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Les marges statutaires dans le Japon prémoderne: enjeux et débats

Published online by Cambridge University Press:  20 January 2017

Guillaume Carré*
Affiliation:
Centre de recherches sur le Japon, EHESS

Résumé

La question des marges statutaires a émergé dans l’historiographie du Japon prémoderne (fin XVIe-milieu du XIXe siècle) au cours des années 1990, dans le sillage de la remise en cause progressive d’une compréhension de la société d’ordres des Tokugawa conjuguant conceptions traditionnelles des statuts sociaux et schémas du matérialisme historique. Alors qu’on considérait jusqu’alors que la structure sociale du Japon prémoderne se composait de quatre statuts hiérarchisés (les guerriers, les paysans, les artisans, les marchands) et de parias, les recherches menées dans l’entourage de Yoshida Nobuyuki et de Tsukada Takashi ont montré que de larges pans de la population ne pouvaient être complètement assimilés à l’un de ces ordres canoniques. L’analyse de la variété des formes d’association des «groupes sociaux» de la période d’Edo et de leurs rapports avec leur environnement social et politique a conduit à reconsidérer la notion même de statut social à l’époque prémoderne, en renouvelant en profondeur l’histoire sociale de cette période et en ouvrant de nouveaux domaines d’investigation pour les chercheurs.

Abstract

Abstract

The issue of status margins emerged in the historiography on premodern Japan (late 16th-mid 19th c.) after a progressive reconsideration of the prevalent view of the Tokugawa society, a combination of traditional conceptions of social statuses and historical materialism. Until then, the social structure of premodern Japan was understood as a hierarchy of four statuses (warriors, peasants, artisans, and merchants), with pariahs outside that system. Yet research led by Yoshida Nobuyuki and Tsukada Takashi has shown that large numbers of the population could not be assimilated to any of those orders. The analysis of the diversity of associative forms of “social groups”, and their relations to their political and social environments, during the Edo era unsettles the very notion of social status in premodern Japan, opening new lines of historical enquiries.

Type
Les statuts sociaux au Japon (XVIIe-XIXe siècle)
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2011

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References

1- Hiroyuki, Ninomiya et Souyri, Pierre-François, «L’histoire du Japon sous le regard japonais», Annales HSS, 50-2, 1995, p. 227233.Google Scholar Les noms japonais sont écrits selon l’usage en vigueur au Japon : d’abord le patronyme, puis le nom personnel.

2- Ibid., p. 231.

3- Sur la légende noire du Japon des Tokugawa colportée par Amino, voir par exemple ASAO Naohiro, «Kinsei to ha nani ka?» (Qu’est-ce que l’époque prémoderne ?), in Naohiro, Asao (dir.), Nihon no kinsei vol 1, Sekaishi no naka no kinsei(Le Japon prémoderne, vol. 1, L’époque prémoderne dans l’histoire mondiale), Tôkyô, Chûô-kôron, 1991, p. 1213.Google Scholar

4- Yoshihiko, Amino, «Sengo rekishigaku no gojû-nen» (50 ans d’historiographie depuis la guerre), in Noboru, Miyata (dir.), Rettô no bunkashi 10(Histoire culturelle de l’archipel, vol. 10), Tôkyô, Nihon editâ skûru shuppanbu, 1996.Google Scholar Notons que cette date de 1953 est justement celle où Araki Moriaki fit paraître son célèbre mémoire sur le cadastre de Hideyoshi : «Taikô kenchi no rekishiteki zentei» (Les fondements historiques du cadastre du Régent retiré), Rekishigaku kenkyû, 163, p. 1-17, et 164, p. 1-22, 1953, qui, en caractérisant la période prémoderne comme un véritable féodalisme, fondamentalement différent de «l’esclavagisme patriarcal» médiéval, remettait profondément en cause les schèmes marxistes dominants d’interprétation des sociétés japonaises médiévale et prémoderne. Voir aussi Moriaki, Araki, Bakuhan taisei shakai no seiritsu to kôzô(Naissance et structure du régime bakuhan), Tôkyô, Ochanomizu Shobô, 1959.Google Scholar On le voit, l’historio- graphie marxiste japonaise ne fut jamais un bloc monolithique.

