 138 Kenyon.

82. Isocrate, Aérop., 49. A Rome, les bons empereurs, ennemis de la licence, interdisaient aux cabaretiers de vendre de la nourriture chaude (plusieurs allusions dans l'Histoire Auguste) et même froide (SUéTone, Tibère, XXXIV, I).

83. Une loi de Solon frappait d'atimie ceux qui dissipaient leur patrimoine (Diogène Laërce, I, 55). Les censeurs de Rome montraient la même sévérité envers les chevaliers, qui, comme personnages publics, Étaient tenus (comme l'étaient en théorie les citoyens grecs) de suivre une morale plus sévère ; voir QuintiÏ.IEN, VI, 3, 44 et 74. Abdère frappa le philosophe Démocrite pour avoir dissipé son patrimoine (ATHéNéE, 168 B).

84. ATHéNéE, IV, 167 E-168 A et 168 EF. Aux reproches d'un censeur, un chevalier romain répondra pareillement : « Je croyais que mon patrimoine Était à moi » (QuintiÏ.IEN). Cf. aussi Latomus, XL, pp. 267-268.

85. Aristote, Politique, 1919 B 30.

86. Platon, Criton, 50 AB.

87. Aristote, Rhétorique, I, 4, 1360 A 19 ; cf. Politique, 1310 A 35 : « Vivre en obéissant à la constitution n'est pas un esclavage, c'est au contraire le salut » (de la cité, s'entend, et des citoyens avec elle); Platon, Lois, 715 D.

88. Aristote, Politique, 1310 A 30 et 13I7B 10; Isocrate, Aréop., 37 et 20 (cf. Politique, 1290 A 25) ; Platon, République, 557 B.

89. L'immoralité est, soit une menace directe pour la cité, soit un symptôme inquiétant ; en l'absence de surveillance publique, les mœurs se corrompent (Isocrate, Aréop., 47) ; lorsque chacun n'en fait qu'à sa tête, c'est le signe que la cité se désagrège et que les citoyens sont aussi indépendants les uns des autres que les cités elles-mêmes le sont entre elles (Aristote, Pol, 1280 B 5). Dans l'Antiquité, le thème constant du désordre actuel des mœurs est dû à une illusion bien naturelle : on ne conçoit la politique que comme un contrôle de tous les instants, que ce contrôle vienne du sens moral de chacun, dressé par l'éducation, ou qu'il vienne de l'autorité publique. Or on constate que malheureusement ce contrôle n'existe guère ; on en conclut donc que les gens en profitent sûrement pour mal se conduire. Le thème de la Décadence recouvre en réalité l'absence de l'idéal.