5- L’époque d’Edo (entre 1600 et 1867) ou du shogunat des Tokugawa correspond pour l’essentiel à la période dite «prémoderne» (kinsei), de 1573 à 1853, qui suit l’époque médiévale (chûsei)et précède la période moderne (kindai). L’adoption de la civilisation occidentale par le Japon à partir de l’ère Meiji est souvent définie comme une «modernisation», et on parle alors du «Japon moderne» à partir de la fin du XIXe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Ceci explique les hésitations sur la traduction du terme kinsei, qu’on rend pourtant parfois par «temps modernes», par référence à la périodisation occidentale.

6- Précisons cependant que d’autres courants existent bien sûr dans l’historiographie prémoderne. D’abord l’influence des études folkloriques n’est pas absente de l’histoire sociale de la période d’Edo, comme en témoignent par exemple les travaux de Tsukamoto Manabu, même si ses méthodes et préoccupations diffèrent du courant d’anthropologie historique initié par Amino. Quant au marxisme, son hégémonie sur l’histoire universitaire jusque dans les années 1970 a toujours suscité des oppositions, parfois articulées sur des antagonismes politiques, d’autant plus qu’au Japon comme en France, plusieurs historiens «retournés» (tenkô), comme on dit dans l’archipel, sont passés au fil du temps d’un communisme ardent à une critique virulente de l’idéologie marxiste. Enfin, le poids des différentes idéologies, marxiste, libérale, nationaliste ou autres, varie suivant les domaines, histoire sociale, histoire économique, etc., et les générations.

7- La littérature japonaise, et même en anglais, sur cette controverse est immense. On pourra consulter parmi les ouvrages récents pour leur mise au point sur la question et leur bibliographie : Barshay, Andrew E., The social sciences in modern Japan: The marxian and modernist traditions, Berkeley, University of California Press, 2004.Google Scholar Voir aussi du même auteur, «‘Doubly cruel’. Marxism and the presence of the past in Japanese capitalism», in Vlastos, S. (dir.), Mirror of modernity: Invented traditions of modern Japan, Berkeley, University of California Press, 1998, p. 243261.Google Scholar Voir également Hoston, Germain A., Marxism and the crisis of development in prewar-Japan, Princeton, Princeton University Press, 1986.Google Scholar

8- En somme, les courants historiographiques en pointe dans les années 1960 nourrissaient toujours plus ou moins ouvertement des préventions envers le lumpenprolétariat, courantes dans le marxisme et qui trouvent d’ailleurs leur origine dans le mépris manifesté par Karl Marx et Friedrich Engels eux-mêmes envers ces déclassés. Voir notamment les passages bien connus sur «cette lie d’individus déchus de toutes les classes» ou «le degré de vénalité et de dépravation du lumpenprolétariat civilisé d’aujourd’hui» de Marx, Karl et Engels, Friedrich, La social-démocratie allemande, Paris, Union générale d’éditions, [1871] 1975,Google Scholar et de Engels, Friedrich, La guerre des paysans en Allemagne, Paris, Éditions sociales, [1850] 1974.Google Scholar

9- Ces quatre statuts sont déjà cités, mais avec des variations dans leur ordre d’énonciation, dans des ouvrages de penseurs chinois de l’Antiquité comme le Guanzi, le Xunziou encore la Version de Guliang des Printemps et des Automnes.

10- Non seulement les organisations d’artisans et de marchands de l’époque d’Edo devaient se mettre à disposition, mais elles devaient aussi payer aussi régulièrement des taxes (myôga)et estimaient pouvoir disposer en contrepartie de la protection de leurs droits et exclusivités par les autorités.

11- Shôsaku, Takagi, Nihon kinsei kokkashi no kenkyû(Recherches sur l’histoire de la nation japonaise prémoderne), Tôkyô, Iwanami shoten, 1990.Google Scholar L’expression de «nationcaserne» employée par Takagi (heiei kokka)est en fait une traduction du concept de garrison stateforgé par Harold D. Lasswell. L’historien Bitô Masahide, plus connu en Occident, a lui aussi développé des conceptions sur les liens entre régime shogunal, société d’ordres et notion de «service» : BITô Masahide, The Edo period: Early modern and modern in Japanese history, Tôkyô, Tôhô Gakkai, 2006.

12- Voir l’article de Morishita Tôru dans ce dossier.

13- Voir note 4. Pour une critique des conceptions dominantes concernant le cadastre de Hideyoshi à la suite des travaux d’Araki, voir IKEGAMI Yûko, «Kenchi to kokudakasei» (Cadastre et système fiscal en riz), in Kenkyûkai, Rekishigaku et Kenkyûkai, Nihonshigaku (dir.), Nihonshi kôza 5, kinsei no keisei(Cours d’histoire japonaise, vol. 5. La formation de l’époque prémoderne), Tôkyô, Tôkyô daigaku shuppankai, 2004, p. 101132.Google Scholar

14- Sur le médiéval, Souyri, Pierre-François, Le monde à l’envers. La dynamique de la société médiévale, Paris, Maisonneuve et Larose, 1999.Google Scholar

15- Norie, Takazawa, «Comparer les villes», in Norie, Takazawa et al.(dir.), Bessatsu toshi-shi kenkyû. Iida to Sharuruviru(Comparer les villes traditionnelles : Iida et Charleville), Tôkyô, Yamakawa shuppansha, 2011, p. 3544.Google Scholar

16- Hara Hidesaburô, Nihon kodai kokka kenkyû no rironteki zentei(Les fondements théoriques de la recherche sur la nation japonaise antique), in Hidesaburô, Hara (dir.), Taikei Nihon kokkashi(Histoire de la nation japonaise), Tôkyô, Tôkyô daigaku shuppankai, 1975,Google Scholar et Id., Nihon kodai kokkashi kenkyû(Recherches sur l’histoire de la nation japonaise antique), Tôkyô, Tôkyô daigaku shuppankai, 1980.

17- Pour une somme des travaux menés par Wakita Osamu sur cette question depuis les années 1960, on consultera Osamu, Wakita, Kinsei mibunsei to hisabetsu buraku(Le système statutaire prémoderne et les hameaux discriminés), Kyôto, Buraku kenkyûjo, 2001.Google Scholar

18- On considère que les etade l’époque d’Edo étaient des catégories discriminées à cause d’activités professionnelles regardées comme les mettant en contact avec la souillure (en particulier le traitement des animaux morts et de leurs dérivés, comme le cuir) ; les hininétaient plutôt des mendiants (voir l’article de Tsukada Takashi dans le dossier). Mais les distinctions pouvaient être plus ou moins lâches entre ces grandes catégories.

19- Sur les diverses tendances de l’histoire urbaine japonaise, Guillaume CARRÉ, «D’une histoire en marge à l’histoire des marges. Les études urbaines sur la période prémoderne (XVIe-XIXe siècles) au Japon», Histoire urbaine, 29, 2010, p. 5-26.

20- L’historien Takano Toshihiko a publié depuis les années 1980 plusieurs travaux remarqués sur la place et le rôle de la cour de Kyôto à l’époque d’Edo qui l’ont amené à s’intéresser à divers groupes sociaux gravitant autour du palais, dans le cadre de la réflexion sur les «marges statutaires» dont il sera question plus bas. D’autre part, les recherches, en particulier des médiévistes, sur certaines associations professionnelles ou corps de métiers (par exemple les charpentiers), avaient mis en lumière leurs liens privilégiés avec des institutions de la haute aristocratie curiale, guerrière ou religieuse, et donc la variété des dispositifs statutaires.

21- Voir les articles de Tsukada Takashi et de Yoshida Yuriko dans le dossier qui suit. Sur les «maîtres du Yin et du Yang» et leurs liens avec la maison Tsuchimikado, on pourra consulter également Matthias HAYEK, «Les mutations du Yin et du Yang. Étude des relations entre divination, société et représentations au Japon du VIe à la fin du XIXe siècle», thèse de doctorat, Inalco, 2008.

22- Sur ce qui suit, voir Nobuyuki, Yoshida, Mibunteki shûen to shakai/bunka kôzô(Structures sociales et culturelles des marges statutaires), Kyôto, Buraku mondai kenkyûjo, 2003, p. 26 sq.Google Scholar

23- Yoshida Nobuyuki s’est jusqu’à présent plutôt intéressé aux groupes de mendiants, y compris à certains artistes ambulants, plutôt qu’aux parias en rapport avec la souillure de la mort et du sang ; mais on peut considérer que les préventions envers les populations réputées «souillées»étaient aussi une forme d’incapacité ou de restriction pesant sur la valorisation de leur force de travail.

24- Nobuyuki, Yoshida, repris dans Takeshi, Tsukada, Kinsei mibun shakai no toraekata. Yamakawa shuppansha kôkô nihonshi kyôkasho wo tooshite(Appréhender la société d’ordres prémoderne : une lecture des manuels de lycée de Yamakawa shuppansha), Tôkyô, Buraku mondai kenkyûjo, 2010, p. 31.Google Scholar

25- Ibid., p. 32.

26- L’importance de la paléographie pour les étudiants-chercheurs (à partir de la maîtrise) est aussi en partie liée à leurs possibilités d’insertion professionnelle. La formation des archivistes-paléographes ou du personnel des musées s’effectue encore largement dans le cadre des départements d’histoire des universités.

27- Le célèbre spécialiste des cultures et mouvements populaires de la fin du shogunat et du début de l’ère Meiji, Yasumaru Yoshio, estimait ainsi que sur ces questions «un discours un peu plus concret que celui de Foucault convient sans doute mieux à une nature d’historien» : YASUMARU Yoshio, «Hanzai to keibatsu no shakaishi. Kinsei kara kindai he» (Une histoire sociale du crime et du châtiment : de l’époque prémoderne à l’époque contemporaine), in Yoshio, Yasumaru (dir.), Asahi hyakka Nihon no rekishi bessatsu, rekishi wo yominaosu 22, kangoku no tanjô(Encyclopédie Asahi : revisiter l’histoire, vol. 22, Naissance de la prison), Tôkyô, Asahi shinbunsha, 1995, p. 2.Google Scholar

28- Junnosuke, Sasaki, Bakumatsu shakairon(La société de la fin du shogunat), Tôkyô, Hanawa shobô, 1969,Google Scholar et Id., Bakumatsu shakai no tenkai(Les évolutions de la société à la fin du shogunat), Tôkyô, Iwanami shoten, 1993.

29- On retiendra en particulier les travaux d’histoire économique sur les corporations produits dans les années 1960-1970 par Miyamoto Mataji, influencé à l’époque par les développements de cette discipline en Europe, ou plus récemment, dans les années 1980 et 1990, les recherches de Hayashi Reiko.

30- Nobuyuki, Yoshida, «Edo au fil de l’eau», Histoire urbaine, 29, 2010, p. 99128.CrossRefGoogle Scholar

31- Voir par exemple Nobuyuki, Yoshida, Nihon no rekishi 17, Seijuku suru Edo(Histoire du Japon, vol. 17, La maturité d’Edo), Tôkyô, Kôdansha, 2002.Google Scholar

32- Norie, Takazawa et al.(dir.), Bessatsu toshi-shi kenkyû. Iida to Sharuruviru, op. cit., 2011.Google Scholar

33- Hiroyuki, Ninomiya, Zentai wo miru manako to rekishikatachi(La vision de la totalité et les historiens), Tôkyô, Bokutakusha, 1986,Google Scholar et Hiroyuki, Ninomiya (dir.), Musubiau katachi, soshiabirite-ron no shatei(Formes du lien mutuel : portée de la notion de sociabilité), Tôkyô, Yamakawa shuppansha, 1995.Google Scholar

34- Voir par exemple l’avant-propos dans Nobuyuki, Yoshida et Takeshi, Itô (dir.), Dentô toshi 4, bunsetsu kôzô(Les villes traditionnelles, vol. 4, Une structure modulaire articulée), Tôkyô, Tôkyô daigaku shuppankai, 2010.Google Scholar

35- Nobuyuki, Yoshida , Nihon no rekishi 17, Seijuku suru Edo, op. cit., p. 11.Google Scholar On peut aussi voir dans cette prise de position méthodologique de Yoshida une manière de mener à bien le projet de Matsumoto Shirô, professeur à l’université Tsurugaku et son prédécesseur dans les études urbaines de la période d’Edo. Celui-ci dans les années 1970, pour rompre avec les descriptions institutionnelles qui dominaient sa discipline, souhaitait écrire une histoire populaire des villes japonaises de l’époque d’Edo, faisant leur place aux catégories sociales (locataires, journaliers, etc.) à l’écart du système statutaire. La compréhension de la société urbaine par Matsumoto demeurait cependant tributaire des schémas de lutte des classes.

36- Voir le cas des agents subalternes des organes administratifs de la bourgeoisie étudiés dans Guillaume CARRÉ, «Yaku no shûen» (Aux marges du service), in Tôru, Inoue et Takashi, Tsukada (dir.), Higashi Ajia kinsei toshi ni okeru shakaiteki ketsugô(Les sociabilités dans les villes prémodernes d’Asie orientale), Kyôto, Seibundô, 2005, p. 195226.Google Scholar

37- Les travaux sur cette catégorie témoignent des nouvelles problématiques de plus en plus présentes à la fois dans l’histoire sociale et dans l’histoire culturelle, notamment les nombreuses études sur les bourgeois collectionneurs, comme le lettré d’ôsaka, Kimura Kenkadô, dont quelques échos appauvris nous sont parvenus en France.

38- Nobuyuki, Yoshida et Itô Takeshi (dir.), Dentô toshi 2, Kenryoku to hegemonî(Les villes traditionnelles, vol. 2, Pouvoirs et hégémonies), Tôkyô, Tôkyô daigaku shuppankai, 2010, p. IX-X.Google Scholar

39- En dépit de la distance prise avec les courants historiographiques du marxisme dominant dans les années 1970, Yoshida et Tsukada se veulent toujours des historiens tout aussi engagés «à gauche» qu’ont pu l’être Sasaki ou Amino et n’ont pour le moment aucunement renoncé à exercer une influence sur la société grâce à leurs travaux. Pour Yoshida, cette action sociale de l’historien se manifeste ces dernières années par une critique acerbe de la «ville contemporaine», assimilée à une société de marché alié- nante, uniformisante et destructrice des individualités culturelles des «villes traditionnelles». Il assigne par conséquent comme mission à ses recherches d’oeuvrer à une réforme du cadre et des modes de vie urbains au Japon. Ces positions rencontrent un écho dans un contexte «post-haute croissance» où les collectivités locales de l’archipel se montrent de plus en plus intéressées par la possibilité de valoriser leur patrimoine pour développer le tourisme et affirmer leur personnalité (même si les préoccupations de Yoshida dépassent largement ces seules questions et sont même porteuses d’une méfiance envers une préoccupation du patrimoine dictée par des intérêts économiques et mercantiles). Au Japon aussi, par conséquent, la question de la définition et de la conservation du patrimoine se pose avec une acuité plus en plus grande depuis les années 1990, et il serait intéressant de confronter cette réflexion japonaise à nos propres expériences indigènes, avec la fossilisation urbaine (citoyens inclus) que provoquent les dérives mortifères de la religion française du tout-patrimoine, du tout-paysage et du tout-lieu-de-mémoire.

40- Les travaux sur les marges statutaires inspiré par Yoshida et Tsukada ont imposé la nécessité d’un réexamen par l’historiographie de la notion de statuts sociaux durant la période d’Edo, et la plupart des publications sur la question se réfèrent désormais à leurs oeuvres ; mais leurs méthodes et certaines de leurs conclusions ont également soulevé des réserves. On en trouvera des échos dans une série de six ouvrages intitulée «Hommes et statuts à l’époque d’Edo» (Edo no hito to mibun), parue chez Yoshikawa kôbunkan entre 2010 et 2011, sous la direction entre autres de Fukaya Tatsumi. Cette entreprise se donne comme ambition de réexaminer la question des statuts sociaux et des communautés à la lumière des apports de la recherche sur les «marges statutaires», en mettant l’accent sur une dimension plus individualisée des conditions. Cette série est donc présentée explicitement comme une conséquence des travaux de Tsukada et de Yoshida, mais avec une dimension critique, et même polémique, qui montrent que les débats autour de la notion de statut demeurent vifs (voire acrimonieux) au Japon. Usami Hideki, par exemple, reproche à Yoshida son manque d’intérêt pour les problématiques liées au pouvoir politique dans les villes, et met en cause l’emploi du concept de «pouvoirs sociaux». Voir USAMI Hideki, «Mibunteki shûenron no bunseki hôhô wo kangaeru» (Réflexion sur les méthodes d’analyse de la théorie des marges statutaires), in Yukihiro, ôishietTatsumi, Fukaya (dir.), Edo no hito to mibun 6, Mibunron wo hirogeru(Hommes et statuts à l’époque d’Edo, vol. 6, Élargir la réflexion sur les statuts), Tôkyô, Yoshikawa kôbunkan, 2011, p. 190193.Google Scholar

41- Nous tenons à remercier Iwabuchi Reiji, maître de conférences au Musée national d’histoire et du folklore de Sakura, dont la connaissance intime du milieu acadé mique japonais et de l’historiographie de la pé riode d’Edo nous a été d’un grand secours pour l’écriture de cette présentation.